Le monstre

de Image de profil de MARQUEMARQUE

Avec le soutien de  Anneh Cerola, J-T150901 
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Ce matin, peu avant que le soleil ne se lève derrière les montagnes et juste après avoir mis la cafetière en route, je suis sorti, comme d’habitude, pisser dans le jardin. Ce soulagement bien naturel, premier petit bonheur de la journée, imperceptible joie, donne à la vie modeste que nous menons, Maud et moi, une touche de légèreté. J’aime considérer cette offrande organique comme une marque de respect, un aveu de gratitude, envers ce coin de nature qui veille avec bienveillance sur nos existences et les irrigue jour après jour de ces souvenirs discrets, tout juste perceptibles, qui fondent l'armature d’une vie accomplie.

Les premières lueurs du jour laissent deviner les contours de ce paysage familier qui nous entoure. Un léger souffle de vent fait frissonner mes narines. Une odeur désagréable, inhabituelle, m’intrigue. J’avance, longeant l’allée de buis qui a bien besoin d’être taillée, ce que je remets au lendemain depuis des mois, et ralentis le pas en approchant du tilleul. Une masse informe, massive et inerte gît à quelques mètres de moi. L’odeur devient pestilentielle. Bien que je retienne ma respiration il me faut faire un effort pour ne pas vomir. Mes jambes sont prises de tremblements désordonnés et il me faut lutter pour ne pas m’enfuir en courant. Je rassemble le peu de courage dont je dispose, davantage poussé par une curiosité morbide que par héroïsme. À quelques pas, une forme faiblement éclairée par les premières lueurs du jour m’apparaît de façon indistincte. Un pas de plus et je fais alors, avec horreur, cette terrifiante découverte. Une sorte d’animal effroyable, de la taille d’un grizzli, recouvert sur ce qui semble être son dos, de longues touffes de poils sombres, broussailleux et gras. Le reste du corps, dépourvu de membres, est recouvert d’une sorte de gélatine visqueuse d’où émergent des milliers de tentacules minuscules. Ce monstre infect, c'est sûr, ne fait pas partie de la création.

Épouvanté, je m’enfuis, me rue dans la maison, trébuche sur la table basse, monte les escaliers quatre à quatre. Maud dort encore. Elle ronfle, même. Tout agité, tel un dément, je crie ; « Maud, Maud…Vite, lève-toi… » je secoue vigoureusement son bras, la rudoyant presque pour la faire émerger de son sommeil au plus vite. Elle me regarde, les yeux ensommeillés, l'air surprise. En constatant mon état proche de la folie, elle sort précipitament du lit.

-  Bon Dieu, mais qu'est que t'as ?

- Le monstre, dis-je, c’est horrible, inhumain…

Je me mets à bafouiller, incapable d’aligner les mots de manière cohérente. Elle me connaît mieux que quiconque, plutôt posé et effacé qu’exubérant ou farfelu, et comprend immédiatement que quelque chose ne tourne vraiment pas rond.

Nous sortons dans le jardin, elle devant, dans sa chemise de nuit, la blanche avec des fleurs bleues, moi caché derrière elle. Les premiers rayons du soleil ont déjà franchi la cime des montagnes et leur lueur hésitante chasse les dernières nappes d’obscurité. Maud détaille le monstre, puis dit, placide, c’est vrai que ce truc, quoi que ce soit, n’est pas très ragoûtant. Elle se met à réfléchir.

- Bon, le mieux c’est qu’on brûle ce truc avec de l’essence et les vieux pneus qui prennent la poussière dans le garage.

Je la regarde, caché derrière les framboisiers, soulagé. Elle est fantastique. Elle a toujours la solution idéale. Que serais-je sans elle ? Que serais-je devenu sans les femmes, sans leur bon sens, sans leur sexe qui m’a toujours paru plus fascinant que le mien.

Nous avons fait brûler les pustules, les poils et les globules jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un petit tas de cendres puantes. Entretemps, j'ai recouvert mes esprits. à tel point qu'en observant les flammes s’élever il me vient à l'idée de faire griller des saucisses. Nous sommes ensuite rentrés prendre le petit déjeuner. Avant de passer la porte, je repense au monstre. Comment est-il arrivé là ? Et pourquoi ? Et d’où vient-il ? Mais mon esprit rationnel reprend le dessus : « Bah, d’où qu’il vienne, quoi qu’il soit venu faire, on s’en fout ! Allez, va prendre un café et une bonne douche !"

Maud n’est pas dans la cuisine. J’entends le son de la télé. Je pousse la porte du salon. Elle est là, sur le canapé, gonflée, informe, massive et inerte.

Ah, ben mince alors, on n’est pas sortis de l’auberge !

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Le monstreChapitre3 messages | 4 ans

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