Chapitre 56A: mai - juin 1807

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C’est en croquant dans une pomme que petite Louise-Marie perdit sa première dent de lait. Elle saigna un peu mais pleura beaucoup, inquiète de ce phénomène malgré tout banal. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que je me rappelais que rien ne lui avait été apporté sur sa table de chevet. Il paraissait vrai qu’en tant que cadette, coincée entre l’aînée, la première, et le benjamin, pour l’instant encore unique et futur transmetteur du nom et fierté de son père, on avait tendance à l’oublier. Ça ne faisait rien, car si elle souhaitait vraiment qu’on lui accorde de l’attention, elle n’hésiterait pas a le manifester.

Léon – Paul rentra énervé un soir, il monta poser ses affaires et redescendit au pas de course, s’asseyant sur le canapé.

— Terminé le chauffage en cette période, nous allons devoir réparer la voiture.

Je m’approchais inquiète de mon fils.

— Ah oui ? Vous avez eu un accident ?

— Le toit n’est plus étanche, les joints à l’intérieur commencent à se décoller. J’avais posé ma mallette sur la banquette et il y avait une petite flaque d’eau dessus. Ce n’est pas grave pour l’instant mais j’irais tantôt acheter de la résine.

Il consacra donc son dimanche après – midi armé d’un pinceau acheté tout spécialement, à refaire les joints à l’intérieur qui assuraient la bonne étanchéité de la structure de bois. A cette occasion, Jeanne la nettoya de fond en comble, passa le balais entre et sous les banquettes de cuir, les lava à l’éponge, et même l’extérieur, dont la peinture noire s’écaillait malheureusement, laissant le bois apparaître. Les enfants observèrent tout ce remue ménage un temps, avant d’aller s’amuser dans l’écurie, faisant d’interminables allers – retours à la cuisine pour récupérer secrètement des légumes, ce qui, une fois que je m’en fus doutée, m’agaça.

— Dites – donc les enfants là, je trouve que beaucoup de légumes du placard disparaissent en peu de temps. Auriez – vous une explication ?

Louise – Marie et Frédéric se regardèrent mutuellement, comme pour rejeter inconsciemment la faute sur l’autre. Tout sourire, ils savaient cependant bien lorsqu’un adulte prenait les événements sur un ton plutôt léger ou grave, selon l’expression et l’intonation.

— Alors ?

Louise – Marie fit sa moue boudeuse.

— C’est Frédéric…

— Oui, suis – je sotte, de toute manière, ce seront toujours les autres. Je leur pointais du doigt la porte. Filez, et ne recommencez pas.

Ils détalèrent tous les deux, jamais rassasiés de découvertes et de jeux en plein air. Plus tard, après quelques recherches, je les retrouvais perchés sur une barre verticale du portail.

— Que faites – vous ?

Frédéric se retourna.

— Louise – Marie a vu un cerf !

Sa sœur le reprit, après être descendue de son observatoire.

— C’était une biche ! Elle n’avait pas de cornes !

Je croisais les bras, peu encline à engager le débat.

— Ah oui ? En attendant de vous mettre d’accord, vous allez monter, votre mère vous cherche, pour enfiler votre vêtement de nuit avant le souper. Il commence à se faire tard.

Ils coururent comme à leur habitude, sautèrent presque les trois marches du perron, traversèrent le salon en marchant, car Léon – Paul mine de rien veillait, et montèrent quatre à quatre les escaliers, pour rejoindre Marie. Tout ça dans la fraîcheur de leur enfance, et de leur insouciance.

Tous ces instants de bonheur restaient souvent éclipsés par la maladie, qui touchait chaque enfant au moins une dizaine de fois par an, généralement des maux de ventre, des diarrhées et parfois des vomissements, mais cela était plus rare. J’avais horreur de voir mes petits souffrir, pleurer, transpirer de fièvre ou se vider littéralement en pleine nuit. La peur de les perdre persistait, car cela allait tellement vite et aucun âge n’était épargné.

Au soir du quatorze juin, avant le souper, nous nous mîmes sur notre trente et un pour assister à l’inauguration du nouveau cabinet des docteurs ‘’ J. Bobet, L.P Aubejoux, et P. Bellencontre’’, équipé du nécessaire sur le temps libre de ses diplômés, et dont la porte avait été barrée d’un ruban rouge. Mon fils laissa le privilège à son petit garçon des ciseaux, qui, fier comme un coq une fois le travail terminé, usa de sa voix enfantine pour improviser.

— Et voilà, le cabinet de Léon – Paul Aubejoux est ouvert !

La petite assemblée composée des médecins et de leurs épouses et enfants respectifs applaudit, et nous pûmes pénétrer dans ce qui deviendrait notre gagne – pain quotidien, composé de deux pièces, une de rangement et une de consultation, où les tâches seraient équilibrées et les jours de repos consécutifs permis après concertation. Encore une fois, le vin coula à flots, et les amuses – bouches furent vite dévorés par les enfants, que nous tentions malgré tout de freiner car le souper n’avait pas encore été pris. D’après mes souvenirs, trois filles et deux garçons accompagnaient leurs pères et mères ce soir – là, sans que je ne saches exactement qui était de qui. Le tout s’éternisa, comme il aurait bien fallut s’en douter, et nous ne rentrâmes qu’après vingt – deux heures, les enfants épuisés et le ventre quasiment vide, que nous dûmes tout de même mettre à table, devant une soupe vite avalée.

Quelques jours plus tard, Léon – Paul signa avec ses deux collègues son acte de démission, enfin il s’était jeté à l’eau, et nous n’avions pas de bouées de sauvetage, car le directeur les avaient déjà prévenus, il n’aurait plus besoin d’eux.

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