Chapitre 11

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Nous commençons nos activités officielles mais une froideur s’installe entre Daniel et moi. Je ne sais pas si c’est à cause des ragots qui roulent sur moi ou si c’est la pression de la fonction qui l’éloigne de moi. De plus en plus, on me pointe du doigt et je sais qu’il va falloir que je démente beaucoup de choses mais je préfère qu’on en parle d’abord nous deux avant d’aller voir le Roi pour lui demander son aide.

Les journées se succèdent, se ressemblent et nous rapproche du mariage, toujours prévu pour le premier avril. J’angoisse de la distance et de l’isolement et ça commence à se voir sur mon visage. Je ne souris plus, mes yeux sont devenus ternes selon les médias qui commencent à raconter des histoires sur notre couple, comme quoi il irait voir ailleurs et qu’il y aurait de l’eau dans le gaz. En effet, nous faisons chambre à part et ne faisons presque plus l’amour. Nous l’avons fait qu’une fois par semaine depuis que nous sommes arrivés, toujours sur mon initiative et, à chaque fois, il se laisse faire, sans réagir même à mes mots les plus cochons qui le mettent d’habitude dans tous ses états. Son toucher me manque. Quand j’essaye de lui parler, il s’éloigne. Va-t-il falloir que je l’accule pour enfin avoir la discussion qui nous pend au nez ? Je le rejoins dans sa chambre, un peu avant un dîner officiel avec le Président du pays voisin. Il sait qu’on doit parler, même s’il évite la conversation et aujourd’hui, il n’y échappera pas.

« - Chéri, tu es bientôt prêt ? Il faut qu’on parle.

- Parler de quoi ?

- Tu sais très bien de quoi. Du fait que tu m’ignores royalement depuis des semaines, que des ragots tournent autour de moi depuis notre arrivée au palais.

- Je ne t’ignore pas. Notre rang nous oblige à une certaine réserve, je ne peux plus me permettre de te baiser tout le temps comme avant, même si j’en crève d’envie, surtout quand je te vois dans une robe aussi alléchante. Quant aux ragots, je ne sais pas de quoi tu parles.

- Ne joue pas aux innocents ! Tu sais de quoi parlent la moitié des domestiques ? Que je couche avec n’importe qui, tant que je peux monter dans l’échelle sociale. Que j’ai couché avec Jean-Alexandre avant de venir te rejoindre, la première fois que nous sommes venus ici ensemble. Que je couche avec toi juste pour devenir la prochaine Reine !

Je craque, je tombe à terre, le visage recouvert de larmes mais il ne s’approche pas de moi comme je le voudrais tant.

- Tu… T’as couché avec ce connard ? Non mais t’es sérieuse ?

- Mais non ! Il a tenté de me violer mais sa mère est entrée dans la chambre avant qu’il n’ait pu faire quoi que ce soit. Elle l’a d’abord pris pour toi et a sorti son putain de poignard avant de se rendre compte que c’était son fils.

- Pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ? Pourquoi ?

- Parce que j’avais honte et peur de ce qu’elle peut encore faire ici alors qu’elle est partie depuis près d’un mois. »

Je lui répète combien je l’aime, que je ne le trahirai jamais et qu’il compte plus que tout pour moi mais, furieux, il sort de la chambre, me laissant seule sur le sol. Plus tard, la porte s’ouvre à nouveau. J’espère que c’est lui mais ce n’est que Julien, le majordome, et le Roi qui viennent me chercher. En me voyant, le monarque chasse le domestique et s’agenouille auprès de moi. Il me prend dans ses bras et essaye de comprendre la situation tout en me consolant. Il rappelle Julien et lui demande d’aller chercher Daniel. Ils reviennent un peu plus tard, Daniel toujours aussi furibond que quand il est sorti de la pièce. Quand il nous voit, son père et moi, il jure et veut s’en aller mais le Roi le retient par un mot. Ils commencent à s’expliquer mais le ton monte vite et très fort. J’ai peur de ce qu’ils peuvent se dire et se faire. Le majordome me relève pour m’éloigner de la dispute et me fait m’asseoir sur le lit avant d’aller demander aux cuisines de me monter une tasse de lait avec du miel. Les deux hommes continuent de se hurler dessus. C’en est assez. Je crie une seule fois et ils s’arrêtent puis se tournent vers moi, interloqués. Tous les mots qui devaient sortir sont sortis et, si je les laisse faire, ils vont se dire des choses qu’ils regretteront toute leur vie, bousillant leurs relations qu’ils recommencent à construire après tant d’années d’incompréhension. L’atmosphère se détend, le Roi rit légèrement, conscient que je n’ai pas tort de les interrompre, et tape sur l’épaule de son fils. Celui-ci est mal à l’aise et vient s’agenouiller devant moi. Il me prend les mains, doucement, et les embrasse. Il s’excuse et pose un baiser sur mes lèvres en séchant mes larmes. Son père sourit et nous fait un peu la morale. Il a raison. On s’est comporté comme des idiots se voilant la face, en se mentant par omission, en voulant aller trop vite et trop rapidement dans notre relation. La tasse arrive, accompagnée de la maquilleuse de la Cour. Je dois toujours participer à ce repas, même si je préfèrerais drôlement plus rester ici avec mon amoureux.

Au final, le dîner a été une vraie réussite, en grande partie grâce à la maquilleuse qui a su récupérer l’état pitoyable de mon visage. Je me demande même si ce n’est pas elle que je vais demander pour le mariage. Enfin réconciliés, Daniel et moi remontons vers sa chambre. Il me prépare quelque chose, mais quoi ? Il m’adresse un sourire en coin, celui qui me dit qu’il va me faire des choses très cochonnes et aussi autre chose. Il m’ouvre la porte après m’avoir demandé de fermer les yeux et m’aide à entrer. Il passe à côté de moi, me tourne autour puis s’éloigne en me demandant de garder les yeux fermés encore un instant. Privée de la vue, mes autres sens se mettent en éveil. La pièce sent la rose et le lys alors qu’elle sent d’habitude son odeur. Le bruit de ses pas est légèrement plus feutré alors qu’il devrait claquer contre le sol. Il revient et se met devant moi puis me demande d’ouvrir les yeux. Il est à genoux et a pris son air sérieux. Dans ma tête, c’est le vide. Je sais ce qu’il est en train de faire et ça me fait peur autant que ça m'excite. Il respire un grand coup et se lance :

« - Mon cœur, je sais que je n’ai pas été très présent pour toi ces derniers temps et que j’ai été le pire des compagnons. La situation de tout à l’heure m’a remis en tête mes priorités et ma plus grande priorité, c’est toi et toi seule. Je t’aime et je ne veux plus te faire de mal, je t’en ai déjà trop fait et presque toutes les personnes que tu connais t’en ont trop fait. Tu mérites d’être traitée comme la plus belle et la plus rare des fleurs mais ils ont passé leur temps à te piétiner, ma championne. Je t’aime et je me rends compte qu’il y a quelque chose que j’ai oublié de faire, il y a deux mois et que j’ai eu tout le temps de réparer mais que je n’ai cessé de repousser. Jusqu’à aujourd’hui. Notre discussion et celle que j’ai eue avec mon père m’ont remis les idées en place, me faisant comprendre que même si je suis le Prince héritier du pays, je ne reste qu’un homme amoureux de sa belle fleur et qu’il a essayé de repousser pour ne pas lui faire de mal, réalisant le contraire de sa volonté. C’est pourquoi je veux réparer mon erreur ici et maintenant. Magdalena de Villeneuve, veux-tu faire de moi l’homme le plus heureux de la Terre en acceptant de m’épouser ? »

Sur ces mots, il ouvre l’écrin qu’il avait caché dans la poche de son pantalon, dévoilant une bague toute simple, en or blanc surmonté d’un diamant à peine plus petit que la taille princesse, mais tellement belle. Je fonds, pleure à nouveau en lui criant un « Oui » que tout le palais a dû entendre et en lui sautant un cou. Je l’embrasse et laisse mon cœur exploser de joie. Il rit et pleure, m’embrasse puis passe la bague à mon doigt. Elle est parfaitement à ma taille. Quand je lui demande d’où est-ce qu’elle vient et comment il a su qu’elle serait parfaite, il me répond qu’il s’agit de la bague de fiançailles de ses parents et que sa mère aurait voulu qu’elle me revienne et qu’elle serait fière de lui d’avoir trouvé une perle comme moi.

On rit, on s’embrasse, on pleure et on passe au lit. Il me prend une première fois doucement, en prenant son temps pour me faire grimper aux rideaux puis me fait un second et un troisième round, beaucoup moins doux mais tellement passionnés. Pendant qu’il s’endort logé sur ma poitrine, je pense au fait que je ne prends toujours pas la pilule, vu qu’il faut qu’on fasse un enfant dans l’année. Le gynécologue royal m’a déconseillé de commencer à la prendre maintenant juste pour deux mois alors qu’il en faut trois afin d’être sûr de son efficacité. En comptant sur mes doigts, je me rends compte que je suis en pleine phase d’ovulation. Oh merde… On a déjà parlé d’avoir des enfants, de comment on pourrait les élever mais ça me semble si tôt, si rapide… Serais-je enceinte pour le mariage ? Je n’ai plus le temps de me poser toutes ces questions, nous serons officiellement mari et femme dans trois jours et je ne vais pas me ruiner la santé à penser à avoir un enfant. Si je tombe enceinte, c’est tant mieux pour nous deux.Si non, on a toute la vie devant nous pour en faire.

Ces trois derniers jours sont passés à la vitesse de l’éclair. Pendant un de ces trois jours, nous avons effectué une dernière visite dans une école maternelle et primaire, en présence des médias qui ont fait tourner l’info en continu : j’ai l’air beaucoup plus heureuse, mon regard pétille à nouveau, je souris, on ressemble enfin à un couple complice et amoureux et surtout, il y a finalement une bague autours de mon annulaire. Une magnifique photo résume mon bonheur, Daniel me tient dans ses bras pendant que je porte un petit enfant dans les miens et où on voit très clairement la bague. Beaucoup ont fait le lien avec la bague de fiançailles du Roi et de la Reine.

L’avant-veille du mariage, nous passons notre temps ensemble, profitant de la présence de l’autre tout en finissant d’arranger les derniers détails. Tout est presque parfait. Mon frère est arrivé au palais ce matin, excusant Mère pour son intolérable absence pour ce qui devrait être le plus beau jour de ma vie, selon mon fiancé. Je ne peux pas trop lui en vouloir de lui en vouloir, j’aurais préféré qu’elle arrête de se comporter comme une enfant et accepte mes choix, pour une fois.

Dès que nous trouvons un endroit assez isolé et loin des oreilles indiscrètes, nous faisons l’amour. Dans le grand salon, cachés par une montagne de coussins, dans et sur son bureau, à côté de la porte des cuisines d’où sortent de merveilleuses odeurs, dans les escaliers, les corridors, bref, absolument tout le temps et partout. Jusqu’à ce qu’on soit découverts dans un placard à balais par une pauvre dame de chambre qui hurle en refermant la porte. Nous nous rhabillons en vitesse et sortons en catimini afin d’éviter la colère du Roi qui a entendu le cri de la pauvre femme. Je ne comprends pas, elle a eu un magnifique spectacle sous les yeux, pourquoi a-t-il fallu qu’elle se mette à hurler ?

La veille du mariage est consacrée aux répétitions. Encore et encore, jusqu’à ce que tout soit parfaitement chorégraphié. Je finis par m’énerver contre deux demoiselles d’honneur qui font encore des erreurs au bout de trois répétitions, nous faisant tout recommencer depuis le début. Cette fois-ci, c’est la bonne ou j’arrête tout et j’irai seule jusqu’à l’autel et me marierai comme je le voudrai ! Alléluia ! Cette fois, c’est la bonne ! On y est enfin parvenu, après six répétitions et sept heures sur mes talons aiguilles, mes pieds me font souffrir le martyre. Après un dernier repas sur le pouce, il est déjà temps d’aller se coucher si je ne veux pas ressembler à un zombie demain matin. Bizarrement, je ne stresse pas mais je sens que la nuit de chasteté imposée par le protocole va être très longue et très difficile à tenir. Daniel est aussi peu tenté de dormir seul que moi et, dans le dos de tout le monde, vient me rejoindre dans dernière nuit de jeune fille pour une dernière séances de galipettes au lit avant demain. Je dois le pousser dehors car, comme le veut la tradition, ma porte doit être scellée à la cire à minuit jusqu’au matin où l’homme de confiance qui me conduira à l’autel viendra me chercher pour la cérémonie. Je n’ai pas envie de le laisser partir mais, au moment où nous échangeons un dernier baiser passionné, j’entends le bruit de pas et sens l’odeur de la cire chaude. Je repousse mon futur mari, lui souhaite une bonne nuit puis cours me réfugier sous mes draps défaits par nos ébats afin que l’huissier ne se doute pas de ce que nous venons de faire. Celui-ci entre discrètement, pose le sceau sur tous les passages secrets qui mènent à ma chambre sauf un, réservé au personnel qui viendra me préparer dans la matinée puis va fermer la porte principale. Me voici enfermée de mon plein gré dans ma chambre mais cette fois-ci, c’est la dernière à tout jamais.

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