VII

7 minutes de lecture

Gwendal ayant profité de la monture de Wilfried pour s’enfuir, donne à ses poursuivants le moyen de lui prouver leur détermination. Mais la fatigue aidant, sa bête finit par ralentir pour bientôt s’arrêter. Le Roi au titre usurpé, dégaine son arme et décrit avec, de grands cercles imaginaires au-dessus de sa tête. Avec une énergie qui ressemble à celle du désespoir, il se débat comme un damné au milieu des flammes de l’enfer. Gorneval qui le voit s’agiter à l’horizon, espère que tous ses crimes le poursuivront jusqu’au plus profond de ses cauchemars. Dans sa fuite désespérée, Gorneval reconnaît l’angoisse de ceux qui savent leur mort certaine. Malgré tout, il semble décidé à emmener avec lui, tous ceux qui ne seront pas aussi vaillants que lui. Son arme fend l’air avec une force considérable. Face à ses moulinets, le maître d’arme reste de marbre. Toutefois, de son coté, Audret, le bras gauche replié contre sa poitrine, vacille sur sa monture. Le Roi revoit son ami, les mains recouvertes de sang, qu’il croyait celui de Guènelon et comprend qu’il s’était trompé. Il lance Orphée dans une course folle contre le temps. Il prie tous les dieux de la Terre que Gwendal ne remarque pas la faiblesse d’Audret. Mais en voyant Gorneval galoper comme il le fait, Gwendal se doute de quelque chose. Tel un prédateur au regard perçant, il épie les alentours. Très vite ses yeux se posent sur le jeune garçon. Sa position sur son cheval est sans équivoque. Il bondit le premier avant que Périnis ne réalise le drame qui se joue devant lui.

Les sabots d’Orphée écorchent la terre détrempée pour tenter d’arracher Audret des griffes de son ennemi. Le chevalier noir transperce les voiles de brume qui le sépare de son ami avec la force de l’éclair. Titane au bout de son bras contracté, il fouette les flans de son destrier pour en tirer le maximum. L’animal, l’écume aux lèvres, vole littéralement au-dessus du sol pour tenter de rattraper le temps perdu et obtenir enfin une petite parcelle de cette deuxième chance que son maître n’a pas eue. Mais toutes les forces du monde semblent impuissantes face à la détermination sans faille du Mal. Gwendal, d’un coup d’épée, fend la cuirasse de sa proie. Un filet de sang glisse le long de la plaie. Le jeune chevalier, telle une poupée de chiffons, lâche son arme qui se plante droite dans la terre. Désarticulé, il glisse lentement sur le flan de son animal apeuré, mais immobile. La tête du jeune homme semble désolidarisée de ses épaules et retombe paresseusement sur sa poitrine en détachant son heaume. Ce dernier rejoint l’épée à terre. Le visage du jeune homme est pâle mais serein. Au même moment, Gorneval arrive sur Gwendal à toute allure. Ce dernier se dégage en sautant de sa monture. Le Roi, pris au dépourvu, tire sur ses rênes avec violence. L’animal perd l’équilibre, glisse et s’effondre dans la boue et l’eau stagnante. Périnis se jette alors à l’assaut de son ennemi ancestral. Il balaye l’air de son épée et le fait reculer. Les forces de ce dernier s’envolent et il fini par trébucher. Il tombe violemment à terre. Désemparé, son épée à quelques pouces seulement de sa main droite, il plonge son regard dans celui qu’il discerne de Périnis au travers de son ventail.

“ Ne me laisseras tu donc aucune chance de m’en sortir ? ”

“ Pourquoi le ferais-je ? ”

“ Je suis le but que tu as toujours poursuivi ! Je suis celui que tu as pourchassé toute ta misérable existence. Me tuer c’est comme renoncer à ta propre vie, parce que tu n’es rien sans moi, rien qu’un valet misérable et terne comme tous ceux qui jonchent le sol de ces terres maudites ! ”

“ Ma promesse s’achève ici, celle que j’ai faite sur le corps de Dinas... ”

Périnis joint ses mains autour du manche de son arme et lève ses bras au-dessus de sa tête. Comme s’il avait joué cette scène des centaines de fois auparavant, il s’applique à ne rien oublier, pas même Ygrène, Isaac et les autres, pour lesquels il exécute ce geste. C’est au moment où Gorneval ouvre à nouveau les yeux qu’il abat son épée dans le cœur de son ennemi. Le maître d’arme accompagne son geste d’un cri puissant, libérateur qui perdure bien après que Gwendal se soit éteint définitivement. Ce cri, Gorneval ne pourra l’oublier. Il s’inscrit immédiatement et à jamais dans sa mémoire. Il ressemble à l’écho des ténèbres, enflammant la chair de celui qui les rejoint. En libérant ce qu’il avait de plus secret en lui, Périnis se fait le porte-parole des enfers, offrant sa gorge et sa voix au démon qui attendait la mort du Roi à l’armure d’or.

Le silence s’empare définitivement des lieux. Une légère brise emporte avec elle, les derniers relents putrides des corps en décomposition. Gorneval se redresse tant bien que mal, en tentant d’oublier les crocs acérés de la douleur qui lui meurtrissent le dos. Il s’avance péniblement vers son maître d’armes. Ce dernier, les genoux baignant dans ce mélange infâme de boue et de sang, regarde disparaître la vie, du corps de celui qu’il a pourchassé toute son existence. Etrangement, son ancien élève réalise qu’il pleure. Ses larmes sont peut-être celles de la fatigue, mais il préfère croire qu’elles sont celles du regret. Il pose sa main droite sur l’épaule de son plus fidèle sujet en lui soufflant quelques mots sans intérêt.

“ Voilà que nos chemins se séparent, Gorneval... mon fils, mon élève, ma raison de vivre. ”

Le souverain stupéfait, semble ne pas comprendre.

“ Il n’existe plus rien ici qui vaille la peine de vivre, tu as raison. Mais regarde ce que nous avons fait de Lidan, de la Vallée des Larmes ; voilà ce que nous laissons de notre passage sur Terre : du sang, le sang des nôtres, que nous avons envoyé à la mort à force d’égoïsme ! Maintenant il faut reconstruire tout ça pour racheter nos erreurs. ”

“ Il n’y a rien à racheter mon fils, il n’existe pas plus de Dieux ici bas que de justice pour les Hommes. La vie est ailleurs, tu l’avais touchée du doigt et tu l’as perdue par ma faute. ”

Le regard du jeune homme sur son ancien maître change tout à coup. L’homme le plus déterminé de son entourage, celui qui n’a jamais rien eu à craindre de son propre jugement, vacille, doute et, chose encore plus troublante, semble regretter. Les yeux des deux hommes ne se croisent à aucun instant, mais Gorneval est prêt à jurer que les remords hantent le corps du plus valeureux des chevaliers.

“ Existe t-il chose plus dure que d’être seul au monde ? ” Demande le preux, la tête rentrée dans ses épaules, étouffant un sanglot amer.

“ Oui, certainement... Avoir vu passer une deuxième chance, sans l’avoir saisie ! ”

Un sourire sans joie se dessine sur les lèvres du chevalier. Une douleur bien plus vive que toutes les douleurs physiques, s’empare de lui. Ce prince de Lidan, recroquevillé sur lui-même, attaché au souvenir d’un passé révolu, regarde une dernière fois celui qui gît sans vie à ses pieds. Il se redresse et sans jamais faire face à Gorneval, remonte en selle.

“ Je te souhaite de retrouver ta Belle... elle est ta solution, la solution en laquelle je n’ai pas voulu croire. ”

Sur ces mots, il plante ses talons dans les flans de son animal et s’en va assez vite pour échapper au regard suppliant de son élève. Ce dernier voudrait comprendre pourquoi le preux désire tant s’en aller et le laisser seul. Ses yeux fixes, regardent la silhouette du cavalier, se fondre dans l’obscurité de la fin de journée. Il voit des choses que son esprit refuse. Cet homme qu’il regarde est celui en qui il a eut une confiance sans limite, un amour proche de celui qu’il aurait porté à son père. La guerre, en plus de lui arracher ses amis, lui prend son maître à penser, son guide, son réconfort. Cependant, malgré la douleur, malgré la colère qui le gagne, quelque chose lui fait comprendre la raison de cette fuite insensée. Sa raison ou peut-être son amour pour Périnis, lui fait réaliser combien son maître d’armes lui était indispensable pour vivre. Toutes les raisons qu’il avait pour l’adorer, sont devenues celles pour lesquelles, tôt ou tard, il le haïra. Comme autant de raisons suffisantes pour comprendre le geste de son maître, Gorneval décline tout ce que lui apprend cet élan de bravoure. Il ne fait aucun doute que cette séparation pèse autant sur la conscience du preux que sur celle du Roi. Cependant, ce dernier comprend, contraint, il est vrai, qu’il s’agit d’un geste d’une extrême sagesse. Comme il ne se sent pas capable d’une si grande force, il laisse au preux, le mérite de cet acte.

Abattu, le jeune homme se retourne et remarque à nouveau toute l’horreur qui hantera assurément ses nuits jusqu’à la fin de ses jours. Audret, son meilleur ami, son confident, son compagnon d’échappée, gît tel un inconnu dans la fosse commune. Son corps sans vie est étendu sur le dos, les bras écartés et le visage découvert. Ses lignes trahissent une quiétude qu’il ne lui connaissait pas de son vivant. Derrière ce rempart, se cachent les blessures d’un jeune homme fragile qui a supporté un ami difficile sans jamais cesser de le soutenir. Pour lui, il a été tant et tant d’autres choses, que ses yeux se ferment par respect. Sachant tout ce qu’Audret avait été capable d’accepter, d’être et de devenir pour lui, il aimerait garder de lui, un souvenir plus souriant de cet être extraordinaire, que celle de son corps inerte. Il fouille sa mémoire déchirée pour tenter d’y trouver le souvenir idéal. La chose n’est pas difficile. Et, une fois trouvée, Gorneval sourit, les yeux toujours fermés. Son rictus est chargé d’une nostalgie merveilleuse, prouvant leur complicité et un amour que seul Audret était capable de comprendre. Jamais entre eux il n’existât de malentendus ou de mesquineries. Leur amitié était trempée d’une perfection qui ne lui apparaît évidente qu’une fois le drame survenu. Il parvient alors à articuler quelques mots qui viennent du plus profond de son être.

“ Merci mon ami ! ”

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Gorn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0