Chapitre 15

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Un doux baiser me réveille mais je flotte encore à dix mille lieux d’ici. Nous allons atterrir et il n’y a eu aucun incident jusqu’à présent. Ça me réconforte. À la sortie de l’avion, une voiture officielle et les médias nous attendent et nous escortent jusqu’au palais où nous retrouvons avec joie nos proches. Ma famille. Pas parfaite mais meilleure qu’avant et beaucoup plus heureuse. Mère me prend dans ses bras, le visage baigné de larmes, mon frère me pose un bisou sur le front, nous faisant tous rire et mon beau-père me serre contre lui comme mon propre père ne l’a jamais fait. Je suis heureuse. J’ai envie de leur annoncer la bonne nouvelle mais ça attendra le retour des résultats de mes analyses.

Pour l’heure, j’ai rendez-vous avec les deux médecins. Daniel aurait bien voulu m’accompagner mais son père l’a accaparé directement avec le travail et je ne veux pas alarmer Mère et Lucas et les éloigne en prétextant devoir aller prendre une douche avant de les rejoindre dans le salon bleu qui donne sur les jardins. Après tout, qui irait de son propre chef voir deux médecins pour quelque chose d’aussi banal qu’un début de grossesse ? Le docteur Gyman est manifestement très content de me revoir et me pose tout de suite des questions afin de savoir si je vais bien. Il me fait une prise de sang et va faire lui-même l’analyse pendant que le gynécologue m’ausculte.

Le bébé étant certainement encore trop petit que pour être vu avec une échographie normale, il me demande de retirer ma culotte et de me positionner correctement pendant qu’il prend une longue tige blanche un peu bizarre, la recouvre d’un préservatif et l’enduit de lubrifiant. Je stresse presque autant que le jour du mariage et résiste un peu à l’intrusion. Pour me changer les idées, il me demande de lui raconter notre lune de miel, ce qui me détend assez que pour faire entrer la tige. Au début, je ne vois pas grand-chose, juste une étendue grise et noire puis, d’un seul coup, le gynéco s’arrête et sourit. Il se tourne vers moi et son sourire s’agrandit. Il me félicite et me certifie que je suis bien enceinte d'un peu plus de deux semaines. Au même moment, le docteur Gyman revient avec la même expression sur le visage et me félicite à son tour. Je ne sais pas trop si ce sont déjà les hormones qui me travaillent ou si c’est simplement la retombée de la pression qui font ça mais je pleure et mes lèvres sourient jusqu’à mes oreilles. Je vais enfin pouvoir dire au monde entier que mon bonheur est complet grâce à l’homme que j’aime et au bébé qui devrait arriver pour le mois de décembre.

Sans attendre, je monte dans l’office du Roi et m’incruste discrètement dans le conseil des Ministres qui se tient. Daniel me voit, me sourit, me fait un clin d’œil et me demande silencieusement la confirmation. J’acquiesce et son sourire s’élargit. Mon cœur fait un bond de le voir si heureux mais personne ne semble le remarquer. Nous sommes encore un peu seuls au monde, seuls à connaître le bonheur et l’amour total. Placée dans un coin, j’attends mon heure. À la fin de la réunion, alors que les bureaucrates s’apprêtent à partir, je les arrête d’un mot et vais ensuite me placer à côté de mon mari qui s’accapare mes lèvres et triture ma taille avant de me laisser me retourner vers le groupe qui commence à s’impatienter. Je devine leurs questions : « Pourquoi est-ce qu’elle se trouve ici ? Elle n’a rien à nous dire ! », « Que veut-elle ? Ne me dites pas qu'elle est là depuis le début de la réunion! », « Pourquoi est-ce qu’ils ont tous les deux l’air de deux gamins le matin de Noël ? ». Nos quatre mains se posent sur mon ventre, je baisse un peu la tête puis la relève, tout sourire. D’une seule voix, nous annonçons ma grossesse.

Un long silence suit l’annonce avant que la débandade ne commence. Le Roi nous serre dans ses bras jusqu’à nous couper le souffle et le conseil vient nous féliciter et s’enquérir de mon état. Un seul se met de retrait et tire la tête. C’est normal, il était l’un des plus grands soutiens de la Seconde Reine et voilà que les deux seules personnes qui l’ont chassée avisent de l’arrivée prochaine d’un descendant de la lignée, l’éloignant encore plus du pouvoir. Mon beau-père veut faire une déclaration au plus vite. Nous le refreinons un peu, il est encore un peu tôt que pour l’annoncer. S’il devait y avoir une fausse couche, ce ne serait pas seulement le palais qui serait durement touché mais aussi tout le royaume qui n’a pas besoin de cela pour l’instant. Il a déjà été trop éprouvé par la trahison de la Salope et de son fils, leur bannissement et l'emprisonnement de mon père. L’information restera donc secrète jusqu’à la fin du mois, où Daniel et moi prendrons pour la première fois en tant que couple marié la parole devant la presse du monde entier.

Après quelques derniers mots de félicitations, Daniel et moi partons à la recherche de ma mère et de mon frère. Nous finissons par les trouver dans un petit salon du Boudoir Doré, habituellement réservé aux dames de la Cour et aux jeunes de moins de dix-huit ans. Il est donc étrange d’y voir Lucas, âgé de dix-neuf ans depuis quelques semaines. N'avions-nous pas dit qu'on se retrouverait dans le salon bleu? Mais je ne m’inquiète pas pour ça, je suis bien trop heureuse que pour le faire. Mère voit directement le changement qui s’est opéré en moins de deux heures : la fatigue du voyage s’est envolée et nos sourires sont plus larges que jamais. Quand je lui dis qu’elle va être grand-mère, elle hurle, se jette à mon cou, m’embrasse et pleure toutes les larmes de son corps. Combien de litres peut-elle faire couler ainsi en une journée ? Lucas est, dans un premier temps, un peu plus perplexe, il ne semble pas encore envisager la totalité de nos mots. Puis, lentement, l’étincelle se met à briller dans ses yeux qui se remplissent également de larmes.

Il repousse Mère assez violement dans les bras de Daniel et me fait tourner autour de lui, comme Daniel quand je le lui ai dit. Et comme à ce moment-là, j’ai la même réaction : nausées et vomissement. Je cours vers les toilettes les plus proches mais trop tard. Un premier jet sort de ma bouche, aussitôt suivit par un deuxième tout aussi fort et un troisième plus faible. À bout de souffle, la gorge brulée par l’acide, je m’allonge à même le tapis, en position fœtale. J’entends une taloche donnée sur l’arrière d’un crâne, un « Aïe ! Hé ! », une sonnette retentir au loin avant que Daniel ne me prenne précautionneusement dans ses bras. Il me pose délicatement sur le divan, ma tête posée sur ses genoux et éponge mon front avec la serviette humide que Mère est allée chercher aux dites toilettes. La pièce tourne toujours un peu quand le Roi arrive avec une armée de domestiques qui se précipitent vers les reliefs de mon malaise.

Tout le monde s’agenouille et m’entoure mais c’est trop, j’étouffe. Je tourne mon visage vers le ventre de mon mari et essaye de respirer normalement. Impossible. Les vertiges et la fatigue m’assaillent et je n’arrive pas à récupérer une respiration normale. Un regard nous suffit. Mon chéri comprend que ce n’est pas ainsi que je vais aller mieux alors il me reprend dans ses bras et me porte jusqu’à notre chambre plongée dans l’obscurité. Emboités l’un dans l’autre, je m’endors rapidement.

La fin du mois se déroule paisiblement, quelques visites protocolaires ou scientifiques, deux repas officiels avec deux grands dirigeants étrangers et ma première participation au Conseil des Ministres grâce à mon expertise scientifique. Le seul gros événement qui a eu lieu est le procès de mon père et on nous a demandé, au docteur Gyman, à Daniel et à moi de témoigner. Après avoir beaucoup hésité, Gyman et moi y sommes allés mais Daniel n’a pas su y venir, il était en déplacement à l’étranger. C’est étrange de se retrouver dans une salle de tribunal, son père qui vous fusille du regard depuis le banc des accusés et les médias qui attendent à l’extérieur.

À la demande de la Cour, le procès s’est fait à huis clos et j’ai pu rentrer à l’abris des regards des curieux et des détracteurs. Ce n’est pas facile de témoigner contre son géniteur mais, en repensant à toutes les horreurs qu’il m’a faites, la colère m’a aidé à faire cette dure tâche. Le plus bizarre a été de raconter comment il se glissait dans ma chambre tard dans la nuit pour me violer, comment il me prêtait à ses « amis » qui me torturaient à petit feu et comment il a organisé mon mariage avec Jean-Alexandre tout en mettant au point des nanotechnologies qui nous ont presque tués, Daniel et moi. Je n’ai rien caché et, même s’il a été parfois dur de ne pas pleurer, j’ai remis tous les faits à leur place, sans jugement ni colère apparente. Le docteur Gyman a été un peu moins pragmatique et n’a pas caché sa rage face aux photos de mon corps couvert de coups. Le juge a dû lui demander de se calmer ou de sortir de la salle. En deux mots, j’ai réussi à l’apaiser mais il continuait de bouillir à l’intérieur. Le pire fut quand on me demanda ma responsabilité dans la création du poison, m’accusant d’avoir également voulu la mort de mon mari et la mienne. Cependant, grâce aux caméras de sécurité que j’avais placées dans mon bureau, les jurés ont bien pu voir mon père interférer dans mes dossiers et commencer la réalisation du neuroleptique. Maintenant, je n’attends plus que la fin des délibérations et le compte rendu final qui ne devraient plus tarder à tomber. Malgré cela, aujourd’hui, mon excitation est toute autre.

Aujourd’hui, je vais enfin pouvoir annoncer à tout le monde ma grossesse. Daniel s’est levé aux aurores, stressé pour aller courir un peu. J’ai préféré dormir encore un peu mais pas pour longtemps car sa langue jouant sur mon clitoris est le meilleur réveil dont je puisse rêver. Soit ses compétences en cunnilingus se sont encore améliorées, soit les hormones me rendent hypersensible parce qu’il me fait jouir en moins de cinq minutes. Il dépose un baiser sur mon ventre et y pose sa tête, soupirant d’aise. Je passe mes mains dans ses cheveux qui commencent à devenir un peu trop longs et nous restons ainsi jusqu’à ce qu’on vienne nous apporter le petit-déjeuner. Le repas terminé, nous filons sous la douche et nous préparons pour la conférence de presse. C’est un peu beaucoup stressant d’être seulement nous sur le petit podium, assis sur le confortable divan, devant toute cette foule criant des questions à tout va.

Bien évidemment, une annonce pareille, ça interpelle et ça choque. Ça sort dans tous les sens et je ne sais plus où donner de la tête. Je commence à m’énerver mais mon mari est plus réactif que moi et demande le silence d’une grosse voix que je ne lui connaissais pas, me faisant rire sous cape, à moitié cachée par son épaule. Calmés, les journalistes posent leurs questions à tour de rôle. Certaines sont drôles (notamment celle qui veut savoir si le palais est assez grand que pour accueillir toute une marmaille d’enfants), d’autres sont beaucoup plus sérieuses (particulièrement celles sur le procès de mon père où on me demande mon avis sur le verdict final mais je refuse de m’exprimer là-dessus), d’autres sont indiscrètes (surtout celles sur notre vie de couple et notre sexualité). Une journaliste nous demande si on accepterait qu’on soit mis au défi, une fois par mois pendant le reste de la grossesse. J’hésite mais Daniel répond impulsivement oui. Mon air offensé fait rire l’assemblée qui me demande si je pourrais y arriver. Bien sûr, dit comme ça, mon esprit de compétition se met en marche et j’accepte, pleine d’orgueil.

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