Chapitre 56D: septembre 1807

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Septembre fut orageux, des arbres furent déracinés et plusieurs incendies se déclarèrent à Rouen, heureusement tout près de la Seine, donc vite éteints par les habitants et les sapeurs déployés en renfort. Dans un mois, petite Louise-Marie partirait en pensionnat avec sa sœur, et nous allâmes donc chez la couturière habituelle pour commander son uniforme, pour qu’il soit bien prêt en avance et que nous ne soyons pas prises au dépourvu le jour de la rentrée. Cette gentille dame, en notant soigneusement notre commande après avoir mesuré la petite fille sous tous les angles, s’extasia sur notre Frédéric qui avait tant tenu à accompagner sa sœur.

Il restait un peu en arrière, près de l’entrée de la boutique, observant avec fascination une cage à oiseau, dans laquelle s’agitait une petite bête jaune.

— Vous avez vu ? C’est un oiseau qu’on appelle ‘’ canari ‘’.

Le petit garçon, intimidé, s’en retourna vers nous, suscitant la curiosité de madame Séguin.

— Ne vous fait-on pas d’uniforme ?

Je m’exclamais en lui caressant les cheveux emmêlés.

— Oh non, il n’a que cinq ans. Le collège, ce ne sera pas pour tout de suite, et pas ici. Son père veut l’envoyer à Paris faire ses études.

— Dites – donc, il est drôlement grand pour son âge ! Son père saurait - il seulement qu’il existe un établissement très réputé, ici, à Rouen ?

— Évidemment, mais que voulez – vous…

Après avoir payé, nous sortîmes sous un crachin qui tombait d’un ciel aux nuages bas et noirs à l’horizon, présageant un orage pour ce soir et cette nuit. Il faisait chaud, ce qui étonna ma petite – fille.

— C’est bizarre grand – mère, je ne savais pas qu’il pouvait faire chaud et pleuvoir à la fois. Ça me met mal grand – mère, ce mélange d’été et d’hiver. Tu sais quoi Frédéric, se précipita t-elle vers lui, on est plus en été, on est en ‘’ éter’’ !

Évidemment, il ria de toutes ses dents et dévoila sa bouche baveuse de petit garçon en sautillant, libéré durant l’après – midi du regard lourd et sévère de son paternel.

Le facteur venait glisser sous notre porte et chaque matin les lettres qui nous étaient destinées, la majorité du temps nous n’en voyions pas la couleur car mon fils se réveillait toujours le premier et récupérait ce qui le concernait, souvent la totalité, avant que nous ne soyons levées. En descendant prendre son déjeuner, ce matin du dix – sept septembre, Marie découvrit avec surprise un courrier qui lui était destiné et que Léon – Paul avait disposé négligemment sur le buffet dans la salle à manger, comme il en avait l’habitude pour tout ce qui ne le concernait pas. Elle s’assied devant son bol encore vide, et lu en plissant les yeux pendant un temps interminable, sans même m’en rendre compte, je le la lâchais pas du regard, craignant par dessus – tout une mauvaise nouvelle. En la voyant se figer en posant le papier, je compris que quelque chose n’allait pas. Et pour cause, cette lettre annonçait le décès de François Gillain, son père, foudroyé le douze par une attaque cardiaque.

Évidemment, ma belle – fille, profondément blessée, souhaita que l’on parte au plus tôt à Saint – Germain, en espérant que son père n’ai pas déjà été enterré. Nous dûmes attendre le retour de Léon-Paul le soir venu pour recevoir son accord, et si il n’exprima aucune raison de refuser, en revanche, selon lui, il était déjà trop tard pour assister à l’enterrement. Il nous emmena donc à la poste le lendemain matin, avec Frédéric, serrant sa mallette, et qui resta avec lui pour l’accompagner comme tous les jours au cabinet. Nous attrapâmes un peu après la voiture commune en direction de Forges-les-eaux, où nous marcherions autant qu’il le faudra.

En arrivant, nous marchâmes un peu avant d’arrêter une dame pour lui demander notre chemin. Je remarquais au passage qu’elle portait un nouveau – né sur son dos.

— Saint – Germain ? A pied ? Vraiment ? Elle regarda l’homme qui l’accompagnait en souriant. Michel, elles veulent rejoindre Saint – Germain a pied.

— Oui j’ai entendu. Eh bien mesdames, je ne voudrais pas vous vexer ou vous décourager, mais c’est à trente – cinq kilomètres au sud. Hélez donc une voiture. Bonne continuation.

Ils poursuivirent tranquillement leur route pendant que nous demeurions hébétées, ayant apparemment largement sous – estimé la distance qui séparait les deux villes. Sans autre solution, nous décidâmes de faire des signes au bord de la route très peu passante, pour espérer attirer l’attention d’au moins une voiture. Au bout de trente minutes interminables où nous nous désespérions un peu plus à chaque fois que quelqu’un passait devant en nous ignorant, un homme chapeauté et perché sur le siège sommaire de sa petite charrette, qui transportait une énorme cargaison de paille, arrêta sa mule à notre hauteur.

— Boujou madame ! Oû va t-i ?

Marie s’approcha de lui, cachant le soleil qui l’éblouissait d’une main et en levant la tête car il n’avait pas pris la peine de descendre.

— A Saint – Germain. Pourriez – vous nous y emmener ?

— J’eu bé d’trop abienner ! Si viatiqui i village, coudire i. A s’vei.

Nous n’avions rien compris de ces propos, mais à le voir repartir, il fus clair que ce ne serait pas dans sa charrette que nous attendrions Saint – Germain. Une heure plus tard, alors que nous pensions clairement retourner à la Poste pour attendre la voiture commune et rentrer à Rouen, et il nous apparut comme Saint-Michel, une sorte d’homme simplement vêtu et sans apparente classe, accepta de nous prendre pour nous emmener là où nous le voulions, même si ça devait lui faire faire un léger détour.

Au bout de deux heures et demi de route coupées par un arrêt dans une auberge, nous arrivâmes devant l’entrée de la ruelle où vivait Catherine. Nous avançâmes dans l’espèce de large corridor plutôt sombre, la lumière cachée par la hauteur des bâtiments qui la jouxtait. Je laissais l’honneur à Marie de frapper à la porte. Je perçu les pas rapprochés dans l’escalier, puis Catherine, les traits fatigués, les cheveux châtains tirés et partiellement dissimulés sous une sorte de châle. Elle embrassa sa jeune sœur et moi – même.

— Oh Marie et Louise ! Quelle surprise ! Entrez – donc, ne prenez pas froid.

Nous la suivîmes jusqu’au premier étage, où elle vivait toujours avec son mari, si ce n’est que son fils aîné Joseph, âgé de vingt – deux ans, avait quitté la maison pour rejoindre Rouen, où il exerçait comme jeune médecin et habitait désormais toute l’année. Les trois autres enfants étudiaient toujours au lycée, et le deuxième cadet Marc, dans sa vingtaine, préparait son examen pour entrer en Faculté de médecine, à Rouen également. Nous nous assîmes autour d’un thé, rien n’avait changé depuis notre dernière visite il y a cinq ans. Catherine nous réclama à juste titre des nouvelles des enfants, qu’elle aurait bien aimé revoir à l’occasion de cette visite, et reprocha gentiment à Marie son retard par rapport au décès de François, et le fait qu’elle ne soit pas venue depuis si longtemps. Un peu plus tard, au retour de Paul, son mari, Catherine nous souhaita bonsoir, car il allait nous emmener dans sa voiture neuve jusqu’à la maison de son beau – frère Pierre, située à quelques rues de là, où nous pourrions passer la nuit.

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