Chapitre 47G: Mars - avril 1799

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Ma belle-fille perdit les eaux le vingt-neuf mars, mais le travail ne commença que le lendemain. Assise sur une pauvre chaise, elle crispait ses mains sur les miennes, pendant que la sage – femme essayait de passer outre ses cris et ses pleurs, pour mettre au monde cet enfant. Le premier avril, j'étais enfin grand-mère. J'embrassais ma petite – fille avant de la laisser aux bras de Marie. Léon – Paul, lui, était encore au travail. Quand il rentra, il posa ses affaires et montait quatre à quatre les escaliers, jusqu'à la chambre de sa femme, sans savoir si elle avait accouché. Lorsque j'y retournais un peu plus tard, le nouveau – né dormait dans son berceau, près de sa mère épuisée. Mon fils avait dû descendre.

Attablé, son expression de visage était neutre. Je lui passais la main dans le dos.

— Allez – vous bien ?

— Couci-couça. ... J'aurais préféré avoir un garçon. Ça ne me rassure pas si vous voulez, imaginez que je suis un père à filles...

— Un père à filles ?

— Oui, c'est l'expression utilisée par mes collègues pour désigner un homme qui ne sait engendrer que des filles. Deux, quatre, six, huit... Un cauchemar.

— Mon frère, votre oncle Louis, a eu six filles. Il a même versé quelques larmes lors de la naissance de sa quatrième. Mais franchement, vous devriez profiter de votre enfant plutôt que de vous lamenter sur son sexe. Vous aurez d'autres enfants de toute manière et encore maintes occasions d'avoir un garçon.

Nous remontâmes tous les deux. Je poussais la porte de la chambre, Marie et sa fille dormaient toujours profondément, mais la petite reposait sur sa mère, accrochée à son sein. Je les laissais tranquille, et accompagnais mon fils jusqu'à son bureau.

— Allez – vous écrire les faire – part ?

— Oh non, ça ne se fait plus. Aujourd'hui, tout le monde les fait imprimer. Il faut juste que j'écrive au libraire pour commander les tirages, et savoir combien on en fait sortir. Tenez, une plume, faites moi une liste des familles à informer de la naissance, avec leurs adresses.

Je m'y attelais. Bien sûr, je ne pensais qu'à ma famille en omettant bêtement celle de Marie, toute aussi importante. De toute manière, je ne connaissais ni le nom, ni l'adresse de son père. Nous n'aurions qu'à lui demander à son réveil. J'en venais à m'interroger sur une chose bien importante.

—Dites – moi, comptez – vous bien la faire baptiser demain ?

— Non, d'ici quinze jours. Elle est en bonne santé maman, il n'y a pas de quoi s'inquiéter.

—Et si il lui arrive quelque chose ? Que cela vous coûte t-il d'au moins la faire ondoyer ?

— Écoutez - moi, le monde d'aujourd'hui n'est pas le même que celui que vous avez connu il y a trente ou quarante ans. Les choses changent, les enfants ne meurent plus autant qu'avant et le baptême est d'avantage une fête qu'une formalité. Je tiens à inviter mon cousin et son épouse qui seront son parrain et sa marraine et a offrir des dragées. Cela prendra un certain temps. Comprenez -vous ?

J'étais inquiète pour cette petite, car une mort sans baptême risquait une errance éternelle et atroce, dont on ne pouvait faire le deuil. Des vagissements aigus sortirent soudainement de la chambre et parvenaient jusqu'à mes oreilles. Marie venait de se réveiller, elle reposa malgré ses pleurs l’enfant dans son berceau et elle bailla.

— Je crois que ses langes sont déjà sales. Pourriez-vous me montrer comment la changer ?

C'est ce que je fis. Comme elle était encore incapable de se lever, je m'asseyais près d'elle sur le lit et je lui montrais d'abord comment nettoyer les fesses du bébé avec un gant de toilette, puis rattacher ses langes propres. Ceux qui étaient souillés furent mis dans une panière pour être donnés à Jeanne qui irait les laver au lavoir municipal. Après une ultime tétée, le nouveau – né se rendormit dans mes bras. Je la berçais mais le fait qu'elle ne soit pas encore baptisée me donnait la singulière impression qu'elle pourrait à tout moment se casser en mille morceaux.

Le mercredi suivant, s'absentant exceptionnellement de l'hôpital, son père l'emmenait en voiture jusqu'à la mairie de Rouen, pour y établir l'acte de naissance. À son retour, il annonça ne pas avoir pu réfléchir dans la précipitation, et avoir donné Anne comme nom à l'officier d'état-civil.

Son épouse était en colère.

— Je t'avais dit de l'appeler Marie. Pourquoi ne m'as-tu pas écouté ?

Il posa le couffin dans un coin de la pièce et s'assit sur le lit.

— Écoute... Marie... Ça ne fait aucune importance. C'est le nom de baptême qui compte. Et puis, je ne suis pas trop d'accords pour Marie. Je penche plutôt pour Alice ou Louise.

— Ce que tu m'énerves ! Quelle différence, de toute manière ? Elle portera ces prénoms dans un ordre ou un autre. Qu'en pensez-vous, Louise ?

— Je suis certaine qu'Alice serait flattée que sa filleule porte son prénom. Mais après, c'est à vous de voir...

Léon-Paul se leva.

— Tu vois ? Je ne suis pas le seul. Alice, c'est très bien. Et puis comme seconds et troisièmes pour le baptême, on lui donnera Marie et Louise, comme ça, tout le monde sera satisfait.

Le jeune père quitta la pièce, nous laissant avec l'enfant.

Le dimanche, quatorze avril, en présence de son parrain et de sa marraine, qui avaient pour l'occasion fait couper les longs cheveux blonds de leur fils, et en l'église Saint-Maclou de Rouen, le nouveau – né recevait le sacrement du baptême. Alice la tenait dans ses bras, et Marie une serviette chaude pour l'y emmitoufler après sa sortie des fonts baptismaux. Après la plongée sacrée, et les oraisons du prêtre, nous sortîmes de l'église en jetant des pièces sur le parvis. Les enfants locaux s'y étaient attroupés et se battaient pour quelques centimes, s'arrachant les cheveux et se brisant des dents dans la bousculade.

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