Chapitre 58A: mai - juillet 1809

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Le trois mai, j’eus cinquante-neuf ans sans grande joie, personne ne savait que d’ici un an, j’entrerais dans une période que j’attribuais il y a encore vingt ans aux survivants. Je me portais particulièrement bien pour mon âge, même si des rides apparaissaient sur mon visage, et que mon dos avait tendance à se bloquer de plus en plus souvent. Si il restait compliqué de trouver des cheveux blancs à Marie en blonde qu’elle était, Léon – Paul en revanche en avait quelques uns parfois visibles mais encore bien rares, qu’il parvenait sans difficulté à masquer dans ses boucles rousses interminables et rebelles. Nous n’aurions pas pu lui en trouver dans la barbe, car il se rasait de près un jour sur deux. Je le trouvais encore bel homme, mon fils de trente – six ans.

Alors que je l’avais oubliée dans ma routine quotidienne, je repensais à ma nièce Marie – Louise, qui ne donnait plus de signe de vie depuis maintenant quatre ans. A ce stade - là, ça n’aurait pas été pessimiste de croire que je ne la reverrais jamais, et que les ponts si longtemps entretenus avaient été définitivement coupés.

En juin, Frédéric chanta pour la dernière fois dans sa chorale avant la prochaine rentrée de septembre, où de nouveaux élèves arriveraient peut – être. Il progressait beaucoup en technicité et en assurance. Le soir au moment de rentrer après la représentation, alors que je saluais de quelques mots les mères et grand – mères d’élèves devant l’église, les enfants jouèrent avec un étrange jeu composé d’une large tige en bois et d’une boule de la même matière reliés par une cordelette. Au moment de repartir vers la maison, Frédéric couru vers moi tout heureux.

— N’est – il pas trop beau le bilboquet de Jean – Jacques ? J’aimerais beaucoup en avoir un.

Je lui attrapais la main en vieux réflexe.

— Quel est le principe ?

— C’est très simple grand – mère. Joignait – il les gestes aux propos. Il suffit de lancer d’une seule main la boule pour qu’elle retombe pile sur la tige en bois.

— Mais… Je ne comprend pas. La boule est – elle percée ?

Il fis un petit bond sur place, tout excité.

— Oui ! Sinon ça ne pourrait pas fonctionner !

— Que vous – arrive t-il enfin ? Une mouche vous aurait – elle piquée ?

Nous rentrâmes, Jeanne avait déjà dressé la table et elle repassait les chemises dans le salon. Marie s’occupait de je ne sais quoi à l’étage, n’ayant pour je ne sais quelles raisons refusé d’accompagner son fils à l’église. Trop fatiguée sans doute, par sa grossesse déjà entamée de deux mois. En effet, elle lâcha la nouvelle entre deux soupirs, après de nouveaux reproches de Léon – Paul, pas encore au courant à ce moment – là. Cette fois apparemment était la bonne, l’enfant semblant bien installé au creux du ventre de sa mère. En fait, enceinte ou pas, elle paraissait toujours aussi fatiguée. Seulement elle aurait une excuse meilleure que les autres pendant les sept mois qu’il lui restait à patienter, jusqu’à la fin du mois de décembre ou le début du mois de janvier, période prévue du terme, bancale entre les deux années.

Frédéric avait pris depuis déjà un certain temps l’habitude de sauter les deux ou trois dernières marches de n’importe quels escaliers, et notamment ceux de la maison. Un soir en descendant au salon, et alors que je me trouvais juste derrière lui, ses pieds dérapèrent au moment d’atterrir et il vint violemment se taper les fesses contre le sol de pierres. Quelque peu sonné, il se releva en se frottant le derrière de douleur. Sa mère, assise dans le canapé, se retourna simplement suite au bruit.

— Il s’est blessé ?

Surprise de cet intérêt maternel subit, je la rassurais tout de même.

— Non. Il n’aurait qu’a arrêter ses bêtises et cela ne se produirait pas.

— Ah ? Encore ses sauts périlleux. Je vous dis…

Peu fier durant les dix minutes qui suivirent, il ne recommença pas de si tôt.

De temps en temps, je feuilletais le journal de Léon-Paul, mais la plupart du temps, les articles parlaient de politique et de l’empereur, ce qui ne m’intéressait pas trop. Depuis deux ans, une affaire agitait les conversations de nos hommes, concernant une royaliste, Caroline de Combray, ayant organisé le sept juin 1807 avec son amant, Armand – Victor le Chevalier, une attaque pour récupérer soixante – mille francs à un convoyeur de fonds, argent qui avait ensuite été caché dans une forêt près de Caen. Ils avaient été arrêtés et emprisonnés à Paris, mais lui s’était échappé le quatorze décembre. Rapidement rattrapé, il fut fusillé l’après – midi même. Sa maîtresse, avec dix autres suspects, fus condamnée à la peine capitale en décembre 1808, malgré les supplications de ses filles auprès de l’empereur. L’exécution à la guillotine devait se dérouler le six octobre prochain en la place du Vieux – Marché à Rouen. Je comptais y emmener Frédéric, l’enfant n’ayant encore jamais assisté à ce genre de spectacle. Peut – être même qu’avec un peu de chance, les filles seraient encore en vacance.

Ce n’est que lorsque le plancher intérieur de sa voiture se fissura complètement que Léon – Paul pris la décision d’abandonner ce moyen de locomotion au profit de la marche à pied, dont il recycla le bois en combustible pour nos cheminées. Il vendit ainsi à bas prix ses deux juments pour s’en débarrasser le plus vite possible, a notre voisin éloigné paysan qui en fus ravi. Évidemment, lorsque Bellencontre se proposait de venir le chercher ou le ramener, il ne refusait pas, mais cela n’avait pas trop l’air de le déranger. Pour l’instant pensais – je, nous étions en été et les températures restaient clémentes, mais en hiver, comment ferait – il ? J’apprendrais volontiers pour mon ( grand) enfant à tricoter des gants, un vrai chapeau chaud plutôt que son haut de forme ridicule et rembourrer son manteau actuel, qui s’essoufflait. Quant à Frédéric, il effectuait toujours tous ses allers – retours seul, et les voisins n’avaient jamais encore eu à rapporter quoi que ce soit comme bêtise. C’était un enfant modèle, sage et docile.

Au début du mois de juillet, mon fils nous laissa une petite bourse pour les achats quotidiens, et monta dans la voiture de Bellencontre, pour une formation accélérée de douze jours à Paris, à l’hôpital Saint – Louis, en partie financée par le service des hôpitaux de la ville. L’ambiance générale se détendit ainsi à la maison, les dîners et soupers se prenaient non pas dans une décadence totale, mais dans un assouplissement, si Frédéric voulait nous raconter sa journée sans avoir à attendre qu’on lui pose la question, je ne voyais pas le problème. En revanche, pour ses coudes sur la table et son assiette qui devait être terminée, je restais intransigeante. Jeanne pouvait s’asseoir cinq minutes avant de finir de débarrasser la table, alors que Léon – Paul exigeait que cela soit terminé rapidement. Elle débarrassait les plats et remplissait les verres au fur et à mesure du repas, s’asseyant rarement avec nous et mangeant plutôt dans la cuisine, avant.

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