Trois jours plus tard, nous nous retrouvons devant le Parlement. Aujourd’hui, les parlementaires doivent se décider. Daniel devient le nouveau Roi ou non. Si oui, je deviendrais en même temps Reine. Si non, nous retournerons dans notre maison d’Afrocent et reprendront une vie simple, moi cheffe d’entreprise et lui architecte ou sculpteur. Le stress pèse sur nous deux mais les représentants semblent vraiment détendus, comme si le vote avait déjà eu lieu et qu’ils étaient fiers du résultat. Le Président prend la parole et demande à toutes les personnes présentes de s’asseoir. Une fois ceci fait, il commence la séance en demandant ledit vote. Je m’accroche à la main de Daniel, tremblante.

Les minutes passent, la tension se fait plus forte et devient palpable. Les sourires se font de plus en plus nombreux au fil du temps et que les votes se font. Soudain, une sorte de bourdonnement se fait entendre. Que se passe-t-il ? Le Président se lève et clos les votes. Directement, les résultats s’affichent. Le oui contre le non. Et… le oui l’emporte ! Avec une très large majorité, le Parlement nous donne sa confiance et décide de faire de nous le couple régnant. Je souris et me tourne vers Daniel. Il semble un peu choqué et perdu. Je l’interpelle doucement, lui pressant la main. Il se redresse, inspire profondément et sourit enfin. Il se lève, m’incite à me lever à mon tour et m’entraine à sa suite jusqu’à la tribune. Il dit ses premiers mots de Roi en remerciant l’assistance qui l’applaudit chaudement. Tout sourire, nous sortons de la salle et allons à rencontre des journalistes impatients. Ce n’est qu’un hurlement de joie qui nous accueille. Ils veulent tous être le premier à poser une question à leur nouveau couple royal et crient dans tous les sens des questions et on ne sait plus où donner de la tête. Les gardes interviennent et s’interposent entre eux et nous. Nous récitons le court texte que nous avons préparé dans cette éventualité puis nous les quittons en passant par la grande porte.

Le lendemain, tout le pays est en fête en vue du couronnement. Les gens veulent oublier le désastre de la Fête nationale et se concentrer sur la joie actuelle. Le noir a été abandonné au fond des placards et les couleurs sont de retour, plus éclatantes que jamais. Je n’ai pas beaucoup dormi de la nuit à cause du stress mais je rayonne quand même. Daniel semble un peu plus mal en point que moi : il a les traits tirés, le visage légèrement verdâtre et est tendu. Les habilleuses s’affairent autour de nous en souriant de toutes leurs dents et certaines essayent même de faire les yeux doux à mon mari. Je grogne un peu et elles s’éloignent, penaudes. Sa tenue d’apparat est magnifique. Elle serait encore plus belle avec une grande cape mais ça ne se fait plus depuis des années, malheureusement… Par contre, on va avoir droit à la couronne sertie de pierres précieuses et en or, au globe du pouvoir et au bâton de la Justice. Pour ma part, je porte une longue robe d’un blanc nacrée qui me moule jusqu’au bassin, laissant apparaitre mon petit ventre. Je sais que ça va faire plaisir à beaucoup de monde de le voir.

À onze heures, nous descendons le grand escalier que j’ai déjà descendu il y a trois mois maintenant et mes émotions suivent le même parcours qu’alors. Une foule énorme composée en grande majorité de nobles et de journalistes. Tous les regards montent vers nous et la chorale se met à chanter l’hymne national. Le rouge me monte aux joues et je me sens extrêmement gênée. Daniel sert sa prise sur mon bras au bas des marches, m’embrasse rapidement et se dirige seul vers le trône qui l’attend de l’autre côté de la pièce. Quand il atteint la moitié de son parcours, je commence à marcher, suivant son parcours. Le cardinal dit quelques paroles que je ne comprends pas, je suis trop loin. Je me suis arrêtée au milieu de la salle et, sur le signe d’un Ministre, je m’avance jusqu’à ce que je puisse me placer un peu en retrait de Daniel, à sa droite. Le prêtre pose sur sa tête la couronne d’or, lui tend le sceptre puis le globe. Il se relève, se retourne, glisse une œillade vers moi et dit son discours d’intronisation. Je suis tellement émue que je n’entends rien. Je suis concentrée sur lui, sur son élégance et sur mon amour pour lui.

Il se dirige ensuite vers moi, m’incite à me relever et recommence le même cérémonial, lui à la place du clerc et moi à sa place. Ma couronne est un peu plus fine que la sienne et nettement moins lourde. Cependant, la pression sur mes épaules augmente au fur et à mesure qu’il me tend les insignes royaux. Répétant ses gestes, je pivote vers le public et récite mon discours en mode robot. Je parais la plus calme du monde mais je suis très loin de ressentir ce calme. Je bous et je me sens un peu perdue sous cette pression. Me voilà Reine, épouse de Roi et future mère de l’Héritier.

Nous traversons la ville sous les hourras de la foule nombreuse qui s’est assemblée pour nous voir. Tout le monde sourit sauf la garde royale qui est sur les nerfs, de peur qu’on attente à nos vies alors que nous sommes si exposés. Je suis heureuse mais consciente de ce qui m’attend. Après la capitale, nous visitons les différentes grandes villes du pays durant les deux semaines qui suivirent. Mon ventre s’arrondit et il devient impossible de le garder totalement caché. Je sens de plus en plus la présence du bébé et il s’amuse à se tourner et à se retourner dans l’espace qu’il a encore mais il grandit très vite. Mère ne peut pas s’empêcher de toucher mon abdomen, à l’affut du moindre mouvement et, quand il bouge un peu, elle commence à crier et à s’exalter de ce qu’elle vient de sentir, comme si elle était la seule à avoir ce fabuleux pouvoir. Les gens se bousculent pour me voir lors des visites, pour m’approcher, pour voir mon enfant effectuer une pirouette dans sa cachette. C’est agréable mais en même temps légèrement angoissant. Quand trop de monde m’entoure, sans me laisser d’espace, je deviens claustrophobe et agoraphobe. Daniel ne me lâche jamais, gardant toujours une main ou son bras autour de moi, pour me protéger.

Nous entamons nos devoirs de monarques, Daniel, en tant que chef de l’État, est occupé constamment, ne trouvant que quelques minutes par jour pour me voir et, la nuit, il n’a plus n’énergie de faire quoique ce soit. Il s’évanouit presque de sommeil et je ne peux que le regarder dormir avant de me blottir contre lui. Quand le bébé me laisse dormir… Quant à moi, j’entame mon cinquième mois sereine, mes fonctions étant limitées à cause de la grossesse qui évolue vite. Mon ventre s’est assez arrondi que pour se voir de loin. Je me fatigue de plus en plus vite et tout sport m’est maintenant interdit, le bébé pourrait pousser assez fort que pour percer la poche, ce qui nous mettrait tous les deux en danger. Donc je reste la plupart de mes journées assise ou allongée, à lire des rapports, à donner des conseils et, parfois, à recevoir la visite de Ministres ou de personnalités qui me demandent de l’aide pour un problème ou pour obtenir une subvention supplémentaire pour une association ou pour autre chose. J’écoute calmement, pose des questions et décide de donner un coup de main ou pas. Je m’ennuie aussi, souvent, quand je n’ai rien à faire ou quand le sujet ne m’intéresse pas suffisamment. Mère et Lucas passent souvent me voir et me couvent un peu trop. Avec eux, je ne peux rien faire, rien porter, rien dire de contraire. Je m’ennuie, du moins jusqu’à ce que commence ma vingt-troisième semaine de grossesse.