I

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Au moment où Périnis s’approche du trône, Gorneval n’a de cesse de penser à sa belle princesse qui l’attend de l’autre coté de la vallée. Ses yeux brillent au fin fond de sa mémoire, comme des torches salutaires qui illuminent son chemin. La couronne que le preux tient entre ses mains est belle, mais ne fait pas oublier à celui qui va la porter, qu’elle est le gage d’un combat à mort contre les femmes et les hommes du royaume de Lidan. En s’apprêtant à poser la couronne sur la tête de son protégé, Périnis parle d’une voix ferme.

“ Par ce geste, votre excellence, vous devenez le Roi de Lidan, Gorneval III, Roi des contrées de Lidan et de La Vallée des larmes, Seigneur et maître de la Plaine du désespoir et de l’Orée des ténèbres. ”

Le nouveau Roi réfléchit un instant et repense à toute la joie de la citadelle, à tous ces gens dont il était le maître sans le savoir. Mais dans son for intérieur, malgré l’envie de ne pas ravager les terres de ses ancêtres pour faire valoir un droit quelconque de seigneurie, quelque chose le chagrine. Cassandre est une femme remarquable dont il aime la présence parce qu’elle l’apaise, parce qu’à ses cotés, tout paraît plus beau, parce que près d’elle, il se croit meilleur, mais il ne peut faire abstraction du fait qu’elle est également la fille de celui qui a tué son père. Ceci fait d’elle la fille d’un assassin. Et, quand bien même il sait qu’elle ne peut être en aucune façon responsable des faits de guerre de son père, elle reste ce qui le sépare de ses racines.

Périnis, dos à l’assistance, pose alors la couronne sur la tête de son ancien élève. Ce dernier se sent alors investi d’un pouvoir grandissant qu’il sait qu’il regrettera lorsqu’il renoncera au trône. Son choix n’est pas encore définitif, mais il sait dors et déjà que la mort de tous ces gens ne justifiera jamais une quelconque soif de vengeance. – Pourquoi alors ne pas abandonner l’idée de reconquérir Lidan ? – se dit-il le plus simplement du monde.

Le premier chevalier pose un genou à terre en courbant l’échine à ses pieds. Toute l’assistance, formée des preux de la Vallée des Larmes, imite l’ancien régent. Les cliquetis des armures, agitent l’atmosphère confinée de la salle du trône. Parmi l’assistance, Gorneval peut reconnaître ses amis Audret et Wilfried ainsi que son plus ancien protecteur, Guènelon. Au fond de la salle, en armure légère, se trouve Emilie. La cérémonie l’a faite première femme chevalier au royaume de Lidan. Ses amis sont devenus par la même, les preux qu’ils souhaitaient devenir. La jeune fille le regarde avec un œil vide, comme s’il elle regardait un inconnu. Cette sensation, lui est douloureuse. Depuis quelque temps, bien avant qu’il ne devienne Roi, il sentait ses amis se détacher de lui, le privant de leur protection. Sans qu’il sache réellement pourquoi, Emilie lui parle de plus en plus rarement et Wilfried est devenu une sorte d’inconnu. Seul Audret parvient à conserver avec lui les liens d’une amitié, certes plus ancienne, mais moins franche qu’il pourrait le souhaiter. Les liens de leur amitié se relâchent inexorablement avec le temps et le jeune Roi en est le plus affecté.

“ Redressez-vous mes amis ! Ici et sous mon règne je ne veux pas de soumission. Vous avez été mes égaux tout au long de ma jeunesse, sachez le rester sous mon règne. ”

Toute l’assistance se redresse et la grande salle se vide rapidement et silencieusement. Il reste alors Audret, Eléonore et Périnis. Les yeux du Roi recherchent désespérément les présences rassurantes d’Emilie et de Wilfried, sans y parvenir. Il aurait tant voulu partager ce moment avec eux, que sa déception va bien au-delà de ses plus dures prédictions. Même la présence d’Audret ne peut subroger l’absence de ceux pour qui il se battait contre lui-même et contre ses chimères pour devenir comme eux : simples et purs. A l’évidence, Gorneval devait leur porter une admiration bien peu méritée. Leur amitié ne ressemble désormais plus qu’à l’une de ces apparences dont il n’a jamais su trop bien comprendre si elles sont bonnes ou mauvaises pour forger le caractère d’un guerrier. Emilie et Wilfried ne sont pas ses amis, et il s’en rend compte avec toute la peine du monde. Ils ne sont pas ses amis parce qu’ils vivent sans lui, parce qu’ils se moquent de son sort, parce qu’ils n’ont tenu aucune des promesses qu’ils lui avaient faites. Mais s’ils ne sont pas ses amis, s’ils ne l’ont peut-être même jamais été, c’est bien parce qu’ils ont trahi sa confiance, une confiance qu’ils ne lui avaient visiblement jamais accordée de leur coté. Il réalise alors qu’il a toujours été seul au monde et qu’il le restera jusqu’à la fin de sa vie. Le fait que ceux qu’il croyait être ses amis l’aient abandonné, est la preuve éclatante qu’il ne pourra jamais avoir confiance qu’en lui-même.


Périnis retient le bras de son ancien élève, lorsque ce dernier, dépité souhaite quitter la salle. Ses yeux se plantent dans les siens et le Roi comprend vite que la cérémonie n’est pas terminée.

“ Un Roi sans épée n’est pas un Roi, n’est-ce pas ce que vous m’aviez dit, en substance, lorsque vous étiez enfant ? ”

“ Je l’ai toujours cru, mais une épée signifierai que je souhaite faire parler les armes ! Or vous savez ce que je pense de cela. N’insistez pas. ”

“ Vous rêviez d’une épée et maintenant vous la refusez. Ne désiriez vous pas devenir preux, chevalier ? ”

“ Si ! Il fut un temps où devenir l’un de ces guerriers qui jalonnaient mes rêves d’enfant, était un but que je m’étais fixé. Mais ce temps là est loin maintenant et de nouveaux horizons s’offrent à moi, des espoirs de devenir meilleur, sans avoir besoin de faire couler le sang ”

“ Vous ne pouvez pas refuser l’arme que je vous propose, c’est sa Majesté la Reine Ygrène en personne, qui l’a baptisée sur son lit de mort. ”

“ Ce combat est le vôtre, pas le mien. Il ne l’a jamais été et ne le sera jamais, je l’espère. Si vous désirez que cette épée soit celle qui délivrera Lidan, ce n’est pas à moi qu’il faut la confier. ”

“ Ne comprenez-vous pas que le peuple de Lidan vous attend ? Il n’est pas trop tard ! ”

Gorneval s’empêche de conter ses incartades au royaume de sa Mère Patrie. Mais le fait est, qu’il avait désobéi pour s’y rendre et qu’il trouve de meilleur goût de ne point le mentionner.

“ Le peuple de Lidan a dû effectivement attendre qu’on le libère, mais je reste persuadé qu’à l’heure qu’il est, le peuple dont vous me parlez n’attend plus personne ”

“ Ne jugez pas à sa place. ”

“ Telle est ma décision et je crains qu’elle soit irrévocable. ”

Périnis ne renonce pas et continue de croire que l’avenir qu’il avait imaginé, puisse se réaliser.

“ Permettez-moi de vous présenter Titane, l’épée de Lidan ”

Les yeux de Gorneval glissent le long de l’arme au reflet d’argent. Rutilant comme s’il était verni d’une substance qui le rend éclatant, Titane semble flotter au-dessus du coussin brodé sur lequel il se trouve. L’épée de Lidan rangée le long de son fourreau est d’une pureté rare. La poignée recouverte de cuir sombre se prolonge en un pommeau d’argent ciselé. Sur la base de la lame, le nom de Titane est gravé. Il est bordé de centaines de figures géométriques essentiellement circulaires, qui dessinent autour de lui, une sorte de parure baroque et flamboyante. Puis, la lame, parfaitement simple et régulière, est taillée en deux tranchants qui s’estompent en son extrémité. Gorneval, éblouit par la beauté maléfique de l’arme se remémore sa farouche volonté de devenir preux. Cette épée représente en quelque sorte, l’aboutissement de son rêve, un aboutissement dont il ne connaissait pas la nature, mais dont il comprend le sens en regardant Titane. Elle est l’épée dont il rêvait sans pouvoir mettre d’image sur son rêve. Mais l’image magnifique, plus délicieuse encore que tous les rêves réunis, de Cassandre se matérialise dans les pensées du Roi. Les deux rêves s’opposent. Ils ne peuvent cohabiter et il ne le sait que trop bien. Pour l’heure, son cœur s’enflammant à chaque pensée même fugitive pour sa princesse, l’empêche de renoncer à son amour.

Bien contre son gré, il détourne les yeux du reflet hypnotique de l’arme et s’en va rejoindre ses appartements. Audret lui emboîte le pas. Ils laissent Eléonore et Périnis, l’épée entre les mains, l’esprit torturé de questions et de regrets. Son rêve de vengeance s’efface. Ce qu’il reste de Dinas disparaît avec lui.

Plus tard, lorsque les deux hommes seront seuls, Audret prend à parti le Roi et se permet de lui parler quelques instants. C’est alors l’ami qui parle, le confident, l’écuyer du prince Ogrin, et non pas le chevalier qui parle à son Roi. Ce dernier, difficilement concerné par sa tâche de souverain qu’il compte abandonner, considère toujours son fidèle Audret comme un compagnon et non pas comme un serviteur de la couronne. C’est pour cela qu’entre les deux hommes peut naître un véritable échange.


Il demande à Gorneval de lui confirmer ses doutes concernant Cassandre. Malheureusement, ceux-ci s’avèrent fondées et le chevalier comprend très vite à quel point le Roi est compromis. Sa situation, des plus délicates, lui offre très peu de loisir pour agir avec bon sens. Son amour pour la jeune femme est sans équivoque mais altère son sens de la réalité. Audret sait pourtant qu’un Roi ne doit jamais laisser ses sentiments dominer. Par tous les moyens, il tente de trouver des solutions pour satisfaire tout le monde. Mais elles ne sont jamais véritablement satisfaisantes. Qu’il s’agisse d’enlèvement ou de compromis avec Gwendal, la situation ne s’éclaircit jamais.

“ Je vais aller lui rendre visite aujourd’hui même, avec l’armure du prince Ogrin. Je ne compte pas lui avouer la vérité mais juste m’abandonner à nouveau au rêve comme nous l’avions fait à la Lune dernière. ”

“ Puis-je me permettre de le déconseiller ? ”

“ Tu n’es pas autorisé à te permettre quoi que se soit Audret. Tu es mon ami, certainement le dernier véritable ami que je possède en ce monde, alors je t’en supplie, appuies-moi tant que tu pourras ou bien tant que tu voudras. A toi de choisir ton camp. Mais saches que quel que soit ton choix, je ne saurais te blâmer et garderais en moi, uniquement nos moments les plus heureux ”

Le nouveau chevalier réfléchit un instant. Ses yeux vont et viennent entre Gorneval et la fenêtre la plus proche. L’indécision le hante. Il est de tout cœur avec lui, mais la logique des choses, veut qu’un preux n’obéisse à aucun autre ordre que celui du combat pour ses droits. Or, son droit est de reconquérir la forteresse de Lidan au nom de Dinas. Il sait pertinemment qu’il n’aura peut-être plus jamais l’occasion de parler à son compagnon de cette manière ; d’autre part, il sait aussi que l’argument qui pourrait faire basculer le choix de son ami sera difficile à trouver, mais son désir de le voir heureux et épanoui, prime sur tous ses autres sentiments. Il abandonne l’idée de faire revenir Gorneval sur sa décision et le laisse aller rejoindre Cassandre.

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