III

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Le jour s’est levé et Gorneval finit de se reposer. A l’instant même où ses yeux s’ouvrent, le visage de Cassandre réapparaît subitement sur la paroi de ses pensées. Derrière elle, son image traîne mollement les douleurs et les cicatrices qui jalonnent le cœur trop tendre du nouveau Roi. Au creux de son ventre endolori, les chatouillements reprennent, timidement, incertains. Sur les traits de son visage, s’attardent encore les stigmates de son désespoir. Il se lève péniblement et jette un œil par la fenêtre grillagée de sa chambre. Il ne voit rien d’autre que le brouillard et la grisaille habituelle.

Dans les mystérieuses déambulations de sa conscience, il repense à Titane. Cette dernière est l’arme que Périnis considère comme celle qui doit délivrer la citadelle perdue. Cassandre a beau être froide et distante avec lui, son amour pour elle reste sans partage. Aller conquérir Lidan, c’est tirer un trait sur ce sentiment extraordinaire et sur ses chances d’être heureux. Reprendre l’épée c’est se dénier aux yeux de son maître d’arme, mais c’est aussi s’assurer de la paix. La laisser entre les mains du preux, c’est prendre le risque de mettre Cassandre en péril. Alors l’idée que cette arme soit la solution de son problème s’initie dans ses projets. Pourrait t-elle cependant devenir l’arme fédératrice du continent ? Il en doute. Dans son for intérieur, le Roi renonce à donner une quelconque explication à Périnis. Finalement, l’épée lui revient de droit. Tant bien même cette passation implique la possibilité d’un engagement de guerre contre les détenteurs actuels de Lidan, ceci ne lui fait pas peur. Gorneval réalise qu’il arrive à un tournant de sa vie et qu’il ne pourra pas toujours vivre avec le pouvoir de revenir en arrière s’il se trompe. En tournant le dos à cette facilité, le Roi a la sensation de donner une nouvelle dimension à sa vie. Le fait de créer volontairement un danger, lui redonne un certain appétit de vivre, une soif d’apprendre ou de réapprendre. Sa détermination grandit inexorablement. Elle lui donne une force remarquable, qui fait bondir son cœur dans les hautes sphères d’une euphorie bienheureuse. Il veut se battre pour que la paix perdure et pour protéger sa Belle.

En sortant en uniforme de parade, le jeune souverain ressasse les paroles qu’il compte prononcer devant son maître d’arme. Sa voix ne doit pas laisser transparaître le moindre doute. Il pense également que le ton qu’il doit employer, doit être à la fois chaleureux et amical tout étant ferme. Il doit être proche de celui que l’on attend d’un Roi. Les doutes de n’être pas à la hauteur lui effleurent l’esprit sans jamais le pénétrer. Son pas s’assure et son torse se gonfle. Pour la première fois de sa courte vie, il a la sensation d’être quelqu’un d’important, même si son rôle lui semble pour l’heure tout à fait secondaire.


En arrivant dans la salle du trône, il reconnaît immédiatement Périnis qui est la seule personne présente. Il se tient debout, mains dans le dos et face au trône vide. Il lui est impossible de voir son visage jusqu’à ce que, prévenu par le son de ses pas, il se retourne et le salue comme la coutume l’exige.

“ Qui a t-il Périnis qui me vaille votre présence ici ? ”

“ Je voulais savoir si vous aviez eu l’occasion de réfléchir à notre dernière discussion ? ”

“ Bien entendu ! Et il m’est apparu, à la lueur de mes considérations qu’il est de mon devoir de reprendre l’épée que Madame la Reine Ygrène a baptisée. ”

Le visage du preux change du tout au tout. Son expression d’inquiétude se transforme en une joie à peine contenue. Comme si ce dernier n’avait jamais eut espoir que son Roi puisse revenir sur sa décision.

“ Vous ne pouvez pas savoir à quel point le peuple de Lidan vous sera reconnaissant ! ”

Le Roi imagine bien jusqu’à quel point son peuple pourrait lui être reconnaissant si toutefois il envisageait d’aller le délivrer du joug de Gwendal. Mais le souverain de ce peuple assiégé se garde bien d’avouer ses intentions. Et malgré les remords de trahir le code de bonne conduite du chevalier qu’il est, en mentant par omission, Gorneval a bonne conscience. Le visage de Cassandre, flottant entre les miroirs de ses souvenirs heureux, a le pouvoir de lui faire commettre ce genre de faux pas. L’amour qui le motive n’a aucun égal dans le royaume de son cœur, pas même le respect des règles.

Après avoir quelque peu discuté ensemble, les deux hommes finissent par s’entendre. Gorneval y trouve son compte en obtenant la garde de l’épée de Lidan. Par la même, il s’adjuge le commandement des armées de La Vallée des Larmes et peut ainsi empêcher la guerre d’éclater. De son coté, Périnis, en rendant Titane au propriétaire qu’il tient pour légitime, se rapproche de manière certaine de son but et de sa promesse. Tous deux se séparent avec la certitude d’avoir accompli une partie de leur devoir. La cérémonie d’investiture est prévue pour le lendemain et ce dernier passe la journée auprès d’Audret. Emilie et Wilfried les rejoignent sous l’arbre qui leur sert de point de rendez-vous depuis leur plus tendre enfance.


“ J’aimerais que vous soyez présents demain. Est-ce possible ? ”

“ Bien sûr ! Nous serons là parce qu’il est de notre devoir d’assister à la cérémonie ”

“ Je ne vous le demande pas en tant que Roi mais bel et bien en tant qu’ami…votre ami ! ”

Emilie emploie un ton assez dur pour parler. Gorneval réalise alors qu’elle a toujours eu recours à ce ton pour discuter avec lui. Le détachement dont elle se sert pour faire valoir sa différence devient une preuve de son détachement. Jusqu’à présent, il considérait qu’elle utilisait cette distance pour tenter de le motiver à s’assumer seul, mais il comprend aujourd’hui, à son plus grand regret que cette attention n’était que mépris. Subitement, il se retourne vers Wilfried pour tenter de puiser en lui, le courage d’affronter cette nouvelle épreuve. Mais dans son regard ne subsiste plus le même engouement que durant leur jeunesse. Il est en train de perdre ses amis – peut-être même les a t-il déjà perdus. Ils les regarde parler sans les entendre et porte son attention sur leurs attitudes. Il constate alors qu’ils n’ont pas même daigné mettre pied à terre. Leur empressement à quitter les lieux dès leur arrivée, entache les belles idées qu’il se faisait à leur propos. Lui, qui les considérait comme des soutiens inestimables, des piliers sûrs et francs, réalise avec amertume que tout cela faisait parti de son monde d’enfant. Un monde que ses amis ont quitté depuis plus longtemps que lui et dont ils semblent vouloir se détacher par le mépris. Il est malheureusement l’image de ce passé qu’ils renient et c’est sur lui que retombe leur indifférence. Le Roi prend une longue respiration silencieuse. Il lui semble que tout devient plus net, plus clair. Un voile froid tombe entre Emilie, Wilfried et lui.

Avec un peu plus d’attention, il réalise également combien la complicité de ses deux anciens amis est douteuse. Tous les deux semblent si proches que toutes leurs tentatives à le dissimuler sont comme autant de preuves à leur décharge. Leur silence ressemble à une culpabilité mal assumée. Leur mensonge est l’élément de trop qui fait que Gorneval perd toute confiance en eux. Cette confiance forcenée qu’il s’est évertué à leur attribuer et qui faisait qu’ils étaient les meilleurs amis du monde, s’effondre avec eux. Ils redeviennent des inconnus, des gens comme les autres, qu’il tente cependant de ne point haïr. Audret, dans son dos ne dit rien. Il est certainement le dernier véritable proche du Roi.

Un profond dégoût s’empare de lui. La gorge sèche, il a la terrible sensation d’avoir été trahi. Il aurait envie de leur refuser le droit de venir, mais se l’interdit. Il aimerait tant se tromper qu’il refuse d’admettre ce qui lui est apparu comme une vérité éclatante. Il s’accroche désespérément à un dernier espoir de voir ses doutes s’évaporer.

“ Votre présence sera comme une lueur d’espoir dans le brouillard de cette vallée. ”

Emilie ne répond rien. Elle se contente de tourner la tête et de saluer Audret. Puis, comme en cédant à une obligation, elle fait un signe à son Roi avant d’engager son destrier dans une course effrénée en direction du château. Wilfried l’imite et la suit. Leurs silhouettes s’enfoncent dans le brouillard léger qui entoure la Vallée des Larmes ; le jeune dauphin repense aux temps heureux qu’ils ont vécus. – Tout cela était-il sincère ? – se demande t-il subitement.

Audret comprenant à moitié le désarroi de son ami, pose sa main gantée sur son épaule et tente de le rasséréner en prononçant quelques vaines paroles. Gorneval détourne le visage. Une stupeur l’envahit. Ses poumons se gonflent et ses yeux se troublent. Un léger tremblement de douleur traverse son corps fébrile. Audret cesse de parler et l’entraîne avec lui pour rejoindre le château.


Dans leur course, Cassandre réapparaît depuis les tréfonds de son désespoir. Elle jaillit avec autant de force et d’éclat que l’espoir ultime d’une vie sans froideur ni monotonie. – Le secret de la Vie serait-il en elle ? – se demande Gorneval. Alors que les chevaux entrent dans l’enceinte du petit château, il envisage dors et déjà de retourner voir la princesse pour s’assurer de ses sentiments. Son amour lui fait oublier la douleur qu’elle est capable de lui infliger. Cet entêtement n’a rien d’une volonté. Plus il pense à elle, plus son envie de la revoir est grande. Il est devenu dépendant de cette femme et ne détient pas le pouvoir de se défaire du charme puissant qu’elle sait faire peser sur lui.

Gorneval ne suit pas Audret jusque dans la salle du trône. Il s’engage dans les couloirs qui l’emmènent très vite dans ses appartements. Une fois enfermé, il s’assied et plonge un regard vitreux sur les lattes mordorées du plancher de bois. Ses yeux sont rivés au sol sans qu’il en soit conscient. Ses pensées, trop nombreuses, trop agitées, traînent avec elles, des sensations terribles, mêlant sentiments agréables et impressions de vide ou de détresse. Mais le jeune homme comprend vite que la fatigue aide son esprit à divaguer de la sorte. Cependant, l’heure n’est pas au sommeil. Et malgré l’heure avancée, il décide de retourner à Lidan pour rencontrer Cassandre. La nuit commence à tomber. Le temps est passé avec autant d’insignifiance et de légèreté qu’un battement de paupière.

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