Chapitre 56H: mars 1808

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C’est en allant le réveiller un matin que je m’aperçus que Frédéric suçait ses doigts. Si petit dans son lit, lové sous sa couverture, la tête posée sur son oreiller de plumes, il m’attendrissait beaucoup. J’allais ouvrir les volets pour l’habituer à la lumière, et aérer la chambre. Sa mère ne s’en occupait jamais le matin, préférant rester au lit jusqu’à neuf heures, neuf heures et demi. Je lui caressais les cheveux emmêlés.

— Frédéric… On se réveille…

Il râla, s’étira et s’enfouit de nouveau sous ses couvertures. Certain matins paraissaient plus difficiles que d’autres. Dans ces cas-là, lorsqu’il ne semblait pas enclin à le faire lui-même, je soulevais la couverture pour l’asseoir sur le lit, le déshabillais de sa robe de nuit, et lui enfilais ses vêtements, son pantalon et son costume bleus, ses chaussettes blanches et ses chausses cirées noires. Nous ne l’habillions pas comme son père, mais presque.

En ce début du 19ème siècle, la mode était du retour à l’antique, avec pour les femmes des robes assez légères serrées à la taille par des rubans bleus ou noirs, un grand châle de cachemire sur les épaules, et les cheveux courts, autant pour les femmes que pour les hommes. Cependant nous n’éprouvions aucune envie de raccourcir nos très longs cheveux, car nous étions des femmes, et cela, même si il s’agissait d’une mode, elle nous paraissait incongru. Et puis, Léon – Paul n’aurait pas forcément accepté.

Il ne neigea pas cette année-là, mais nous comprîmes l’origine du surnom de notre ville, appelée ‘’ le pot de chambre de Normandie ‘’, puisqu’il n’arrêta pas de pleuvoir, pas forcément fort, mais sans arrêt. Nous sortîmes quand même, au marché et à l’église, car nous ne souhaitions pas rester enfermées tout l’hiver, mais ça n’avait pas la même saveur que les jours de beaux temps. Nous marchions, d’un pas pressé, panier sous le bras, vêtues de nos capes de pluies, nous arrêtant parfois pour cueillir un champignon. Jeanne restait alors à la maison, pour préparer le repas ou faire le ménage, ou elle nous accompagnait.

Jeanne, Léon – Paul la rémunérait peu, mais nous la logions, la blanchissions, la nourrissions. Au fil des années, nous nous étions attachés à elle comme quelqu’un de notre famille, elle avait vu les enfants naître et grandir, cela faisait presque dix ans qu’elle était à notre service. Une femme d’une quarantaine d’années, aux cheveux noirs et aux yeux bruns, à la taille mince et toujours vêtue d’une robe noire et blanche surmontée d’un tablier blanc. Je ne l’avais jamais vue habillée autrement, et je ne connaissais pas son nom de famille.

En février, Auguste nous confirma qu’Élisabeth attendait bien un enfant, prévu pour le mois de mai. J'effectua une prière pour que tout se passe bien, et que le nourrisson naisse vivant. Frédéric lui, se mit à sautiller un peu partout à l’annonce de la nouvelle.

— Eh, calmez – vous un peu, ce n’est pas comme si vous alliez avoir un frère ou une sœur.

Il s’assagit, et revint vers moi, assise dans le canapé, s’appuyant contre le dossier.

— Est – ce que je vais en avoir un jour ?

— Je l’ignore. Pourquoi ? Aimeriez-vous être grand frère ?

Il hocha la tête de haut en bas en prenant son doigt et vint ensuite s’asseoir près de moi. Il retira ses chausses et s’allongea, posant délicatement sa tête sur mes genoux, se laissant caresser les cheveux doux.

Quelques jours plus tard, par un soir orageux, son père rentra trempé, en pestant, et injuriant. Déjà à table car Frédéric ne devait pas se coucher trop tard, nous nous levâmes, inquiètes.

— Que se passe t-il ?

Tout dégoulinant, il m’apparut perturbé.

— Figurez – vous que la voiture m’a lâché. J’ai bien manqué d’y passer d’ailleurs…

Il monta avec ses chaussures boueuses à l’étage et redescendit ensuite. Il nous expliqua que les deux roues arrières s’étaient décrochées et qu’il avait manqué de tomber à la renverse. Les chevaux, en panique, ont été arrêtés par un passant et Léon – Paul est rentré à pied, sous la pluie, en menant les juments à la main.

— Il serait vraiment temps que j’en achète une nouvelle, mais les prix sont inabordables.

— Comment l’avez - vous eu, celle – ci ?

— Un ami de Faculté m’en avait fait legs il y a maintenant plus de quinze ans. J’avais embauché le cocher en arrivant à La Houblonnière en 1791.

Le soir, après la prière et au moment de souffler la bougie, Frédéric m’interrogea.

— C’est quoi ‘’ La Sablonnière’’ grand – mère ?

— La Houblonnière ? Et bien c’est là qu’a vécu votre père pendant huit ans, avant de se marier et de partir à Rouen.

— Pourquoi il est parti ?

— Parce-qu’il voulait que ses enfants fassent des études. Et ce n’était possible que dans une grande ville.

— Et moi ? J’étais où ?

— Vous n’existiez pas encore.

Nous discutâmes un peu, avant que je ne préfère écourter, de peur que le sujet ne dérive vers un bord sensible.

Léon-Paul effectua ses trajets à pied pendant toute la fin de la semaine, avant qu’un de ses associés ne s’organise pour venir le chercher avec son fils tous les matins, le ramener le midi, et le soir. Sans doute rendues nerveuses de ne pas être sorties, j’entendais les juments taper des sabots et hennir dans leur écurie. La première fois, alors que nous sortions pour nous rendre en ville, mon petit – fils sursauta.

Comme Léon-Paul ne possédait pas assez d’économies pour racheter de suite une nouvelle voiture, ce système d’entraide s’installa dans le temps, jusqu’à ce que Frédéric, devenu au bout de deux mois assez proche de Pierre Bellencontre, ne se résolve à le surnommer ‘’ Pierrot Belle rencontre ‘’ , qui fus d’ailleurs invité d’honneur lors du dîner organisé pour son sixième anniversaire, le jeudi vingt et un avril. Tout heureux, il eu le droit l’après – dîner même à une visite chez l’artiste Dominique Penloup de la rue de Lille, qui lui peignit grâce à un ingénieux système sa silhouette et celle de ses parents, qu’il pouvait ainsi garder à vie dans un médaillon à deux volets. Son père le lui attacha à une petite chaîne, pour que l’enfant puisse le glisser dans la poche de son pantalon sans risquer de le perdre. Nous terminâmes ensuite l’après – dîner en compagnie de Pierre, un charmant homme particulièrement galant, tandis que Frédéric, apparemment épuisé, s’était assoupi sur son lit.

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