I

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Durant toute sa petite enfance, le Roi tant attendu du Lidan restauré, apprend les rudiments de la vie. Aidé en cela par Eléonore, il progresse bien et acquiert rapidement des bases solides pour son futur rôle de souverain. Le jeune garçon progresse de telle sorte qu’il fait la fierté de sa préceptrice. Il progresse d’autant plus vite qu’il aime à se retrouver avec Eléonore. Il aime ce contact tendre et affectueux qu’elle représente. Ses sourires, sa gentillesse, son attention et son affection sont autant de souvenirs qu’il conserve précieusement en lui. L’ancienne servante d’Ygrène fait tout ce qui est en son pouvoir pour tenter modestement de remplacer la mère qu’il n’aura jamais. Ce petit être qu’elle aime prendre dans ses bras et cajoler, ne comprend pas encore qu’il n’aura pas la chance des autres enfants qui ont encore mère et père. Mais son insouciante naïveté lui fait oublier tous ces soucis. La préceptrice pour mener sa mission à bien, essaye de ne pas penser à toutes ces choses qu’elle croit nuisibles au bon équilibre de l’enfant. Elle sait qu’il lit en elle comme en lui-même. Il comprend, sans pouvoir encore l’exprimer, ce qu’elle ressent ou les soucis qu’elle se fait à son sujet.

Le jeune dauphin, est malgré tout le plus heureux de tous les enfants de la vallée. La présence d’Eléonore lui suffit pour grandir et s’épanouir. Dans ses rêves d’enfants, elle tient d’ailleurs une place importante. Tant et si bien qu’elle ne peut plus se séparer de lui. Mais plus elle s’attache, plus elle souffre à l’idée de devoir céder son éducation à Périnis. Elle imagine chaque jour des destins bien moins tragiques pour son protégé, que ceux que le guerrier sanguinaire et sans cœur envisage pour lui. Elle a du mal à se représenter le garçonnet avec une arme à la main, une armure et un bouclier. Elle ne veut pas même tenter de se l’imaginer sur son destrier, guerroyant sans relâche et abandonnant son peuple. Elle ne peut concevoir que ce dernier choisisse le destin de son élève et qu’il l’envoie sur les champs de batailles alors que son destin est peut-être tout autre. Elle renonce définitivement à croire au bien-fondé des préceptes du régent en ce qui concerne l’éducation de l’enfant. Toutes les réflexions d’Eléonore, tendent d’ailleurs à juger Périnis sans qu’il n’ait pu s’en justifier. Elle croit, tout comme le preux chevalier, détenir la pensée juste, qui fera que Gorneval sera heureux. Elle est convaincue que ses choix sont les meilleurs pour lui, et qu’ils vont dans le sens de sa destinée, en laquelle elle croit autant que le preux. C’est d’ailleurs pour donner une chance au dauphin de penser par lui-même qu’elle l’incite à côtoyer d’autres enfants, d’autres cultures. Les autres filles et garçons de son âge auront sur lui, se dit-elle, l’influence de la Raison sur les folies meurtrières qu’il devra apprendre plus tard.

Les deux précepteurs se disputent la vérité suprême. Ils s’arrachent le destin d’un jeune garçon sur lequel repose tant d’espoirs qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. La valeur de l’enfant Roi, repose sur son destin. C’est ce qui fait de lui, un être exceptionnel. Mais tiraillé entre les deux personnes qui lui sont les plus chers, il ne saurait choisir lequel des deux destins lui convient le mieux. Tous les deux ont des vues totalement divergentes en ce qui le concerne. Leur affrontement, fait reposer sur sa tête, une pression énorme, à laquelle il n’est cependant pas sensible, protégé qu’il est, par l’affection débordante d’Eléonore. Mais plus il grandit, plus Périnis se rapproche de lui, tel un rapace sur sa proie. Le chevalier a pour lui la fascinante attraction que représente sa tenue de combat. Son armure est comme un miroir magique qui transforme les flammes de l’enfer en rayons de soleil. Les yeux de Gorneval sont envahis par la poussière invisible que dégagent les plaques de métal aux reflets de ténèbres. L’épée qui brille est un objet de culte sous le charme duquel le jeune garçon succombe pleinement. Au fur et à mesure que ce dernier grandit, l’emprise d’Eléonore s’amenuise. Son influence devient de moins en moins concrète. Ne pouvant intervenir auprès de Périnis, devenu son maître depuis la mort d’Ygrène, elle voit son protégé s’éloigner, sans qu’elle ne puisse jamais l’en empêcher. Imperceptiblement, les liens pourtant très forts qu’ils avaient liés entre eux, s’effacent au grand dam de la servante.

C’est ainsi que le preux gagne l’estime du futur Roi et profite du pouvoir de séduction d’un guerrier aussi puissant et respecté que lui, pour gagner également son intérêt. Les armes, la guerre et la mort ne semblent pas l’effrayer. A douze ans, il devient alors officiellement l’élève du preux. Ce dernier arrache sans heurt ni drame, le dauphin des mains d’Eléonore qui sent le destin de son protégé basculer vers ce qu’elle redoutait le plus. Elle regrette tant qu’il ait préféré le noir de l’armure de Périnis aux couleurs éclatantes qui décorent les abords de son royaume. Elle considère sa perte de contrôle, comme une sévère défaite et ne peut se le pardonner. Sa volonté n’a rien changé et n’a fait qu’affirmer un peu plus le caractère interdit de l’apprentissage des armes. Le futur souverain n’a vu là, qu’un moyen sûr et efficace de proclamer son indépendance vis-à-vis de celle qu’il aime pourtant comme les autres enfants aiment leur mère.

Agé alors de treize ans et après avoir suivi des cours plus ou moins théoriques sur la chevalerie, et plus pratique sur la façon de monter un cheval, le petit Gorneval s’apprête à rentrer de manière concrète dans sa vie de chevalier de la cour de Lidan. Le terme de “ Roi ” n’évoquant encore rien pour lui, il se contente d’admirer la superbe gloire de son maître qui est pourtant le premier chevalier sous ses ordres. Ce dernier profite que la situation soit aussi confuse et laisse planer un voile de mystère sur leur relation. Ce voile opaque qu’un enfant ne saurait percer, plane essentiellement sur la déontologie qui les lie. Jamais Périnis ne peut donner d’ordre à un Roi qui s’ignore. Cependant, en s’octroyant le droit de refuser des ordres, il place le jeune homme au même niveau que lui. D’égal à égal, il veut ainsi savoir si le garçonnet sait ou non s’adapter de lui-même à la situation. Le preux, satisfait, sait que son élève apprendra la vérité sous peu. C’est la réaction qu’il adoptera, l’attitude pour laquelle il optera qui importe à ses yeux. La première des qualités pour être un grand chevalier est de s’adapter à tout. En profitant d’une période de flottement, il apprendra vite à jauger les limites de son élève et pourra, par là même, envisager des moyens de l’élever au rang suprême qui lui est dû.

Au premier soir de l’instruction et comme tous les soirs depuis qu’il a intégré son château, Périnis s’en va rejoindre la colline sur laquelle il s’est promis de revenir chaque jour. Montant le grand destrier noir de son fidèle Isaac, mort pour lui sauver la vie, le preux observe avec toujours autant de bonheur, le soleil se coucher. Ses derniers rayons déchirent le ciel en de multiples strates sanglantes et dégoulinantes qui éclatent pour la dernière fois de la journée. Titane au creux de sa main, il se demande s’il saura apprendre à son élève tout ce qu’il sait.

En se tournant en direction du château de Lidan, Périnis se demande ce qu’il est advenu de la citadelle. A t-elle subie beaucoup d’outrages ? Une pensée fugitive qui le rappelle au souvenir de son bon Roi, sorte de souverain à jamais vénéré. Pourtant le rêve s’est achevé en une matinée triste et grise. Le preux, n’avait plus pensé à Dinas depuis qu’il était revenu ici. Il constate qu’il a conservé une image d’une rare précision de son visage, de son sourire et de sa voix. Il serre encore un peu plus son arme de rage. – Jamais nous n’aurions perdu Lidan si seulement vous aviez été là – se dit-il à son adresse imaginaire. – Et la vie aurait continué, toujours aussi paisible, toujours aussi joyeuse –.

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