IV

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Périnis, en ouvrant les yeux, pourrait croire à une vie après sa mort. De l’endroit où il se trouve, il ne voit que le ciel, dégagé et ensoleillé, parsemé de quelques nuages. En fait, allongé sur le dos, il tire rapidement des conclusions. Etant donné le mal terrible qui lui déchire le dos, il comprend qu’il n’est pas mort. Son épée est rangée dans son fourreau et un cheval qui n’est pas le sien, se trouve à quelques mètres de lui. Le preux se redresse et fait un rapide tour d’horizon. Dans son dos, son château, celui de La Vallée des larmes. Devant lui, un sentier que le cheval qui se trouve à sa gauche, a dû emprunter pour arriver jusqu’ici. En considérant ses maux de dos, il suppose qu’inconscient, il est tombé de cheval ce qui l’a réveillé. Promptement, il remonte à cheval. Il constate qu’il porte les armes d’Isaac. Tout devient plus clair. Son être devient alors le siège de l’affrontement de deux sentiments opposés. La colère l’envahit tout d’abord, une colère forte qui lui fait regretter de ne pas avoir mené le combat à son terme. Mais le souvenir encore trouble de Lidan en proie au combat acharné des hommes de Gwendal, lui fait reconnaître que l’issue était fatale. De ne pas s’en être rendu compte plus tôt, lui donne une raison de plus pour s’accabler de reproches. Finalement, Isaac avait peut-être raison, peut-être est-il plus utile, protégé par la distance et sa forteresse cachée de La Vallée des larmes.

En galopant promptement en direction de son ancien château, forteresse sans peuple ni âme, il se réjouit de l’initiative d’Isaac. Mais cette sensation l’écœure. Le sentiment d’avoir abandonné des milliers d’innocents est plus fort que tous les autres. Même si Périnis connaît les fins auxquelles son ennemi prédestine Lidan, il n’en est pas plus fier pour autant. Sa vitesse ressemble à de la précipitation. Mais faire courir son destrier aussi vite, lui donne l’impression de grignoter plus rapidement le temps qui le sépare de sa vengeance. Gorneval ne sera pas en âge de combattre avant une quinzaine d’années et le gouffre que lui inspire cette durée, l’accable encore plus de doutes et de reproches. Cependant quinze ans, c’est juste assez pour créer une armée, pour former des hommes et surtout pour lui donner envie d’aller conquérir Lidan. Quinze ans, quinze longues années de doutes et de travail pour parvenir à donner à l’enfant Roi suffisamment de techniques et d’entraînement pour qu’il devienne ce chevalier noir et inquiétant, ce chevalier redoutable, fantôme errant des pires cauchemars de Gwendal. Pendant toutes ces années, il devra élever le dauphin en gardant à l’esprit qu’il doit devenir Roi et preux à la fois. Il devra maîtriser les deux rôles pour retrouver la superbe de son royaume.


Il gravit la petite colline sur laquelle se trouve le château. Ici pas de pont-levis, pas de garde surdimensionnée ni même de meurtrières, juste une muraille quasi infranchissable et quelques hommes très motivés et dévoués à leur maître. La porte principale s’ouvre devant lui. Son armure, maculée de boue ressemble fort à celle de ses compagnons qui jonchent encore le sol de Lidan. Malgré cela, ses armes restent visibles et il est accueilli en héros. Au milieu de la grande cour carrée de la forteresse, se trouvent la majorité de ses hommes, accompagnant, souriant et resplendissant, Eléonore et Gorneval. Guènelon, un peu en retrait, ne dissimule pas sa joie non plus, mais ce dernier, encore en armure, semble prendre très à cœur son rôle de garde pour Gorneval.

En voyant toute la joie que sa simple présence engendre, ses doutes disparaissent. Isaac avait donc raison. Pour ces derniers citoyens légitimes du territoire, Périnis sait qu’il sera capable d’attendre la quinzaine d’année qui le sépare de l’instant sublime et merveilleux de sa vengeance. Ses yeux se posent sur l’enfant Roi. Sa naïveté est attendrissante. Encore une fois, il n’en laisse rien paraître. Il descend de cheval, et annonce aux rescapés son intention de reconstruire une armée pour aller conquérir la forteresse perdue. Tout le monde acquiesce, comme si cette idée avait été naturelle. Tous se mettent immédiatement au travail. L’espoir renaît grâce à lui et à Isaac, assez lucide pour avoir compris que la présence d’un dirigeant légitime à la tête d’un peuple comme celui-là, aussi diminué soit-il, est un gage d’avenir.

Forts de ces beaux espoirs, convaincus que Dinas, quelque part, pourra être fier d’eux, le modeste peuple de La Vallée des Larmes, se presse à ses nouvelles activités. Périnis est stupéfait par les actions menées et par la volonté générale, qui s’est développée en son absence. Les uns préparent le métal dans lequel seront forgées les épées et les lances de leurs futurs guerriers, les autres leurs préparent leurs armures ou leurs fanions. Tous, motivés par le même besoin, la même foi, donnent chacun un peu d’énergie à leur entreprise. Tous ensemble, ils impriment au château une force que peu de gens ont connue. L’ouvrage qu’il reste à accomplir semble si important et la tâche si ardue, que chacun est investi d’un courage à toute épreuve. Il masque pourtant une douleur profonde, l’envie de ne pas avoir peur de leur avenir.

De son côté, le régent laisse le soin à Eléonore d’élever l’enfant dans la plus grande tradition des Rois. Son éducation guerrière devra venir en complément de ce long et difficile apprentissage qu’est celui de souverain. A son âge, le jeune garçon ne peut encore comprendre le gigantisme de la tâche qui lui incombe. Mais dans ses veines coule le sang du plus redoutable combattant que Lidan ait connu, celui d’un chevalier d’honneur, d’un Roi sans partage, un souverain émérite. Le premier chevalier du royaume, modestement, tentera de venir en complément de l’éducation théorique d’Eléonore, pour lui donner les techniques de combat qu’un Roi doit connaître pour être preux.


Au soir du premier jour passé en exil, loin du fabuleux château de Lidan qu’il a dû quitter trop précipitamment, Périnis s’en va profiter seul, de la beauté du couché de soleil pour retrouver un certain calme. Ses yeux, cachés derrière les fentes de son heaume, fixent l’horizon. Il tient Titane au creux de sa main droite. Une sérénité absolue s’empare de lui, une sorte de quiétude pleine et parfaite, un moment de grâce, un instant de pur bonheur, le calme avant la tempête. Le preux se sent si bien qu’il retire son heaume, le glisse sous son bras gauche et laisse son visage se reposer entre les derniers rayons de soleil de cette triste journée. Tout autour de lui, flotte une atmosphère chaleureuse. Le ciel aux flamboiements de torche, s’assombrit pourtant. Il ne pense à rien en cet instant. Pas même à Lidan, pas même à Gorneval ni à Gwendal. Cet instant d’égoïsme pur, a le mérite de lui redonner la sérénité qu’il avait perdue ces derniers jours avec la fatigue et l’angoisse. Il ferme les yeux et attend de ne plus voir au travers de la paroi sombre de ses paupières, les rayons lumineux de la fin de journée. Quand il ouvre à nouveau les yeux, le rouge et l’ocre du ciel ont laissé la place au noir et à l’azur, les premières étoiles apparaissent comme des diamants dans un écrin de velours. Tout autour d’elles, naviguent et se contorsionnent les voiles déchirés des nébulosités nocturnes. Pour lui, il est temps de rentrer et de retrouver son dur labeur. Mais avant de partir, en gardant les yeux levés au ciel, il se promet de revenir ici même, chaque jour que son destin lui permettra de vivre, jusqu’à temps que Lidan lui soit rendu et que Gorneval y gouverne. Tandis qu’il réfléchit encore, il empoigne sèchement la bride du cheval d’Isaac et lui fait faire un demi-tour. Dans son dos continuent de chanter les étoiles qui bercent la vallée et panse ses blessures. Mais Périnis, n’entend plus rien d’autre que l’appel de la vengeance, l’appel du petit Roi, encore inconscient de l’importance de son existence. Après quelques encablures de trot, il rejoint son modeste château. La nuit est noire et promet une belle journée pour le lendemain. Au loin, la citadelle s’endort aussi, étouffant ainsi la clameur terrifiante de la guerre, les cris déchirants de ses démons, les pleurs accablants de ses survivants et la tristesse contenue des derniers guerriers emprisonnés.

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