Le tableau volé

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Dans les rues grouillantes de Paris, où chacun marchait le plus vite possible vers son travail, où la vie quotidienne prenait son rythme monotone, errait Aristide, un jeune peintre de vingt cinq ans. Il avait un beau visage endurci par la pauvreté, de belles mains salies par les couleurs mélangées. Il traînait le pas presque humilié.

Depuis que le propriétaire de son atelier l'avait menacé d'expulsion s'il continuer à ne pas payer son loyer, Aristide battait le pavé nuit et jour, afin de trouver un travail quelconque. Ses tableaux ne lui rapportaient qu'une dizaine de francs dépensés dans la nourriture et l'achat du matériel. Malheureusement, personne ne voulait de lui.

Il continait sa marche, désemparé. Tout à coup, il jeta l'ancre devant une marchande dans un coin du marché. Il était absorbé dans la comtemplation de l'un des tableaux exposé maladroitement par terre. Aristide s'approcha à pas de loups, il le prit dans ses bras, et murmura des mots imperceptibles. C'était le portrait d'une petite fille habillée d'une robe blanche, elle était allongée dans une prairie et entourée de coquelicots. Pour des raisons mystérieuses, Aristide crut que c'était le portrait de sa soeur Caroline, décédée l'année dernière. Le jeune homme était si attaché à elle qu'il avait pleuré sa mort pendant un mois.

— Eh ! Toi là-bas ! T'as envie de l'acheter ou non ? s'écria la vieille marchande, gênée par le comportement d'Aristide.

— Je peux la prendre chez moi ? Et je vous payerai d'ici une semaine, balbutia le jeune peintre.

— Comment ça ? Et si vous ne m'apportez pas mon argent ? J'suis pas folle, mon bon monsieur. Une imbécile pourrait le faire, pas moi.

Aristide fronça les sourcils légèrement, puis tendit à la vieille cinq francs.

— Mais ça coûte dix francs ! C'est une très belle fille, n'est ce pas ? Celle dans le tableau.

— Pardonne-moi, mère. J'aurais payé mille francs si je les avais eus. Mais je n'ai que ceux-ci, répondit Aristide en montrant ses poches vides.

La marchande haussa les épaules et lui ordonna de s'en aller avec son achat. Il la remercia et courut vers son atelier. Pendant le chemin, il remarqua que le tableau pesait trop, néanmoins il n'y donna pas beaucoup d'importance.

* * * *

Aristide poussa la porte grinçante péniblement, ses mains l'avaient fait souffrir tout au long de la route, toutefois il fut aux anges lorsqu'il posa son tableau sur le lit et caressa les cheveux de la fillette comme si elle était vraiment Caroline. Au moins il avait retrouvé son sourire et oublié ses dettes. Le jeune homme eut beau cherché une signature, en vain. Rien n'était mentionné. Soudain, il remarqua une petite feuille soigneusement collée sur le dos de son trésor. Il la prit si rapidement qu'elle se déchira en deux morceaux, Aristide regretta sa hâte et s'approcha pour lire les deux morceaux rapprochés l'un de l'autre, il y trouva ceci :

Le 3 juin 1977

Ma chère soeur Cloé

Je ne voulais jamais t'annoncer ça mais ce sont les conditions qui m'y ont contraint. Je ne suis pas très satisfait de ce que je suis sur le point de faire, je te le jure. Si je renonce, vous mourrez de faim toi et maman. Théophile et moi arriverons bientôt au Caire ; nous avons trouvé notre prochaine cible. Ne crains rien, nous sommes cachés dans un petit bateau qui traverse annuellement la Méditérranée. Lorsque nous aurons pris le tableau du Musée, nous le vendrons à une bande américaine et à ce moment-là je vous enverrai une grosse somme d'argent. Fais-moi confiance. Et pardonne-moi, ma soeur bien-aimée, c'est pour vous que je suis devenu escroc. Ne dis rien à notre mère, elle s'inquiéterait.

A bientôt,

Ton frère qui t'aime pour toujours

Aristide n'en crut pas ses yeux, une lettre de 1977 ? Pourquoi était-elle collé sur ce vieux tableau ? Et qui était Théophile, Cloé et Michel ? Et ce dernier a-t-il vraiment volé le Musée du Caire ? Le jeune homme était désorienté, il n'avait pas d'explications à ce mystère. Après un certain moment, il se désintéressa, se souvenant de son propre problème et quitta l'atelier pour une dernière tentative.

* * * *

Le soleil s'approchait à l'horizon, c'était sept heures du soir. Aristide rentrait après une soirée fatigante, il tomba sur son lit, les yeux fixés au plafond. Il ne restait rien à faire, aucun métier ne lui correspondait.

Le peintre commençait à perdre son sang-froid, il criait, supplait et implorait Dieu. La lueur d'espoir qui allumait son chemin s'éteignit, le laissant dans l'obscurité. Soudain, il ne put contenir sa colère contre cette mauvaise chance et cet impitoyable destin, et se mit à donner des coups de pieds partout. Lorsqu'il vit le portrait acquis au matin, il le lança vers le mur violemment. A ce moment-là, il vit quelque chose de suspect. Un coin du tableau s'était abimé et laissait paraître un autre objet dissimulé derrière. Aristide se hâta de le récupérer pour l'examiner. Il écarquilla ses yeux lorsqu'il vit un autre tableau plus beau et plus attrayant. Les couleurs étaient choisies sûrement par un professionnel de la peinture. C'était un joli vase dessiné avec tant de charme. La signature affirmait que c'était Fleur de pavot de Vincent Van Gogh, le célèbre peintre. Mais pourquoi l'avait-on caché derrière le portrait de la fillette ?

Tout à coup il se souvint de la lettre, peut-être que c'était celui cité dans le discours de Michel. Le jeune homme devint fou de joie, enfin il pourrait vendre cette pièce et rester tranquille dans son atelier.

* * * *

—Vous êtes sûr de ce que vous dites, monsieur Aristide ?

—Oui oui, monsieur Déclan, j'ai trouvé un portrait dans un marché par hasard. Quand je l'ai brisé, j'ai trouvé dedans un Van Gogh. Vous pourriez s'assurer vous même, voici la signature.

Le conservateur du musée du Louvre ajusta ses lunettes et lut attentivement le nom du peintre. Ce que vient de lui dire ce jeune était vrai. Il poursuivit son dialogue avec Aristide, en lui serrant la main chaleureusement :

— L'art mondial vous est reconnaissant, monsieur Aristide. Ce tableau a été volé du Caire le 4 juin 1977. Et depuis, personne ne l'a trouvé. La récomponse était 5 000 000 dollars. Vraiment inédit qu'il apparaîsse après vingt ans. Je vous remercie pour votre geste.

Un grand sourire se dessina sur les lèvres du peintre. Tandis que le conservateur discutait avec un autre responsable dans le musée, Aristide entra sa main dans sa poche, celle-ci rencontra la lettre pliée. A peine eut-il ouvert la bouche pour en parler, il sentit une main humide et froide saisir la sienne. Quand il se retourna, à son grand étonnement, il vit Caroline debout à ses côtés. Elle portait une robe blanche et sa peau était transparente comme de l'eau pure. Cependant, elle paraîssait gênée. La fillette s'approcha de son frère et lui chuchota :

— Si tu avais été à la place de Michel, qu'aurais-tu fait ?

Le jeune homme sentit sa gorge se nouer, sa soeur – ou le fantôme de sa soeur, puisque il savait bien qu'elle était morte – avait raison. Il hocha sa tête comme signe de compréhension et préféra de se taire. Alors Caroline disparut, aussi subitement qu’elle était apparue. Et Aristide, le pauvre peintre qui allait devenir riche, quitta la grande salle, ayant bonne conscience.

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