Chapitre 56E: octobre 1807

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Imaginant rentrer tard dans la nuit, sans anticiper les deux heures trente nécessaires pour arriver ici depuis Forges – les – Eaux, nous n’avions pas prévu de malle ou d’affaires de toilette.

Pierre, en repos suite a une bronchite, nous reçu assez froidement, clairement énervé de notre arrivée imprévue, même si Charlotte, avec son ton calme, essaya un tant soit peu de tempérer ses mauvaises humeurs. Je lui fis part de mes craintes quant à son départ pour la nuit et elle décida donc par simple précaution de coucher ici, comme elle en avait l’habitude assez souvent, tant son mari revenait peu. Après une soirée particulière où chacun alla se mettre au lit sans aucun autre mot que sa prière habituelle, et une nuit toute aussi froide où, vêtue de ma simple chemise, je grelottais sous mes épaisses et poussiéreuses couvertures, nous nous rendîmes dans la matinée au cimetière pour déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du docteur François Gillain et lui accorder une prière. Marie ne pleura pas.

En début d’après – dîner, après le repas vite avalé, Pierre nous raccompagna quand même à Forges – les – Eaux, où nous pûmes de justesse attraper la voiture commune de seize heures. Dès que nous eûmes franchi le seuil de la porte, Jeanne nous embrassa, en nous proposant d’aller chercher de l’eau pour un bain. Flattée de tant d’attention, je regardais Marie en souriant. En montant à l’étage, je me mis à chercher Frédéric et Louise – Marie. A ma grande surprise, dans sa chambre, Léon – Paul et son fils, se tortillant sur sa chaise de bois apparemment inconfortable, essayait de se concentrer sur une page d’un ouvrage.

— Bonjour mon fils. L’embrassais – je. N’allez – vous pas travailler cet après – dîner ?

— Si, seulement j’essaye de faire lire à Frédéric la dernière page du livre.

Je montrais mon étonnement face au comportement étrange du petit garçon.

— Eh bien Frédéric ! Un peu de tenue je vous prie ! Qu’avez – vous donc à vous tortiller ainsi ?

— Rien grand – mère.

— Dans ces cas – là, cessez un peu de gigoter et concentrez – vous sur ce que votre père essaye de vous faire lire.

Et puis Léon – Paul retourna travailler, il venait par bonheur d’être décidé par le trio d’associés que chaque semaine, sous la forme d’une tournante, un des médecins aurait son jeudi chômé, grâce a une réorganisation des horaires, ils ouvriraient plus longtemps certains jours pour pouvoir se libérer du temps d’autres jours. Tout commença dans l’ordre alphabétique des noms de famille, et Léon – Paul fus donc le premier a en bénéficier.

Lorsque je revis Frédéric après le départ de son père, rien n’avait l’air de s’être arrangé dans son attitude. Jeanne me fit d’ailleurs part de son interrogation.

— L’auriez – vous remarqué ? Depuis deux, trois jours Frédéric se gratte beaucoup les fesses.

— Bien sûr, depuis mon retour, je vois qu’il ne tient pas assis sans se tortiller, mais il refuse de m’expliquer. Et ça me dérange beaucoup, parce que je trouve cela complètement déplacé.

Léon – Paul, lui aussi inquiet, suspecta des vermines dans son ventre. La nuit suivante, l’enfant ne dormit presque pas, et au lendemain matin jeudi, après le déjeuner, une bien mauvaise surprise nous attendait. Dans la chambre qu’il occupait avec sa sœur, triturant le bas de sa robe, car je ne l’avais pas encore habillé, Frédéric pleurait, debout près de son pot de chambre.

— Je vais mourir grand – mère… je vais être dévoré vivant…

J’eus un haut le cœur devant la vision des petits vers blancs qui rampaient dans les excréments. Je hélais donc son père, qui, après avoir constaté le problème, se dépêcha de faire l’aller – retour jusqu’à son cabinet de façon à récupérer un remède anti – vermineux pour l’enfant.

Frédéric devait le boire deux fois par jour pendant trois jours, au lever et au coucher, pour être enfin guéri. Nous espérions juste que ces petites bêtes ne contamineraient pas toute la famille.

Si les vers ne revinrent pas de si tôt chez nous, en revanche, c’est mon fils qui se mis à m’inquiéter. Ses quintes de toux impressionnantes résonnaient de plus en plus souvent entre les murs de la maison, et malgré cela, malgré sa gorge irritée par des années de fumage intensif, ses verres d’alcool parfois très fort lorsqu’il invitait ses collègues, il s’étonnait d’être abîmé.

Même si je restais persuadée que le tabac provoquait ces maux, le souvenir de cette fichue tuberculose ne s’éloignait jamais vraiment, ne quittait jamais véritablement mon esprit. Elle avait déjà emportée ma sœur et mon mari, et je crois que je n’aurais pas pu supporter qu’elle m’arrache mon fils.

Jeanne s’en allait d’habitude nettoyer le linge de maison au lavoir municipal chaque dimanche après – midi, mais en fonction du temps pluvieux ou non, cette tâche pouvait être repoussée jusqu’à parfois le lundi suivant, notamment lorsqu’il faisait vraiment trop froid.

Cependant, parfois nous subissions des semaines entières de précipitations presque sans aucune éclaircie et il fallait bien que ces lessives se fassent un jour, car nous n’avions pas beaucoup de changes, juste une tenue pour la semaine et une normalement conservée au propre dans l’armoire, réservée au dimanche et donc lavée seulement une fois toutes les sept semaines. Celle – ci servait exceptionnellement en semaine lorsque Jeanne n’avait pas pu laver à temps les vêtements ‘’ quotidiens ‘’ devenus puants de transpiration et trop tâchés, mais je détestais vraiment cela, car cela cassait le côté exceptionnel du bel habit pour le grand jour, et Frédéric avait vite fait de se renverser l’encrier de son père sur le pantalon, bien que celui – ci soit de couleur bleu foncé.

Lorsque Jeanne était contrainte de se rendre au lavoir malgré la pluie, et qu’elle désirait faire ensuite sécher les draps et les vêtements, l’idée de transformer notre salon en séchoir s’imposait souvent. Cela amusait bien les deux petits, qui jouaient alors à cache – cache derrière les rangées de draps étendues comme nous le pouvions, décrochant parfois sans le faire exprès les immenses linges qui s’étendaient alors sur notre sol de pierre, déclenchant l’énervement de Jeanne.

Lorsque Léon – Paul en rentrant devait écarter les draps pour se frayer un chemin jusqu’à l’escalier ou le canapé, il me faisait penser à un aventurier dégageant les branches d’arbres et lianes pour pouvoir passer, comme il y en avait dans le roman que j’avais lu pendant une période chaque soir a Frédéric et Louise – Marie, longuement intitulé ‘’ La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d'un naufrage où tous périrent à l'exception de lui-même, et comment il fut délivré d'une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même ’’.

Frédéric avait appris le titre par cœur et surtout durant la période de lecture du livre, il aimait le réciter le plus vite et le mieux possible, en concours avec sa grande sœur. Les éclats de rires résonnaient lorsqu’un d’entre eux s’embrouillaient ou se trompaient dans une phrase, surtout au moment du mot ‘’ Orénoque ‘’ compliqué à prononcer pour de si jeunes enfants.

Petite Louise – Marie ne savait pas encore lire, mais cela n’avait pas l’air de la déranger.

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