Mémoire d'un kangouru

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Le désert à perte de vue. Un désert à perte de vue qui brûle encore d'un feu mourant, mais qui a beaucoup détruit. Ma maison à été entièrement rénovée l'année de mes onze ans, quand nous y avions aménagé, moi, mon père et ma belle-mère. C'était mon oncle de ma mère biologique qui s'en était chargé avec une dévotion et une bonté incomparables, comme un cadeau pour le fils orphelin de sa soeur. Et c'était le plus beau chez-soi que je pouvais espérer au delà de toute limite. C'était en plein désert, à trois kilomètres du village le plus proche, à deux kilomètre d'une station service rangée par la rouille, à un kilomètre d'une épicerie delaquelle mon père nous apprivoisait de ce que nous avions besoin, et à un pas seulement des kangourous.

Ma maison à présent que mon père, après sa mort brutale, m'a laissé, fume, craque, brûle lentement tandis que ses murs se fissurent, sa cheminée s'effondre, brique par brique, emportant avec sa chute, ma chute. C'était mon seul chez-moi, en plein milieu d'un désert d'Australie que la chaleur a tellement asphyxié qu'il s'est donné la mort. J'avais refusé de laisser tomber cette maison, même après que mon épouse m'ait posé un ultimatum, que mes enfants m'aient supplié de partir vers la civilisation la plus proche. Je ne pouvais pas. Je ne pourrais pas. Et pourtant, elle brûle, elle n'est plus rien. Elle est noire de cendres, ecchymosée par les coups du feu qui ne l'a pas épargnée, qui ne m'a pas épargné.

J'étais allé hier voir mes enfants à Sydney, là où ma petite-fille faisait un spectacle de danse classique. J'ai laissé ma maison toute seule lorsque le feu s'est déclenché. Est-ce un appel du destin pour partir, se défaire de ce passé, de mon enfance ? Vivre enfin dans le présent avec un nouvel horizon ? Dans le petit jardin que jadis tapissaient les fleurs et les pleurs de ma belle-mère, je retrouve un ancien ami, un nouvel ami peut-être. Il est là effondré lui aussi, son pelage légèrement fumant, ses longues oreilles aux aguets d'un nouveau danger, d'une nouvelle mort. Je me laisse tomber à côté de lui. Il ne frémit pas. Il n'essaie pas de s'éloigner. Il est là. Il me regarde de ses grands yeux pétrifiés d'horreur, qui veulent presque pleurer, sa longue queue immobile. La nature l'a trahie, a détruit son chez-soi, il se confie à l'humain, mais sait-il que tout ça est de la faute de mes semblables ?

Je caresse la kangourou, et je me rappelle la première fois que j'en avais vu un. C'était un soir, sous le ciel étoilé du désert. Ma belle-mère avait eu une énième crise d'angoisse et avait essayé de m'étrangler. Mon père était absent. De toute façon, il ne saura rien de la déprime de sa femme ni de ses sautes d'humeur. Je lui avais promis de ne rien dire. C'était là alors, avec les pleurs de ma belle-mère en arrière-fond, que je l'ai vu pour la première fois. C'était une femelle. Elle avait son enfant dans la grande poche. Elle s'était approchée de moi, m'avait regardé de longs moments comme si elle était fascinée par ce que j'étais. Je me rappelle d'avoir envié le petit kangourou d'être tout le temps avec sa mère. Probablement si j'étais comme ça, j'aurai pu mourir avec la mienne au fin fond du ravin dans lequel elle était tombée.

Qu'as-tu vu ? Pourrais-tu t'en remettre ? Il me regarde, s'approche, ses grands yeux d'un vert éclatant me racontent ce qui sera la mémoire d'un kangourou survivant, mort de l'intérieur.

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