Elle s'est sacrifiée, pour vous...

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Seule dans ma chambre, je contemplais les étoiles. Elles étaient si belles et si brillantes que j'eus envie d'en cueillir plusieurs et les offrir à Maman. Soudain, elles devinrent floues et dansèrent devant mes yeux. C'était à cause de mes larmes. Elles s’apprêtaient à dégringoler le long de mes joues, chaque fois que ma mère revenait à ma mémoire. Je lui avais promis de ne pas pleurer pendant son absence mais peu importait ! Papa ne m'entendrait pas, il était dans sa chambre, en train de réfléchir ; c'est ce qu'il me disait lorsque je lui demandais la cause de son fréquent silence.

Je pris une feuille et ma trousse, et en fis sortir les crayons de couleurs que Tante Lilia m'avait offerts lors de sa première visite. Je choisis la couleur verte ; alors une voix agaçante, aiguë et assourdissante cria dans mon petit cerveau :"Danya, pourquoi le vert ? Tu haïssais tellement cette couleur !

— Tais-toi ! Je sais bien ce que je suis en train de faire !"

Après que la méchante voix s'était tue, je commençais à dessiner pendant quelques minutes. Mon travail achevé, je ne savais pas si je devais être satisfaite ou non. Sur la feuille paraissait une grosse boule verte, avec une bouche dégoûtante et des dents pointues. Maintenant, je me demandais si je pouvais tuer le Corona en déchirant cette feuille. Je n'hésitai pas une seconde et, en un instant, la belle feuille devint des bouts de papier. Avec mon esprit enfantin, je crus que j'avais réussi à vaincre ce maudit monstre dont souffraient beaucoup de gens, y compris ma mère.

Lorsqu'on avait appris qu'elle était un cas confirmé de cette maladie, plusieurs choses changèrent dans ma vie; très nombreuses, pas besoin de les compter. La chose la plus importante qui ne m'a pas plu du tout est que je devais rester avec Tante Lilia la plupart du temps, puisque mon père s'occupait de deux choses : le travail et la "réfléxion". Etre avec Tante Lilia était un vrai ennui, elle n'avait pas de centre d'intérêt à part cuisiner et regarder la télévision. Pas de jeu ni de discussion, je restais muette dans mon coin, grignotant silencieusement mes cookies en chocolat. Quand mon père revenait à la maison, je chuchotais dans son oreille que je ne voulais plus rester avec ma tante, il fronçait ses sourcils, puis esquissait un sourire en me disant : "Les vieilles personnes sont comme ça, essaie de parler avec elle à propos de ce qu'elle aimait et tu verras combien elle est gentille." Je ne fis pas ceci, car je savais d'avance que ça ne marchera pas.

Cependant, ce jour-là était un peu différent, ma tante souffrait de violents maux de tête et elle préféra partir chez sa fille, ma cousine agée de 23 ans, Mounira. Je pensais que mon père aurait la chance de me parler et panser la blessure que les circonstances avaient causée, mais hélas ! Il était toujours dans sa chambre.

Un quart d'heure passa sans que j'y fis attention. C'était neuf heures du soir, l'heure du dîner. D'habitude, Tante Lilia nous cuisinait des spaghetti délicieuses, mais cette fois elle n'était pas là. J' décidai d'oublier mon estomac cette soirée, j'avais des affaires plus importantes à régler...

En montant vers la chambre de mes parents, j'essayais d'imaginer la scène qui aurait lieu d'ici quelques minutes. Mon père aurait-il du temps pour me parler ? Ou bien allait-t-il fuir comme toujours ? Arrivée devant sa porte, je fermai mes yeux et commençai à y frapper doucement. Sa voix était à peine perceptible en disant :"Vas-y, Danya." J'entrai silencieusement et le trouvai couché sur son lit. Je m'approchai petit à petit de lui, il ne s'en aperçut pas. Soudain il se retourna ; quand il remarqua mon air chagriné, il me prit dans ses bras. N'ayant que six ans, je ne refusais guère de me laisser câliner. Lorsque je m'arrêtai de rire, je fixai mes yeux bleux dans les siens et je savais bien qu'ils criaient:" Pardonne-moi ma chérie, j'ai été un mauvais papa récemment."

Après une courte durée de silence, je repris la parole en disant :

— Papa, est ce qu'il y a beaucoup de gens qui sont malades comme Maman ?

Il me regarda attentivement et expliqua, en ébouriffant mes cheveux :

— Oui ma petite, il y a plus d'un million de malades, et eux aussi ont des familles, comme ta mère. J'ouvris de grands yeux en écoutant et commençai à compter sur les bouts des doigts le nombre de ces gens, ce qui fit rire Papa et il reprit :

— Tu ne peux pas les compter avec tes petites mains ! Alors je lui demandai en serrant ses doigts : — Et pourquoi le Corona a choisi Maman ? Il y a beaucoup de femmes et d'hommes qu'il pouvait attaquer !

Cette question surprit mon père, il resta muet longtemps, puis il entoura mon cou de son bras et commença à parler sans me regarder :

— Danya, dans la vie, il y a une chose qu'on appelle le "sacrifice". Par exemple une maman ours est tuée par un chasseur car elle voulait protéger ses oursons. Elle s'est "sacrifiée", tu comprends ? Ta mère, comme tu sais, est docteur, elle travaillait auprès des gens malades. C'est comme ça qu'elle a été atteinte. Donc elle faisait de son mieux pour que toi, moi et le monde entier ne souffrions pas, et elle s'est "sacrifiée" pour nous protéger, tu dois être fière d'elle et la remercier, elle et tous les docteurs pour les efforts qu'ils font."

Quand il termina son discours émouvant, je souriais jusqu'aux dents, je sentais qu'une sorte de joie et fierté m'envahissait et je criai fortement, avec toute la force que je possédais :

— Merci Maman, merci pour les docteurs, merci pour ceux qui se sont sacrifiés pour notre santé. Merci !!!

Pour la première fois depuis longtemps, j'ai vu un vrai sourire se dessiner sur le visage de mon père.

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