VI

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Gwendal ne répond rien aux injonctions de son vis-à-vis. Non seulement, il ne bouge pas, mais à la surprise générale, il ordonne une charge massive. Les lanciers bondissent sur le Roi et ses hommes. Périnis riposte en envoyant ses cavaliers à la rescousse de son protégé. Il résulte de ces deux ordres, un chaos inexprimable. Les premiers rangs s’effondrent et bousculent ceux qui suivent. Les lanciers qui ont l’avantage de la distance, peuvent abattre leurs ennemis sans que ces derniers ne puissent les atteindre. Le maître d’arme, prit d’une panique subite, voit le combat lui échapper. De son coté, le Roi résiste tant bien que mal à la pression de ses adversaires. Entouré de ses trois protecteurs, il parvient pourtant à se frayer un chemin au milieu du tumulte. Les quatre chevaliers se regroupent près d’une maison calcinée. Ils luttent âprement pour empêcher leurs ennemis de franchir la ligne imaginaire qu’ils se sont constitués et qui correspond à la limite de leur espace de survie. Derrière eux, se bouscule le reste des troupes dans un désordre bruyant et acharné. A grand coup de masses d’arme, de fléaux et de pics, les hommes en débattent une dernière fois dans l’ultime combat qui les opposent. Rien entre eux ne saurait justifier une telle débauche d’énergie à se détruire mutuellement, mais menés par la férocité de leurs chefs, ils deviennent aussi agressifs et destructeurs que des démons. Les corps mutilés des moins volontaires, s’effondrent dans de lourds instants de douleur. Les chevaux qui n’ont plus de cavaliers, s’affolent et piétinent les blessés qui finissent étouffés dans la boue et le sang mêlé.

Gorneval sent ses forces décliner dangereusement avec celles de ses amis. En tentant de forcer le passage et d’aider Guènelon à se défaire de son plus féroce adversaire, il bouscule Ewan, qui, déséquilibré, tombe de cheval. Le Roi, terrorisé par sa maladresse, tente de rejoindre le jeune homme et, sous le couvert d’Audret, lui tend la main pour l’aider à enfourcher à nouveau son destrier. Mais un lancier ne l’entend pas ainsi et vient planter son arme dans l’épaule du capitaine. Un cri suraigu déchire l’atmosphère moite des lieux. Gorneval sent la main de son ami quitter la sienne, sous la violence du coup. Ewan est projeté en arrière et s’effondre aussitôt. Le bras du Roi ne tremble pas et répond à l’assaut par une riposte encore plus violente. L’épaule de l’assaillant est tranchée nette. Ce dernier n’a pas le temps de crier qu’Audret abat son arme au creux de son cou. Il tombe et rejoint l’amas innommable de chair inerte qui agonise à terre. Les autres guerriers redoublent de violence. Guènelon, seul à combattre, se fait submerger. Audret, vient épauler le protecteur du Roi mais à deux, le combat est inégal. Ils protègent tant qu’ils peuvent le souverain tandis que ce dernier, accroupi aux cotés d’Ewan, entend la voix désespérée de Guènelon l’appeler au secours. Il remonte à cheval mais c’est au même instant que les gardes de Lidan parviennent à trouver une faille dans sa défense. Il porte la main à sa blessure tout en poursuivant le combat. Son abdomen s’empourpre au rythme des battements de son cœur déclinant. Audret se rapproche aussitôt de son maître, du sang plein les mains, et le pousse afin de se libérer de l’étreinte maudite des lanciers. Le jeune souverain résiste un instant, mais quand il voit le corps de son protecteur s’effondrer et aspiré par le royaume des ombres, il comprend, que sa présence ne changera rien.

Dans leur retraite, les deux hommes parviennent à rallier un groupe de la Vallée des Larmes. La proximité de l’écu que Gorneval brandit parfois, donne courage à ses sujets qui redoublent d’efforts pour le libérer. Ils barrent bientôt le chemin aux assaillants et protègent les deux combattants éreintés. Périnis qui combat aussi vivement que possible n’est pas conscient de l’hécatombe. Cependant, le cavalier qu’il a chargé de l’attendre, prend finalement la décision de sonner l’assaut. Le temps que son maître lui avait demandé d’attendre est écoulé et de plus, les bruits étouffés qui émanent de l’enceinte grise, ne sont pas pour le rassurer. Il regroupe les quelques forces restantes et lance l’attaque.


A la clameur sourde des épées et des sabots, s’ajoute alors le bruit étourdissant des fantassins. Leur présence ressemble rapidement à un bol d’air dans la promiscuité des lieux. Tandis qu’ils chargent violemment, les cavaliers se détachent peu à peu du lieu de l’affrontement. Ils rejoignent une sorte de deuxième ligne d’attaque et se reposent autant qu’ils le peuvent sous le couvert de la piétaille. Mais tandis que les assaillants progressent, les défenseurs de Lidan reculent en direction du donjon. Ce dernier, refuge inestimable en cas de siège, est une place forte qu’il sera difficile de leur faire quitter. C’est pour cette raison que Gorneval, accompagné de Périnis ainsi que du reste des cavaliers s’en vont couper la retraite à leurs ennemis. Pris à revers, Gwendal doit faire face à une composante de plus qu’il n’avait pas prévue. La présence des fantassins est déterminante ; il avait pourtant usé de cet atout, étant jeune pour prendre les forces de Dinas à défaut. La quantité des hommes de traits, force le vieux souverain à retourner sa défense pour faire face aux cavaliers ennemis. Ces derniers ne montrent pas le moindre signe d’hésitation et entament les rangs adverses, forts de leur deuxième souffle. L’habileté manœuvrière des cavaliers saisit les lanciers de stupeur. Derrière eux, le combat continue, plus enragé d’instant en instant. Mais malgré la supériorité numérique, le nombre des fantassins décline vivement. De la rapidité des cavaliers de Périnis, dépend désormais la survie de la Vallée des Larmes.

Sur deux fronts, les soldats de Gorneval, parviennent à juguler la hardiesse des lanciers. Elle les étouffe pour les abattre, charge les rangs sans vergogne, et malgré les pertes considérables, renouvelle ses lignes. Il existe un tel acharnement au cœur du combat que les lanciers sont pratiquement tous désarçonnés dans la même et ultime vague qui les projette au sol. Une fois à terre, les fantassins de Périnis, fondent sur leurs ennemis et, tels des centaines de vampires assoiffés de sang, recouvrent les misérables de leur couleur sombre. Des ennemis de la couronne, seuls quatre hommes parviennent à s’extirper de la meute furieuse, pour s’enfuir. Profitant de l’affolement généralisé, ils se faufilent le long des couloirs étroits pour enfin parvenir à la sortie de la citadelle. Leur souffle est court et leurs yeux trahissent une peur bien présente. Gwendal et son armure dorée, fait parti des quatre échappés. Ils bondissent rapidement par-dessus les centaines de corps immobiles qui forment le parterre de Lidan. Ils usent de tous les subterfuges pour gagner un temps précieux. Cependant, alors qu’ils arrivent sur le parvis de la citadelle, se dresse devant eux, un chevalier en armure, l’arme au poing et le visage recouvert d’un heaume aux couleurs incertaines. De la boue, du sang coagulé et nombre de bosses, parsèment sa cuirasse et trahissent son courage. Il porte les couleurs de la Vallée des Larmes, tout comme Gorneval, mais il n’est pas le Roi. Sa voix résonne, chevrotante mais empreinte d’une sévérité toute puissante.

“ Jetez vos armes ! ”

Le courage fait subitement défaut à Gwendal et à ses gardes, peut-être par craintes, mais aussi et sûrement par lassitude. Ils ont tant vu de morts, tant croisé de regards agonisants que leurs corps ne peuvent plus supporter la charge d’une nouvelle attaque. Quoi qu’il en soit, Gwendal n’est pas décidé à rendre les armes pour autant, et incite ses hommes à se jeter à l’assaut de ce cavalier impétueux. Les trois hommes bondissent, boucliers en avant. Le premier d’entre eux est bousculé par les ruades du cheval et perd l’équilibre. Le cavalier de la Vallée des Larmes, redresse sa monture aussitôt et évite la charge des deux autres. Ces derniers se jettent à nouveau sur lui, mais cette fois, d’un geste ample il déchire les boucliers d’un seul coup de fléau d’arme. Les hommes, stupéfaits et découverts, tentent de blesser le destrier. Ils rencontrent l’épée de leur ennemi. Ce dernier cabre sa monture et en retombant, assène un terrible coup d’épée. Un garde s’effondre, le visage en sang, sans même pouvoir exprimer le moindre cri. Le second, piétiné par la bête, perd connaissance et rejoindra ses victimes un peu plus tard. Restent en face du cavalier, Gwendal et son dernier garde. Celui-ci, empoignant un pic, s’élance vers le capitaine. Mais au moment où il choisit de porter son coup, la lame de son adversaire, lui tranche la gorge. Il s’écroule dans un bruit étrange de métal et de boue ; le silence accompagne ses derniers grognements désarticulés.

“ Je voudrais que mon nom vous suive jusqu’en enfer et qu’il vous hante pour l’éternité ! ” 

“ Quel est-il ? ”

“ Wilfried, chevalier et capitaine de la Vallée des Larmes. Vos hommes ont détruit ma vie comme celles de milliers d’autres. N’oubliez pas cela lorsque je vous aurai au bout de mon arme, juste avant que je porte le coup de grâce ! ”

“ Quelle prétention jeune homme, voyons ce que vous valez à terre ! ”

Wilfried encore bouleversé par le décès de sa compagne, ne peut attendre plus longtemps. Il saute de sa selle et met en garde son adversaire. Les deux hommes s’observent un instant. Gwendal jauge le jeune homme en le taquinant. Les nerfs de ce dernier sont tant irrités qu’il se lance corps et âme dans son combat. Ses coups sont moins vifs et moins éclatants au fil du temps, comme s’il perdait confiance ou s’il perdait espoir. L’homme à l’armure d’or en profite pour prendre le combat à son compte. Il brise l’épaulière de Wilfried d’un coup si rapide que sa victime n’y entend rien. Puis il le frappe du plat de son arme dans les cotes. La douleur plante ses crocs dans son flan et l’oblige à courber l’échine. Un genou à terre, il ne lâche pas pour autant son arme. Au loin, sourdent les cris puissants de Gorneval, Audret et de Périnis qui galopent en sa direction. Croyant être celui qui doit abattre l’usurpateur du trône, il se redresse au mépris de ses douleurs. Il se tient les cotes et tente de poursuivre. Gwendal, le visage radieux, le frappe à nouveau avec violence. Wilfried s’écroule. A genoux, la tête baissée, il serre les mâchoires tant qu’il peut pour tenter désespérément d’oublier sa douleur. Il voudrait tant réussir à venger Emilie que sa vie passe au second plan. Il a subitement honte de ce corps qui le fait souffrir alors qu’il devrait le soutenir ; honte de cette envie de tout arrêter et de demander grâce. Gorneval et Périnis sont encore à quelques encablures d’eux lorsqu’il trouve la ressource suffisante pour se redresser. Le visage décomposé de douleur, il lève le bras si mollement que Gwendal en profite pour enfoncer la pointe de son arme dans sa poitrine. Les yeux du jeune garçon s’ouvrent en grand. Après la douleur, c’est la stupeur qui gagne son visage. Il ne faudra pas longtemps pour que l’hémorragie lui soit fatale. Gorneval sera à ses cotés, le tenant affectueusement entre ses bras puissants, mais pas encore assez pour lui rendre la vie. Il regarde Périnis et Audret poursuivre Gwendal envers lequel il tente vainement de ne pas avoir de haine. Mais sans lui, rien de tout ce drame ne serait arrivé. Il regarde l’immense siège devenu charnier; il regarde la citadelle défigurée par les flammes, par la mort et par sa haine et s’imagine le château de la Vallée des Larmes. Il réalise qu’il n’existe plus ici bas, d’endroit où il aurait possibilité de vivre en paix.

“ Quelle erreur ai-je commise ? Pourquoi n’avons nous pas eu de deuxième chance ? ” Murmure le Roi à l’oreille inattentive de Wilfried, sans attendre de réponse.

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