II

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Transi d’une affliction dont il ne pouvait se douter de l’importance, Gorneval se retranche dans sa chambre. Les yeux fermés, la tête enfoncée entre ses bras croisés, il s’oblige à oublier les images qui parsèment son esprit effondré. Appuyé contre les montants de son lit, le jeune homme se doute que des recherches ne mèneront à rien mais il se fait violence pour persévérer dans son espoir. Si Cassandre n’a rien dit avant de partir, il est encore possible d’espérer qu’elle l’ait fait en croyant revenir très vite. Cependant, le visage de la servante baigné de cette terrible expression de culpabilité, le laisse dans l’expectative la plus complète. – Oriane sait peut-être des choses qu’elle ne veut pas dévoiler ! – Le Roi n’arrive pas à se convaincre que la plus proche servante de la princesse puisse ne pas connaître les motivations de sa maîtresse.

Il bondit hors de sa chambre tout en s’armant de sa vieille armure rouillée, les yeux encore humides de ses larmes. Il retrouve Audret dans ses appartements et l’invite à le suivre sans lui donner plus d’explications. Le chevalier suit docilement son Roi et ami et attend d’être aux écuries pour entendre à nouveau sa voix.

“ Il faut retrouver Cassandre. La princesse a disparue sans laisser de traces. Nous devons partir à sa recherche ! ” Fait-il en grimpant rapidement sur Orphée.

“ Mais avez-vous ne serait-ce que la moindre idée d’où elle peut être ? ”

“ Non, pas la moindre ! Mais une princesse en voyage ne doit pas être difficile à retrouver. ”

“ Ne croyez pas cela ! Le Royaume de Lidan est le plus vaste du continent ! ”

“ Aucune distance ne saura me faire renoncer à retrouver celle que j’aime ! ”

Audret s’incline et ne souffle plus un mot. Il enfourche son cheval et suit Gorneval, déjà parti.

Les deux hommes ne se font pas questionner par les gardes qui les laissent passer sans s’apercevoir que le Roi figure parmi eux.

Les chevaux mènent les deux cavaliers jusque sur le plateau de Lidan. Le ciel est encore assez bas pour l’heure mais l’horizon est clair.

“ Une femme partie il y a quelques jours peut-elle être encore à la portée de deux hommes à cheval ? ”

“ Je ne crois pas ! ”

“ Et si nous commencions nos recherches par la citadelle ? N’est-ce pas l’endroit le plus sûr pour se cacher ? ”

Audret ne répond rien. Le jeune homme est affligé de voir combien son ami perd la notion des réalités. Son amour brisé se transforme en une sorte d’obsession qui corrompt ses priorités et anéanti celui qu’il était. Le chevalier regarde le Roi sans pour autant parvenir à percevoir dans ses yeux, le reflet de la sérénité.

“ Etes-vous sûr de ce que vous dites ? ”

“ Parfaitement ! ” lance le Roi avec une sorte d’assurance forcenée qui passerai inaperçue si toutefois Audret ne le connaissait pas aussi bien.

Son ami n’ose parler, n’ose exprimer la peur que lui inspire cette subite explosion de confiance surdimensionnée. Il ne saurait trouver les mots justes pour lui exprimer sa crainte de voir Gorneval sombrer dans la folie.

“ Je ne crois pas qu’elle se cache ! ” trouve t-il seulement à dire pour tenter maladroitement de rappeler son ami à la raison.

“ Peu importe le terme ! Cassandre est partie et mon cœur saigne ! Nous n’avons pas de temps à perdre. ”

“ Oriane ne vous a t-elle pas dit que vous auriez des nouvelles ? Je suis persuadé que Cassandre est partie avec de bonnes résolutions. Une princesse tient toujours parole ! ”

Le Roi stoppe sa monture et se retourne lentement vers Audret. Le visage du souverain est livide. Dans son regard, le jeune chevalier parvient à saisir la plus terrible expression de désespoir qu’il ait eu l’occasion de voir de sa vie. Son cœur tressaille et la peine que lui inspire son ami, est sans égale. C’est avec une sincérité exemplaire qu’il s’adresse à lui.

“ Je crois qu’il vaudrait mieux attendre de ses nouvelles. Elle a fait une promesse qu’une princesse se doit de tenir. ”

Gorneval cède lentement à la raison d’Audret. Depuis le départ de Cassandre, il ne peut qu'attendre car il ne saurait retrouver une femme partie depuis plusieurs jours sur des terres de plusieurs milliers d’hectares. Son cœur ne veut pas se résigner et le souverain continue de croire qu’il est encore possible de la retrouver ; qu’elle se cache peut-être dans la citadelle ; qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, si toutefois la retrouver est bien faire.

Les paroles de son ami résonnent dans sa tête comme le tonnerre d’un jour d’orage. Elles le font sursauter de terreur, une terrible et angoissante appréhension qui lui font craindre de ne plus jamais la revoir. Plusieurs fois déjà, il s’est surpris à n’envisager d’avenir qu’avec sa princesse ; mais désormais, alors qu’il faut se décider à abandonner des recherches qu’il n’a pas même commencées, son cœur s’obstine en de vaines croyances.

“ Est-il possible que je ne la revoie jamais ? ”

“ Bien sûr que non.” répond Audret, catégorique, qui rassure un instant Gorneval et permet aux deux hommes de s’engager sur la route du retour.

Cependant, le Roi n’a pas encore abandonné l’idée de trouver Cassandre au cœur de la citadelle de Lidan. Il tente alors de freiner autant qu’il le peut les pas d’Orphée pendant que ses yeux fixent forteresse. Les deux hommes sont à distance respectable des murailles de Lidan lorsque le Roi décide de lancer son destrier dans un galop effréné en direction du haut de la colline. Audret, prit de vitesse, ne peut le rattraper avant qu’il ait atteint les douves et que le pont-levis soit abaissé.

“ Gorneval ! Quelle erreur commettons-nous ? ”

“ Je ne serai pas rassuré tant que je n’aurais pas vérifié par moi-même ! ”

Audret ne peut que s’incliner face au choix de son Roi. Il le suit alors docilement jusque dans la citadelle.

Dans les rues de Lidan les deux hommes ne peuvent qu’observer une grande quiétude, une sorte de paix magistrale, qui enveloppe les habitants de cette cité bénite. Les fluctuations de la vie entraînent les femmes et les hommes de la cité sur un chemin paisible pour la survie et pour le bonheur. Au milieu de cette quiétude, les deux cavaliers vêtus de leurs armures fouillent du regard, les moindres recoins sans remarquer combien leur présence est dérangeante. Les deux chevaliers traversent ainsi des ruelles lumineuses et calmes. Ils croisent des centaines de gens au visage éclairé qui les regardent avec crainte.

“ C’est une folie de chercher quelqu’un ici ! ” lance Audret, totalement découragé par le travail qu’il faudrait abattre s’il fallait retrouver son égérie au milieu de cette cité.

Malgré toute la bonne volonté qu’il pourrait y mettre, le chevalier ne croit pas une seule seconde qu’ils puissent retrouver la princesse ici. Il ne dit rien à son compagnon et le laisse prendre conscience du gigantisme absurde de l’entreprise.

Le Roi se retourne vers son ami, le visage défait et recouvert d’une rage sans équivoque.

“ Je ne sais pas renoncer... mais je sais qu’il est inutile d’aller plus loin ! ”

Audret comprend bien ce que lui dit son maître. Au creux de lui il ressent la même sensation étrange de devoir poursuivre pour ne pas perdre espoir. Mais la raison imprime avec force le seul choix possible sur la passion. Les deux hommes arrêtent leurs destriers au milieu d’une petite ruelle pavée baignée d’un soleil radieux.

“ Il est des choses contre lesquelles on ne peut rien. Son départ n’est peut-être qu’un voyage de quelques jours. Essayez de croire à cela en attendant de ses nouvelles. ”

Gorneval ne dit rien. Une insane colère contre son ami, monte en lui. Les paroles qu’il lui distille lui font mal parce qu’elles représentent ce dont il faudrait qu’il se persuade sans y parvenir pleinement.

“ Il faut admettre pour quelques temps, que Cassandre est partie et va revenir. Je veux croire encore à notre bonheur et surtout à la sincérité qui nous liait. ”

En prononçant ces quelques mots, le Roi se remémore avec peine et douleur la dernière fois qu’il a vu Cassandre. Les dernières paroles qu’elle a prononcées l’ont glacé de terreur. Il se souvient avec une précision étonnante chaque instant de leur dernière entrevue. Mais le moment dont il se souvient le mieux est sans doute l’instant qui a précédé son départ. Alors baigné d’une atmosphère pesante et poisseuse d’un mystère troublant, la scène paru surnaturelle. Au creux de lui flottait encore la douceur des caresses de la princesse et la chaleur de son étonnante affection. Mais brusquement, alors qu’il tentait de savoir quand il pourrait venir la revoir, le visage de cette dernière a changé d’expression. D’une quiétude absolue, son expression est devenue coupable, teintée d’une nostalgie anticipée qui lui fit pencher la tête sur le coté tout en le regardant d’un œil attendri. Son visage reflétait la pitié qu’elle pouvait avoir envers lui ; une pitié motivée par la douleur que pourrait lui faire son départ prochain et dont elle n’avait point fait mention. Elle ne dit rien d’autre que de vagues excuses, tout en promettant des choses dont il savait pertinemment qu’elle ne tiendrait pas. Mais par amour, son cœur l’a forcé à croire à ces mensonges de convenance, ces mensonges qu’elle a dit, tout en espérant qu’Ogrin comprendrait qu’ils étaient là pour lui éviter de souffrir. Revivre ces instants difficiles, est une chose terrible pour lui. Mais le moment le plus douloureux à revivre est sans doute l’instant où la gracieuse princesse, belle et lumineuse d’une énergie nouvelle, débarrassée des reflets ternes qui traversaient son être, s’en est allé.

Cassandre, droite et parfaite, s’est enfoncée dans la nuit en emportant avec elle cette maudite ambiguïté qui déchire aujourd’hui seulement le cœur de Gorneval. Elle s’est retournée et d’un œil sincèrement attendri par la peine que devait dégager le visage du prince Ogrin, s’est adressée à lui. Les choses qu’elle tentait de lui faire savoir, il ne les comprend que maintenant au travers d’un souvenir précis. Elle pensait déjà à partir et rien ne pouvait la retenir. Telle une colombe assoiffée de liberté, elle allait prendre son envol pour toujours, naviguant à vue jusqu’aux rivages flamboyants de nouveaux continents, de nouvelles terres pour y laisser la trace éclatante de son passage. Parsemant ça et là, la magie de son être, elle laissera dans les cœurs de ceux qui y succomberont, la trace indélébile d’un amour sans fin. C’est l’image que voudrait garder Gorneval de son Amour dont il continue d’espérer cependant qu’il se trompe et qu’il la reverra.

Les deux hommes s’engagent sur le chemin du retour. Ils n’échangeront pas un seul mot. Dans un silence commun, tous deux cherchent à retrouver une certaine sérénité. Dans les mots que chacun ne dit pas flotte l’étrange sensation d’un aveu d’impuissance ; une impuissance mêlée à une colère effroyable. Quand ils arriveront, Périnis sera déjà sur son cheval et aura le regard fixé sur l’horizon flamboyant de la fin de journée. Rien ne saurait lui faire détourner les yeux. Les chevaliers rentrent discrètement dans leurs appartements.

Une fois à l’abri des regards, Gorneval sent couler de ses yeux les larmes de sa défaite. Recroquevillé comme un enfant au pied de son lit, le chevalier terrassé par la douleur de son amour croit ne jamais pouvoir se relever de pareille blessure. Malgré ses paroles et ses pensées il sait que Cassandre ne reviendra pas ; ou peut-être tente t-il de s’en convaincre pour que la douleur soit moins forte le jour où il en sera certain.

Lentement, au sortir de cette phase de déprime extrême, la honte resurgit d’entre ses entrailles. – Un Roi ne pleure pas ! – se dit-il en se revoyant accablé de douleur et de sentiments contre lesquels il continue de lutter. – J’ai encore tant à apprendre, tant à savoir que ma déception ne peut être que bénéfique…plus tard. – ajoute t-il en pensant à Périnis :

Le pire n’est jamais décevant.

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