I

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Le visage de Gorneval, rongé par les ténèbres, reste immobile. Il ressasse ses vieilles défaites et tente de comprendre le sens de sa vie. La souveraineté du royaume de Lidan est une chose difficile à assumer seul. Les combats et ancestrales querelles, ne le font pas se sentir plus concerné. Seule Cassandre parvient à retenir son attention, parmi toutes les pensées qui jaillissent des tréfonds de son âme. Son visage de porcelaine irradie l’atmosphère d’une beauté lumineuse et parfaite dont il ne croyait pas se souvenir avec autant de précision. Mais rapidement, les remords le rongent. – Comment savoir s’il n’existait pas d’autres soldats avec les deux gardes de Lidan ? – dans ce cas, l’existence et la position du château de la Vallée des Larmes, a du être communiquée aux autorités de Lidan. – Il faut se tenir prêt à une éventuelle attaque, si toutefois ces hommes venaient bel et bien de là-bas. Le fait qu’ils aient menti, laisse imaginer qu’ils aient pu mentir tout au long de leur discours. – Quoi qu’il en soit et d’où qu’ils aient pu venir, il faut considérer le château comme étant en danger d’invasion. – se dit-il en sortant brusquement de la chambre. Ses pas le mènent jusqu’aux appartements d’Audret qu’il fait appeler pour réunir les autorités militaires des lieux. Enfin, il rejoint tout le monde dans la grande salle du trône pour y tenir un discours.

Ses paroles sont dures, peut-être trop directes, mais expriment de façon parfaite l’état d’esprit du chef absolu de Lidan.

“ Je veux l’état des lieux complet des effectifs et des armes dont nous disposons pour défendre le site. Par ailleurs, je veux que soient nommés des gardes pour que soient organisées des rondes tout autour de la vallée. ”

Périnis laisse Gorneval terminer. Il attend que tout les preux en présence, quittent la salle. Une fois que les deux hommes sont seuls, le premier chevalier, s’approche de son ancien élève, le visage baissé.

“ Vous pouvez dors et déjà compter sur l’armée de la Vallée des Larmes. ”

“ Combien cette armée compte d’hommes dans ses rangs ? ” demande Gorneval, subitement très curieux, mais sans trop y croire en apparence.

“ Quelque six cent soldats… ” Répond Périnis, un sourire victorieux sur les lèvres. Une sensation sans commune mesure envahit son corps tout entier ; ses yeux se mettent à briller et son cœur libère enfin la gloire qu’il retenait prisonnier jusqu’ici.

“ D’où viennent autant de guerriers ? ”

“ Depuis que vous êtes enfant, j’ai pris sur moi de mener à bien, l’encadrement et la formation d’une armée complète, avec l’aide des sujets les plus brillants de nos rangs. Les soldats qui ne comptent pas moins de cent chevaliers et cent arbalétriers, sont issus des villes et villages voisins. Tous sont sous vos ordres et attendent depuis bien longtemps l’ordre de votre part, de mener à bien la campagne contre Lidan. ”

Gorneval n’arrive pas à croire ce que son plus proche conseiller lui avoue subitement. Les mensonges par omission sont pour lui, comme des aveux de trahison. Mais d’un autre coté, en réfléchissant, il constate qu’il n’est pas en position pour refuser l’aide providentielle que représente une armée de six cent hommes entraînés et armés. – Au fond, peut-être m’en avait-il déjà parlé ? – ajoute t-il pour se donner bonne conscience.

“ Que la défense soit organisée par cent de ces hommes ! Que les plus valeureux chevaliers soient convoqués ici même, demain. ”

Sur ces paroles, le jeune homme tourne le dos à son ancien maître d’armes et sans mot dire se retire dans ses appartements. Le visage de Périnis pâli et celui du Roi rougi de colère. Cassandre est peut-être loin de ses pensées, mais elle reste toujours aussi près de son cœur. Elle adoucit ses élans de folie destructrice et apaise lentement sa rage. Il considère le nouveau mensonge de son ancien maître, comme une seconde trahison et cette idée l’emplit d’une sorte de haine étrangement mêlée à une admiration profonde. Si son premier chevalier est si prévenant et prévoyant, tout le mérite d’avoir mené à bien une armée de métier, lui revient. Son mensonge devient alors un détail dans l’immensité d’avantages que cette armée lui apporte.

Au lendemain de cet entretien, Gorneval se décide à réagir vivement et rapidement au danger qui se profile à l’horizon. Accompagné de son éternel compagnon Audret, il parcourt la vallée, encore baignée d’une brume caressante. L’instruction militaire du chevalier aide beaucoup le Roi à entreprendre la défense du château. Ce dernier compte mettre en place pas moins de cent hommes à différents postes de gardes tout autour du site de la vallée. Par ailleurs, en accord avec Audret, et plus tard avec Périnis, il met en place une défense passive qui comportera pièges et abris pour que toute attaque puisse être maîtrisée, même en cas d’infériorité numérique.

C’est ainsi que dans la matinée, les travaux sont entrepris. Une grande nervosité, comme il est rare d’en sentir en ces lieux, s’empare des collines avoisinantes. Des centaines d’hommes et de femmes se mettent à pied d’œuvre pour préparer le terrain, creuser, déblayer et camoufler les abris. En marges de ces derniers, où deux ou trois hommes peuvent se glisser, Gorneval désire que soient creusés des pièges. A l’intérieur de ceux-ci, sont soigneusement disposés trois ou quatre épieux et à la surface, les trous sont recouverts de branchages en tout genre, s’harmonisant de manière parfaite avec l’environnement initial. En quelques jours, Périnis et son Roi peuvent admirer les fruits des efforts consentis par les villageois et les futurs guerriers. Le château devenu forteresse, attend désormais ses assaillants avec une froideur et une distance qui ne lui était pas coutumière. Le preux sent subitement tout son être, se gonfler d’une fierté magnifique qui l’emmène aux confins de ses rêves les plus fous. Il se surprend alors à imaginer une nouvelle fois que le combat contre Gwendal, est possible. Son élève, devenu un Roi surprenant, n’en est pas moins un guerrier redoutable ; cependant, il ne saisit pas encore l’importance de Lidan, ni celle de la stratégie militaire. Il se fait fort de lui apprendre les bases de cette dernière, mais pour le reste, seul le temps est capable de lui montrer la voie.

Malicieusement, Périnis parvient à attirer l’attention du jeune souverain sur ses devoirs sacramentaux et réussit à lui faire consentir de recevoir écu et couleurs.

“ A vous entendre, le combat devient inévitable ? ”

“ Il n’y a rien d’inévitable ici ! Je ferais ce qui est mon devoir de souverain quand le moment se présentera ! ”

“ Avant cela, je vous demanderais de choisir écu et couleurs pour créer une unité dans les rangs. ”

“ Je ne connais point les usages ! Quels étaient l’écu et les couleurs de mon père ? ”

“ Son écu était celui de la forteresse de Lidan : Il représentait un dragon jaune sur ses couleurs bleue et blanche, peintes en parti. ”

“ Mon écu armorié sera le même que mon père, à la différence près que les couleurs se partageront un bouclier écartelé. Je ne voudrais pas que la toute puissance de mon père soit remise en cause ; je ne représente après tout qu’une modeste partie de son être. ”

Périnis n’ajoute rien et quitte son maître. Il retourne au château en laissant le souverain, s’appesantir sur des pensées toujours plus noires, toujours plus avides de réponses qu’il est incapable de trouver.

La remise des couleurs se fait deux jours plus tard. Dans la grande salle du trône, Gorneval retrouve les mêmes sujets que d’ordinaire et Périnis en chef de file. Il tient entre ses mains le bouclier écartelé du monarque. Un dragon est peint avec délicatesse au centre des couleurs. Le bleu est sombre et le blanc est lumineux. Le Roi réalise que ce bouclier l’engage dans une voie qu’il n’a pas choisie mais qu’il est le seul responsable de cette erreur. Une armure rutilante est apportée à la suite du bouclier ainsi qu’une lance attenante à un fanion aux couleurs bleues et blanches. L’armure est magnifique. Lustrée est éclatante, elle porte en relief, les armes de Lidan. Dressée sur pied, elle donne l’impression de porter la vie en elle. Le jeune homme est comblé. Dans son regard devenu terne, resplendit une passion nouvelle, une excitation d’enfant devant sa première armure. Il oublie ce que représentent ces armes et se laisse aller bien involontairement, sur les pentes abruptes d’une joie réparatrice.

Alors, quand la cérémonie s’achève et que lentement, la salle se vide, le Roi continue d’observer sa nouvelle armure. Il imagine l’allure que ces simples bouts de métaux, lui donneront une fois qu’il la portera. Une foule d’images se bousculent dans sa tête. Il redevient l’espace de quelques instants, le chevalier merveilleux qui jalonnait jadis ses rêves d’enfant. Orphée, Titane et maintenant l’armure et les couleurs. Le chevalier de ses rêves a transpercé la barrière opaque de ses rêves impossibles pour fondre sur lui et s’emparer de sa vie, à sa plus grande joie. La cuirasse de métal est amenée dans ses appartements et ses couleurs, accrochées au mur en face de son grand lit. Titane y a sa place. Selon la coutume, elle devrait partager le mur avec la vieille épée de Dinas. Mais cette dernière à été brûlée avec le corps de feu le Roi puis enterrée sous la stèle du souverain. Gorneval ne pouvant imaginer se défaire de son arme, préfère la garder à sa taille, tout comme il préfère conserver encore l’armure légère du prince Ogrin. Ses yeux glissent sur l’armure magnifique qui se tient dans l’angle Ouest de sa chambre. Il se délecte des reflets francs et blancs de cette cuirasse étrange au pouvoir subjuguant. Plus tard, le jeune homme sombre dans le sommeil alors que de l’autre coté de la vallée, Gwendal bouillonne d’idées pour aller conquérir le château de la vallée inconnue. Périnis, son ennemi d’hier, jaillissant à nouveau des entrailles putrides de ses souvenirs ensevelis, brise son rêve d’éternité. Le fils de Dinas l’avait impressionné lors de la joute tant ses faits d’armes étaient remarquables. Son agilité, sa rapidité et son sens du combat, le rapproche de manière spectaculaire du Dinas de ses souvenirs. Mais le fait d’avoir fait abattre ce dernier, ne l’inquiète pas outre mesure quant à sa victoire prochaine sur son fils, quel que fut son maître d’arme. D’autant plus que Dinas possédait une armée aux chevaliers redoutables, ce que ne possède pas son fils.

Gwendal se fait entourer des trois meilleurs chevaliers de son royaume et met en marche une armée réduite en direction de la Vallée des Larmes. Le pas des troupes est lent, pesant même, mais les hommes respirent la victoire. Une sorte d’assurance pleine et sans partage, illumine leurs faciès de guerriers sanguinaires. Les fantassins entraînés aux plus rudes épreuves ont déjà fait valoir de nombreux faits d’armes au travers des vallées voisines. Sans jamais avoir eu à concéder la moindre défaite, les hommes de Lidan, marchent avec la ferme conviction d’aller guerroyer en terrain conquis. Le souvenir des tactiques du Roi d’antan, revient à la surface de la mémoire de Gwendal. Une image d’une clarté étonnante, resurgit depuis l’infini de sa mémoire déchirée, celle de l’unité des cavaliers de Dinas. Leurs silhouettes noires, leur uniformité à combattre et leur adresse mémorable. Mais tous ces hommes étaient tombés face à la masse écrasante des fantassins. Alors, en se retournant, le nouveau Roi, tout en pensant à cela, admire le corps rectiligne que forme ses quelques cinq cents gens de traits et fantassins. – Ils suffiront bien à prendre ce château si frêle, si fragile en haut de sa petite butte de terre maudite ! – ajoute t-il en ayant une pensée fugitive pour sa fille. – Tout cela ne serait jamais arrivé, si cet Ogrin n’était pas venu à Lidan ! –

La triste colonne d’hommes en route pour la Vallée des Larmes, se meut avec une lenteur abominable le long des modestes vallons verts. Lances et boucliers levés, les fantassins marchent avec assurance et rigueur. Ils franchissent sans le moindre problème les collines les plus élevées et traversent la forêt avec une cohésion parfaite. Au sortir du bois, ils se mettent à disposition de leurs chefs de files et chacun d’entre eux, sous les ordres répétés et fracassants de Gwendal, se dispersent en des positions stratégiques. Le château se dessine sur fond de ciel voilé et les hommes du Roi au titre usurpé peuvent distinguer les traits des tours de la petite forteresse.

Un garde de la Vallée des larmes, entendant du bruit se dégager des buissons et des fourrés alentours, décide de s’avancer lentement vers leur source. D’un œil curieux, il fouille avec attention chaque recoin de sa zone sans apercevoir la moindre armure, le moindre fer de lance. En face de lui, les respirations sont bloquées, les oreilles aux aguets et les yeux rivés sur chaque faits et gestes du garde. Celui-ci, détourné de son point d’attention par les injonctions de l’un de ses confrères, oublie ses recherches infructueuses. Il s’en va d’un pas rapide vers le haut de la colline et rejoint ainsi quelques cinq autres gardes portant les mêmes insignes. Ils discutent entre eux, riant aux éclats et oublient un temps seulement, leur tâche à accomplir. C’est justement cet instant précis que choisit Gwendal pour demander à chacun de ses sujets, de se redresser et de faire face au château. Les chefs de file commandent la levée et chaque homme se lève avec vigueur. Les gardes, interpellés par ce mouvement soudain, prennent peur et tentent de fuir.

Une première charge est donnée. Une centaine d’hommes sautent les buissons et autres fourrés qui les camouflaient et bondissent d’un seul corps, en direction du point final de leur course. Sur leur bruyant passage, ils attrapent et massacre les cinq gardes puis poursuivent leur route. Chaque versant du château est associé à une compagnie de guerriers. Du haut des tourelles, les premières vigies à voir apparaître les assaillants, appellent d’un cri désespéré, pour que la défense soit activée au plus tôt.

Un bref instant de flottement dans les rangs, la rend moins efficace qu’elle aurait dû être. Gorneval est réveillé en sursaut par Audret déjà vêtu de son armure de combat, l’épée à la ceinture et le heaume sous le bras. Le Roi se dresse d’un bond et regarde par la fenêtre. Il voit les brasiers s’enflammer, des hommes courir, tomber et se relever. Il voit des dizaines de guerriers faire bloc derrière les blessés et les morts pour avancer à l’abri des jets de flèches. Des cris terribles filtrent de ce charnier innommable, que s’apprête à devenir sa vallée chérie. Depuis les archères, les défenseurs, visent avec justesse et abattent bon nombre des fantassins qui parviennent à franchir la première rangée de pièges. Tous les autres disparaissent silencieusement et s’empalent sur les épieux effilés, sans pouvoir esquisser le moindre geste.

Le regard froid de Gorneval se penche avec un écœurement sans commune mesure. Il se sent responsable de cet abject massacre. Malgré cette terrible impression, il bondit dans les couloirs et s’en va rejoindre la défense du château. Il n’a pas eu le temps d’enfiler son armure de combat et sort de ses appartements en armure légère. Titane à la ceinture, il demande rapidement à ce qu’Orphée soit sellé. Sur ce, le maître d’armes arrive aux cotés de son ancien élève. Ses paroles sont bien souvent couvertes par les cris perçants des guerriers et par le fracas des armes contre la porte du château.

“ Gwendal nous a surpris. Nous ne pouvons plus sortir ! Il faut tenter de tenir le siège aussi longtemps que possible en essayant de prévenir les troupes qui se trouvent à quelques kilomètres d’ici ! ”

Le souverain inquiet, ne peut comprendre l’effroyable piège dans lequel il a précipité la Vallée des larmes. Audret, non loin de là, regarde son maître et laisse transpirer de ses yeux rougis par un manque de sommeil évident, une absolue détresse. Il reconnaît lui aussi la part de responsabilité qu’ont les deux hommes dans le carnage de cette triste journée.

Sous les assauts répétés, la petite forteresse résiste avec un aplomb remarquable. La centaine d’arbalétriers qui se trouvent dans les murs, combattent avec une farouche envie de vaincre. En face d’eux, la horde de barbares sanguinaires apporte rapidement un bélier sur le champ. Ces hommes, sans foi ni loi, traversent la petite colline qui domine la vallée, avec une ardente volonté de tuer. Ils traversent avec une indifférence terrible, les sillons que forme le sang de leurs alliés. Gwendal ne se montre pas, ses chefs de file non plus. Les vigies du château voient bientôt débouler sur la vallée, une effervescence redoutable avec l’arrivée du bélier. En un éclair, les porteurs touchés ou tués, sont remplacés et l’engin arrive à proximité de la porte. Les arbalétriers redoublent de vigueur, mais la masse de fantassins interdit tout espoir de voir finir ce flot ininterrompu d’hommes aux visages pétrifiés de rage.

Un cavalier est choisi parmi les meilleurs de la couronne. Le souverain, pour l’avoir vu grandir, préfère l’un de ses protégés pour aller quérir le renfort dont il a besoin. Ce dernier, harnaché d’une cuirasse noire comme l’étaient les soldats de Dinas, est amené devant son maître. Armé, puis casqué, le garçonnet se voit attribuer une monture, puis une arme. En un éclair, sous les ordres du souverain, il passe du rang d’écuyer à celui de chevalier de Lidan.

“ Ewan, ton rôle est des plus importants. Saches que si je pouvais le faire, je viendrais avec toi ! Sois courageux et ne compte que sur toi-même ! ”

Le nouveau chevalier bondit en avant et longe les remparts du château. Bientôt, au coin de l’une des tours, une petite porte secrète s’entrouvre, offrant au cavalier, juste assez de place pour qu’il s’y fraye un passage, lui et son cheval. Le jeune homme, bien plus jeune encore que son souverain, représente un espoir incommensurable dans ses plans. La réussite de sa mission est primordiale dans la survie de la couronne légitime. La confiance qu’il voue à ce garçon est sans partage. Le courage et l’habileté de ce dernier sont remarquables et il sait qu’il était le seul homme de ce château à être capable de réussir la mission.

En attendant le retour triomphal des soldats de la Vallée des Larmes, la défense du château se fait de plus en plus difficile. Il faut maintenant composer avec la présence du bélier. Gorneval propose une sortie des quelques chevaliers sur place afin de créer une diversion et d’entraîner les soldats de Gwendal dans un piège en attendant les renforts. Périnis s’y oppose, laissant le Roi impuissant face à la monumentale masse de guerriers qui assiègent la vallée. Il peut voir sous son regard abruti de douleur, ses propres hommes tomber, agoniser, sans pouvoir rien faire pour les aider. La folie dévastatrice qui envahie les lieux, va jusqu’à l’entraîner à son tour dans une spirale de délire. Il bondit sur chaque blessé à l’intérieur de l’enceinte, pour tenter de leur apporter des soins. Rares sont ceux qui en ont besoins. La folie de la guerre blesse les hommes à mort sans pour autant leur faire perdre connaissance immédiatement. Il constate toutes ces blessures autour de lui et prend peur. Ses yeux se remplissent des larmes d’une incompréhension absolue. Rapidement, son esprit devient le siège de visions atrocement barbares. Des flèches traversant la gorge des sentinelles, le spectacle de l’agonie de ses hommes de traits, le sang qui coule des plaies béantes laissées par le passage de pierres affûtées ou les mutilations occasionnées par des projectiles en tout genre, offre un spectacle éminemment douloureux pour un novice comme lui.

“ Ne puis-je donc rien faire pour stopper cette guerre ? ”

Périnis le regard froid voudrait prendre son élève dans ses bras mais ne le peut pas. La vérité est difficile à accepter. Son Roi fait ses armes comme il les avait faites quelques années plus tôt, aux cotés de Dinas.

“ Pour que cela s’arrête, il faut que Gwendal tombe ! ”

Les paroles du preux sont une nouvelle fois couvertes par le choc retentissant du bélier contre la grande porte d’entrée. Le maître d’arme tire son élève vers lui et l’emmène hors d’atteinte des projectiles en feu.

Très vite, les toits en poivrière des bâtiments, prennent feu. Les pierres attenantes aux toitures commencent à s’effriter et des éboulis fauchent parfois des gardes en plein combat. Gorneval dont le regard commence à peine à se familiariser avec l’atrocité de la guerre, se sent lâche, triste et sans utilité, tapi comme un rat au fond de son trou, attendant pour en sortir que son ennemi soit tombé. Alors, prenant son courage à deux mains, bravant la pluie de flèches enflammées, il courre jusqu’aux écuries, poursuivi par Périnis. Avec lui, Audret, tout autant motivé que son maître, grimpe sur son destrier. Guènelon sortant de nulle part, accompagne le jeune Roi. C’est ainsi que Wilfried jaillit lui aussi des logements en feu, accompagné d’Emilie, tous deux vêtus d’armures de combat. Ils grimpent lestement sur des chevaux et se mettent à disposition du souverain. L’ouverture de la porte implique l’envahissement du château. Cependant, à en croire Audret, la défense pourra s’organiser de meilleure manière si les ennemis sont à l’intérieur de la forteresse.

Gorneval demande si les vigies aperçoivent les renforts. L’homme fait signe que non. Le Roi réfléchit encore. Il se tient devant ses meilleurs chevaliers, prêt à entrer dans l’arène de la folie destructrice. Il ne sait pas vraiment ce qui l’attend derrière mais sait seulement qu’en tant que Roi, il aimerait mourir comme son père. Il hésite, essaye de s’isoler du vacarme ambiant pour pouvoir se décider et regarde ses compagnons en tentant de déceler en eux, la solution qu’il cherche. La porte devant lui cède lentement sous les coups de boutoir de l’armée de Gwendal. Cet instant tragique n’est pas sans rappeler à Périnis la terrible attente de ses troupes lors de l’envahissement de Lidan. Il aimerait que son protégé fasse le bon choix pour que le passé ne se reproduise pas. Les images se superposent. Le visage d’Isaac se superpose à celui d’Audret. Le passé resurgit violemment des entrailles du temps pour rappeler au premier chevalier du royaume, que le pire est à craindre. Le pire n’est jamais décevant, se dit-il.

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