Chapitre 57A: mai 1808

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Élisabeth mit au monde relativement vite un petit garçon en pleine journée du trois mai, jour de mes cinquante-huit ans de vie. Nous nous rendîmes au chevet de la jeune accouchée dès que la nouvelle nous fut parvenue par Léon-Paul, pour qu’elle ne se sente pas trop seule, et prendre des nouvelles de mon neveu, malheureusement déjà retourné au travail. Impressionnée, la sage – femme, restée un peu avec la mère, ne s’attendait pas à une telle facilité pour un second accouchement.

Malgré cela, et alors que toute l’attention restait centrée sur le nouveau – né, Marie, sa main posée sur le front, s’interrogea sur les tremblements d’Élisabeth, prise de frissons et que nous fûmes bientôt obligées de couvrir, retournant les placards pour dénicher autant de couvertures possibles. Elle appuyait aussi beaucoup sur son ventre encore très gonflé, dont elle avait l’air de se plaindre, malgré son patois incompréhensible, de sa dureté au toucher. Au bout d’une heure, nous rentrâmes à la maison. Lorsque nous revînmes, cette fois avec Frédéric, trop heureux d’avoir pu nous accompagner, quatre jours plus tard, son mari se tenait près d’elle, assis sur un siège. Comprenant que quelque chose n’allait vraiment pas, nous nous précipitâmes. Je posais ma main sur l’épaule de mon neveu.

— Que se passe t – il Auguste ?

— Elle n’arrive plus à parler, à prendre l’enfant, et on me dit que c’est normal ! Je ne comprend pas…

En effet, Élisabeth n’avait pas l’air de se remettre de cet accouchement pourtant décrit comme facile. Grelottante, elle paraissait pourtant être dans un état proche de l’inconscience, au fond de son lit, n’avalant rien de plus que quelques cuillerées de soupes dans la journée. Léon – Paul arriva sur les demandes de Auguste pour l’examiner, mais, confus, il ne su trop quoi dire, prescrivant au mieux une cure de vitamines. Nous apprîmes finalement son décès le matin du dix mai, survenu la veille, un bouleversement pour son mari.

Nous louâmes des robes noires que nous portâmes pour l’enterrement de la mère, et le baptême du fils prénommé Charles, six jours de vie et déjà orphelin. Auguste nous rassura sur ce point, car madame Fleuret acceptait de l’élever. Sinon, le jeune père aurait été contraint de l’envoyer en nourrice à la campagne, faute de pouvoir le garder avec lui.

Ce drame ralentit quelque peu nos vies durant une période, nous nous posions d’avantage de questions. A quoi tenait une existence ? A une grossesse, qui, si elle n’avait pas eu lieu, aurait pu laisser la jeune femme en vie, et mourir d’autre chose ? A cet enfant, malheureusement arrivé à terme ? Quelle serait sa vie, à ce petit ? Nous l’ignorions. Léon – Paul nous expliqua par la suite que ce genre de décès après l’accouchement arrivait souvent lors de naissances à l’hôpital, mais plus rarement à la maison, où les jeunes accouchées mouraient plus souvent d’hémorragies, en l’espace de douze ou vingt – quatre heures.

Ce mois de mai fut difficile pour nous aussi car si cet hiver pluvieux nous avait déjà déprimé, le décès d’Élisabeth ne fit qu’empirer les choses. Ma patience envers Frédéric se trouvait limitée à ce moment – là, et je parvenais à lui faire comprendre. A six ans désormais, il lisait avec fluidité, même si l’écriture restait à améliorer, car il avait tendance à ne pas suivre les lignes, et à confondre certaines lettres. Mais son père n’abandonnerait pas ses apprentissages de si tôt.

Un dimanche matin, alors que nous allions quitter l’église après notre messe dominicale, le père Georges, un vieil homme ridé comptant quarante ans de service en cette église, vint à notre rencontre. Léon – Paul lui serra la main, et il nous salua également. Il se pencha ensuite vers Frédéric, qui serrait le livret de prière entre ses mains.

— Quel est votre nom mon enfant ?

— Frédéric.

— Êtes – vous baptisé ?

L’enfant se tourna vers nous, et Léon – Paul répondit.

— Oui il l’est mon père.

Le père Georges attrapa les mains du petit garçon.

— Cela vous plairait – il de rejoindre mon chœur ?

Surpris, mon petit – fils leva de nouveau la tête vers nous. Encore une fois, son père s’exprima à la place de son enfant.

— Ce serait une excellente chose pour lui. En attendant qu’il puisse rentrer au collège.

— Bon, alors dans ces cas – là, je reviendrais vers vous ultérieurement, pour le concours.

Alors comme cela il y avait un examen. En effet, le prêtre revint vers nous le dimanche d’après après une messe pour évaluer les qualités vocales de l’enfant, pourtant réticent.

— Nous t’écoutons.

Il chouinait en se tordant les doigts de peur, son père s’impatienta.

— Vas – y, chante quelque chose. Ta grand – mère t’en as sûrement appris.

Devant notre insistance et celle du père qui n’avait pas que cela à faire non plus, Frédéric se mit à chanter d’une petite voix. Le vieil homme nota quelques chose sur un carnet, et nous laissa repartir. Le dimanche suivant, il nous informa que Frédéric avait été retenu.

Après de dernières salutations, nous quittâmes l’édifice, je tenais la main chaude de Frédéric. Je lui expliquais ensuite ce qu’était un chœur, et non pas un ‘’ cœur’’, comme il croyait jusque là. Cela n’avait pas l’air de le rendre fou de joie, mais ce ne serait de toute façon sûrement pas pour de suite.

Marie m’informa de sa fausse – couche lorsqu’elle survint, et cela ne passa pas inaperçu, car comme pour la précédente, elle paru épuisée et nous dûmes faire laver les draps déjà tâchés de la fois d’avant. Cependant, elle décida de ne pas en parler à son mari, car selon elle, cela n’aurait fait que l’inquiéter inutilement, par rapport à la mort récente d’Élisabeth, et puis, beaucoup plus intime, elle chuchota, son mari risquerait de s’en vouloir sur le fait de ne pas suffisamment ‘’ faire attention’’ pendant les caresses.

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