II

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Le lent apprentissage de la fonction de chevalier donne à Gorneval matière à mûrir. La proximité avec son maître d’arme est une chose formidable pour lui. De l’enfant protégé et presque trop écarté des réalités de la vie au jeune homme qu’il est devenu, le Roi a fait un chemin que peu d’autres enfants auraient eu le courage de parcourir. Ses plus proches amis n’en ont pas à rougir, mais il reste le meilleur d’entre eux. Volontaire et assidu, ses efforts sont incontestables. Aux vues de sa progression fulgurante, le premier chevalier de la couronne, prend de l’assurance et ses méthodes peuvent s’affiner au plus grand bonheur de son élève.

C’est ainsi qu’après les longues et douloureuses courses à pieds, les études et les efforts pour augmenter ses capacités physiques comme intellectuelles, Périnis entame l’apprentissage des armes. Il donne à l’enfant, un plastron en côte de mailles spécialement confectionné à ses mesures et lui donne une sorte de chapeau percé de deux trous pour lui permettre de voir. Il emmène le jeune homme avec lui et tous d’eux s’en vont au creux de la colline, là où le château est encore en vue et d’où l’on voit encore le soleil se coucher. Un endroit magique et féerique, traversé par un petit ru à la mélodie enchanteresse, et parsemé de gros arbres feuillus et verts comme les émeraudes qui ont donné leur nom à cette place d’arme improvisée. Le ciel qui les surplombe, s’éclaircit et fait briller les feuilles des arbres comme autant de petites torches aux flammes vertes. Parfois lorsque le vent se lève et que les feuilles s’agitent, des effluves parfumés de fleurs écloses, viennent chatouiller les narines des promeneurs. Alors au son s’ajoute l’odeur pour créer des souvenirs inaltérables.

Au creux de cette petite vallée, Périnis demande à Gorneval de s’arrêter. Le petit homme vêtu de son armure de fortune et de son heaume de paille, gonfle le torse de fierté. Pour lui, il est déjà chevalier, déjà prince et montre à tous les personnages qui peuplent l’univers de son imagination débordante, combien il doit être craint. Pour le Roi en herbe, la qualité des vêtements n’y fait rien. L’honneur que lui a fait son maître en lui offrant ces effets temporaires, est un geste bien moins anodin que ce dernier pourrait le croire. Pour le jeune homme, ceci lui permet d’accéder enfin à la dignité du rang après tous les efforts qu’il a consentis pour y parvenir. Alors, au diable les trous dans la côte de mailles ; peu importe la couleur ocre du chapeau qui lui sert de heaume, pour lui, il est le plus grand et le plus redoutable des chevaliers de La Vallée des Larmes.

“ Un chevalier de renom, ne doit-il pas porter une arme ? ” Demande Gorneval d’un air solennel.

“ Si ! Un chevalier de votre rang se doit de porter une arme ” ajoute le preux en fouillant dans la besace qu’il avait prit avec lui en partant.

Il extrait de ce sac mystérieux pour le jeune homme, une épée taillée dans le bois. Il lui tend l’arme avec une certaine inquiétude quant à sa réaction. Le jeune Roi regarde l’épée de bois avec une moue qui dénote une certaine déception. Son regard s’écroule et sa bouche se déforme.

“ C’est une épée magique ! Elle se transformera le jour de votre accession au rang de preux chevalier. ”

L’attention de Gorneval se fait plus intense tout à coup. Il regarde l’arme à nouveau et son visage s’adoucit. Il lève les yeux vers son maître d’arme et l’implore du regard. Périnis constate que le jeune homme prend très au sérieux cette prise d’arme et comprend qu’il faille réagir en conséquence. Il s’approche du Roi et tend l’épée au-dessus de son épaule droite. Il prononce quelques mots connus de lui seul et abaisse l’épée. Il fait de même au-dessus de l’épaule gauche.

“ Au nom de l’épée magique, vous avez été anobli ”

“ De quel genre de magie use-t-elle ? ”

“ Elle use d’une magie que seuls les preux connaissent ”

“ Le nom qu’elle porte est-il secret ? ”

“ Il n’est pas de nom secret pour une épée ! ”

“ Ne le connaîtriez vous pas ? ”

“ Elle porte le nom de Titane ”

Un court instant de silence prolonge ce moment important. Périnis se remémore les derniers instants de la vie de la belle Ygrène. Il voudrait pouvoir parler de la Reine à son fils, lui parler de sa beauté légendaire, de sa gentillesse et de sa dévotion pour son peuple, mais il ne le peut. Alors, pour ne pas succomber à la mélancolie conquérante qui le gagne, il tend cette fois la poignée de l’épée à Gorneval. Le jeune homme s’en saisit et se sent tout à coup investi d’une force gigantesque, Titanesque. Un sourire radieux, illumine le visage empourpré du futur chevalier. Son maître conçoit enfin ce que représente le fait de devenir preux pour son élève. C’est à cet instant que le régent comprend que la première partie du travail qu’il s’est chargé d’accomplir, est achevée : Le fils de Dinas veut être chevalier.


Celui-ci n’aura pas trop à attendre pour prendre sa première leçon de combat à l’épée. Les deux hommes engageront leur premier affrontement lors de cette même journée. Périnis laisse le jeune garçon donner libre cours à ses envies et lui permet pour sa première leçon de se battre comme il l’entend. Toutes les gesticulations du futur Roi, le laisseront bien sceptique quant à sa capacité de devenir un jour un grand guerrier comme l’était son père. Le jeune homme n’est pas très doué, mais fait preuve d’un courage et d’une motivation exemplaire. Comme tous les enfants de son âge, et à l’image de ses amis, il a pour lui une fougue et une rage de vaincre qui lui fournit une force remarquable. C’est là d’ailleurs, le seul point positif qu’il faut retenir de la première leçon. Le preux ne se laisse pas pour autant déstabiliser, car il s’agirait pour lui, d’un aveu d’échec. Le chevalier, pour passer outre cette mauvaise impression qui le perturbe, emmène le jeune garçon avec lui, tout en haut de sa colline, à l’heure où le soleil se couche. Tous les deux s’en vont alors noyer leur silhouette dans la lumière éclatante d’un soleil déclinant.

Le futur souverain profite de ce petit moment de calme pour se reposer un peu. Il regarde fixement l’horizon d’un air songeur. Périnis l’observe le plus discrètement possible. Les yeux de Gorneval brillent comme le soleil à la surface de l’eau. Il serre les dents et ses mains sont fermement refermées sur elles-mêmes. Le Roi est debout à coté du cheval que son maître tient par la bride.

“ Pourquoi n’ai-je pas de cheval ? ”

“ Il faut être patient. C’est l’une des premières leçons qu’il faut que vous appreniez ”

Gorneval ne souffle mot. Cependant, dans le cœur du chevalier, quelque chose se brise en voyant la mine dépitée du garçonnet. Il ne dit rien, mais sa déception est plus qu’évidente. Le preux se demande alors pour la première fois, ce qu’il doit faire. Soit il cède à la requête du dauphin, au risque de se contredire et de perdre la confiance de l’enfant, soit il ne cède pas. Son cœur lui dicte le contraire de sa conscience. Comme un père pour son fils, il aimerait pouvoir lui donner tout ce dont il a besoin, tout ce dont il a envie, pour que son bonheur soit parfait. Mais une certaine distance les sépare. L’art d’enseigner est une rude tâche à accomplir et Périnis n’est pas sûr de maîtriser totalement.

“ Peu de temps après que tu soies né, Eléonore, Guènelon et moi même avons fui des terres d’où nous étions chassés. Tu étais avec Eléonore et tous deux avez fait la route sur le dos d’un poulain merveilleux : Orphée. Il sera tien, si tu es patient et maître de ta conduite autant devant un adversaire que devant ceux qui sont tes amis. ”

Le visage de Gorneval reprend les couleurs qu’il avait perdues. L’espoir en lui, renaît visiblement de ses cendres. Il se tourne vers son maître d’armes, un sourire qu’il ne connaissait pas, suspendu à ses lèvres. Dans son accoutrement, le jeune homme ressemble à un épouvantail. Mais, continue de briller dans son regard, la flamme d’une vie ardente à l’avenir chargé d’espoir.

Périnis pense avoir fait le bon choix. Il a su s’adapter à son élève et réprimer des envies irrépressibles qui le poussaient à se plier aux exigences du futur Roi. Il considère plus que jamais, que son destin est bel et bien de l’emmener sur le trône de Lidan. Cet épisode en est une preuve supplémentaire.


Malgré le sentiment d’un certain devoir accompli, Périnis sent pointer autour de lui, la pression insidieuse que Gorneval fait peser sur lui. Le dauphin, en se contentant d’admirer le coucher du soleil, laisse planer tout autour d’eux, une question à laquelle le preux se refuse à donner une réponse. Mais comme le jeune garçon a été élevé dans le souci permanent de ne pas ennuyer son entourage de question, il sait qu’il ne demandera rien. C’est l’unique espoir qui soulage un peu son esprit confus. Il continue de regarder le visage de l’enfant, baigné d’une lumière divine, faisant ressortir ses traits de ressemblance avec son père. L’image d’Ygrène sur son visage, est plus diffuse, plus discrète. Il y décèle tout de même quelques traits, qu’il s’était évertué à s’imprimer en mémoire, le jour où elle a quitté ce monde.

Le souffle du preux se raccourci avec la montée en puissance du jeune dauphin. Les derniers mots de ce dernier, ce soir-là, lui suffisent pour se sentir définitivement libéré de l’oppression d’une éventuelle question sur ses parents. Une telle interrogation inclurait une réponse sur sa véritable identité. Et même si le maître d’arme sait que tôt ou tard, le problème se posera, il préfère encore attendre avant d’y être confronté. Au fond de lui, quelque chose l’assure que le Roi n’est pas encore prêt pour apprendre la vérité. Il faut avant tout, qu’il ait appris quelques préceptes de base, qu’il ait écrit ses lettres de noblesse, qu’il gère sa vie, avant de prendre le pouvoir. Car le pouvoir brutalise, déforme, anéanti. Périnis en bon seigneur, le sait et imagine un avenir différent pour son protégé.


“ Le ciel est-il toujours aussi beau le soir ? ”

“ Tout dépend avec quels yeux vous le regardez ”

“ Est-il beau pour vous, ce soir ? ”

“ C’est certainement l’un des plus beaux couchers de soleil qu’il m’ait été donné l’occasion de voir ”

Le ciel ne s’est pas encore transformé en mare de sang et le soleil n’est toujours pas encerclé de nuages lorsque les deux hommes se séparent. Périnis souhaite rester seul encore un instant. Le soir gagne le ciel Gorneval et Eléonore observe la scène du haut de la tourelle Ouest. Elle constate avec amertume qu’entre eux, se noue une certaine complicité. Une complicité différente de celle qui lie un maître à son élève ; différente encore de celle qui lie un père à son fils. Elle ressent cette relation comme celle qui lie deux vrais amis, deux amis pour lesquels l’âge ne compte pas et pour qui, la barrière de la culture et du grade n’est rien à franchir. Entre eux s’est établi une entente franche et parfaite. Eléonore était tout juste parvenue à percer les secrets les plus évidents de son cœur en douze années de service à ses cotés. En quelques mois, Périnis est parvenu à faire chanceler l’enfant. – Peut-être avait-il raison – se dit-elle en se demandant si le maître d’arme n’avait pas raison. Le soleil se couche sur La Vallée des Larmes comme sur les pensées et la sienne reste en suspend.

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