Chapitre 57B: juin - juillet 1808

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Au début de l’été, Léon-Paul et Marie se rappelèrent qu’ils étaient mariés depuis déjà dix ans, depuis le vingt et un juin 1798. Même si nous ne fîmes rien de particulier pour marquer l’occasion, savoir à quelle vitesse passait le temps m’effrayait.

Pierre Bellencontre continuait d’emmener père et fils au cabinet tous les matins, et l’homme passait de plus en plus de temps chez nous. Chaque midi où il travaillait, il prenait son dîner à notre table, et son rire fort et si particulier résonnait entre les murs de pierres de la maison. Lorsqu’il se trouvait en congé, Léon – Paul et Frédéric partaient à pied. Quant aux juments qui rongeaient leurs boxes, mon fils les promenait à la main lorsqu’il avait le temps, en ville, et parfois même, il montait son petit garçon sur leur dos, ce qui lui déclenchait de grands sourires, ainsi haut perché. Si la crainte d’une averse ne quittait jamais vraiment nos esprits, nous profitâmes de ce mois de juin et du soleil au rendez – vous, pour nous promener le plus possible, dans les rues pavées de Rouen, au port pour observer le vas et vient des navires de commerce, et nous en profitâmes d’ailleurs pour emmener Frédéric voir le Gros – Horloge, dans la rue du même nom tout près de l’église Saint – Maclou, où ne nous étions pourtant jamais rendu. Un magnifique monument de la Renaissance, datant de cinq siècles avant nous, aux dorures et aux couleurs bleues, rouges et dorées.

Dans les fontaines, il agitait ses mains, dans les escaliers, il sautait les dernières marches, et sur la place du Vieux – Marché, il courait pour faire s’envoler les pigeons. A six ans, Frédéric était plein d’énergie, et l’idée qu’il intègre la chorale du père Georges d’ici quelques mois me rassurait sur le fait que cela l’assagirait forcément. Comme sa mère ne lui disait strictement rien, je passais mon temps à le rappeler à l’ordre, lui demander de revenir, de me tenir la main.

Désormais, Frédéric se lavait et s’habillait seul, demandant juste encore un peu d’aide pour lacer ses chaussures et boutonner sa veste, il lui arrivait encore parfois de mélanger les boutons entre eux. L’enfant devenait autonome, et cela me rendait fière.

Le père Georges revint nous voir après une messe, s’adressant à Léon – Paul.

— Je reviens vous voir car une place dans la pré -maîtrise se libérera au mois de septembre, et j’aimerais savoir si vous souhaitiez toujours y inscrire votre enfant.

— Oui, je n’ai pas changé d’avis. Après si vous voulez savoir l’idée me trottait dans la tête depuis un certain temps, mais je le pensais encore trop jeune.

— Pourquoi donc ? Quel âge a t-il ?

— Six ans mon père.

Le prêtre eu un instant de flottement.

— Vraiment ? Aurais – je déjà vu Seigneur un jeune garçon aussi grand pour six ans ! Je le pensais âgé d’au moins huit ans, et c’est pour cela que je suis venu vous voir. Mais peut – être pourrions nous nous arranger, après tout, je l’ai retenu parmi d’autres…

Finalement, le père Georges accepta de le récupérer en septembre en pré – maîtrise, malgré son jeune âge, moyennant une légère modification de l’acte de baptême fourni par la paroisse, petit Frédéric apparaîtrait comme né en 1800, cela passerait mieux. Il nous expliqua donc qu’il faudrait l’emmener tous les jours sauf le jeudi et le dimanche à neuf heures, au bâtiment accolé à l’église, et venir le récupérer vers quinze – heures trente, après les leçons, car il ne se contenterait pas de chanter, il ferait aussi son catéchisme, recevrait des leçons de latin et de grammaire, et apprendrait éventuellement le maniement d’un instrument de musique. D’ici deux ans si il le souhaitait et après sa première communion, il pourrait recevoir une aube et ainsi intégrer le service des servants d’autel de la paroisse, pour servir le prêtre et Dieu lors des messes, baptêmes, mariages ou communions. Léon – Paul n’y voyait aucun inconvénient, car cela n’empêcherait en rien le jeune garçon de partir étudier au collège à douze ans à Paris, pour devenir médecin, comme il ambitionnait depuis longtemps pour lui.

Sous le soleil de Normandie, nous sortîmes la bassine d’eau pour Frédéric, qu’il puisse jouer dans le jardin infini, tout seul, désormais assez âgé pour ne plus avoir trop besoin de surveillance. De temps en temps tout de même, je jetais un œil à travers la vitre de la porte – fenêtre, mais il paraissait concentré sur ses trouvailles de la nature. Après mes tâches, tandis que Marie était sortie avec Jeanne, j’attrapai un ouvrage pour aller m’installer dehors et lire sous la légère brise de ce mois de juillet. Il m’apporta bientôt, les mains jointes, quelque chose. Je posais mon livre sur mes genoux pour m’y intéresser.

— Oh… Qu’est – ce ?

— Une petite bête rouge et noire. Elle grimpe sur mon bras regardez…

Cette vision me donnait cependant des frissons.

— Allez la manipuler plus loin si vous le voulez – bien. Je n’aime pas trop cela.

— Rhôoooo… Ce n’est tout de même pas la petite bête qui va manger la grande…

Alors qu’il s’éloignait, et non pas sourde, je m’exclamais.

— Vous en avez terminé avec ce mauvais caractère ? Frédéric ?

Vexé, il hocha simplement la tête de haut en bas.

Assis dans l’herbe sous le feuillage du chêne, un peu plus préservée que le reste du terrain, il remuait avec un bout de bois l’eau de la bassine, son chapeau posé à côté, se levant de temps en temps pour aller récupérer je ne sais quoi. Il revint à un moment avec une petite boîte. Je m’étonnais.

— Approchez – vous. Il me montra le petit coffret. Où avez – vous donc déniché cela ?

— Dans la maison.

— Nous sommes d’accord. Mais où exactement ?

— Dans ma chambre, elle était sur ma table de chevet. C’est pour mettre les insectes.

Je le laissais repartir, vaquer à ses explorations et capturer de petites bêtes en tout genres. Le retour de Marie et Jeanne m’incita à rentrer à la maison, pour les aider à déballer et ranger leurs achats, entre autres des bougies, de l’huile pour les lampes, des boutons, du linge neuf ou encore des aiguilles et du fil pour raccommoder les vêtements. Elles avaient dévalisé la nouvelle droguerie récemment ouverte en centre – ville, proposant des articles peu coûteux en grande quantité. Auparavant, il fallait passer commande auprès d’un commerçant. Frédéric dû profiter de notre intérêt pour autre chose pour remonter discrètement dans sa chambre, son coffret dans la main.

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