Chapitre 55D: mars - avril 1807

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Parfois en allant nous promener dans Rouen, les gens nous complimentaient sur notre petit Frédéric, qui, en plus d’avoir gardé ses beaux yeux bleus, portait les mêmes cheveux bouclés que son père, en châtains. Une fois, une dame âgée lui paya un sucre d’orge pendant que nous attendions dans la file pour acheter la gazette. Tout heureux, il ne pu cependant le suçoter qu’après le dîner, sous la jalousie de sa sœur, qui râla de ne pas en avoir eu elle aussi. Devant nos menaces si elle persistait à se plaindre, Louise – Marie monta bouder cinq minutes dans sa chambre, avant de redescendre au salon, comme si de rien n’était.

Un autre jour, assise près de nous dans l’église pendant la messe, une femme caressa la tête de Frédéric en le complimentant. Il la remercia de son regard d’agneau, d’angelot. Ce petit bout d’homme de presque cinq ans était sollicité par son paternel qui paraissait plein d’ambition pour lui, ayant déjà choisi son futur collège, à Paris pour qu’il y reçoive le meilleur enseignement possible, même si il devrait prendre un crédit sur deux ou trois années pour le financer. Frédéric partirait en pension à l’année vers huit ans, en attendant, il s’apprêtait à recevoir les leçons en écriture et lecture de je ne savais encore qui.

Le treize mars au soir exactement, Léon – Paul se rendit chez le notaire avec ses deux associés pour signer l’acte d’achat d’un ancien local commercial situé au centre – ville, non loin du cabinet de banquier d’Auguste. Il rentra à la maison accompagné de Bobet et Bellencontre, tout heureux, et embrassa même son épouse sur le front pour la première fois depuis longtemps. Il prirent la soupe avec nous, qui restions silencieuses, Jeanne préférant ne pas s’asseoir pour être disponible, et moi tentant de redresser les enfants courbés sur leurs chaises, le nez dans leurs assiettes, tout intimidés. Frédéric sursauta lorsque son père lui tapa dans le dos plutôt violemment, dans un regain de jovialité qui me fatiguait beaucoup à vrai dire.

— Mes amis, la relève est déjà assurée ! Regardez – moi ce futur médecin ! Docteur Léon – Marie – Frédéric Aubejoux, diplômé de la Faculté de Paris !

Bobet fronça les sourcils pour imiter l’expression naturelle du petit garçon, très mal à l’aise.

— Je l’imagine bien charmer les jeunes patientes avec son regard séducteur…

Ils se tordirent de rire, pendant que je priais les petits de se dépêcher de terminer de manger. Moi, comme Marie ou Jeanne, n’étions pas à l’aise, surtout que plusieurs bouteilles avaient été sorties.

Le vin coula à flots et les rires graves embaumés d’alcool et de tabac des trois hommes résonnèrent jusque tard entre les murs de notre maison. En allant me coucher, je frissonnais d’entendre leurs plaisanteries passées de moqueuses à grivoises au stade de l’écœurant, et j’avais peur de ce que cette explosion des barrières morales pouvait leur faire faire. J’ai un doute sur le fait qu’ils passèrent leur nuit dans le salon, mais si ce fus le cas, ils durent sûrement repartirent travailler tôt le lendemain, car nous ne les croisâmes pas a notre réveil.

Tout arriva très vite, puisqu’en avril, les réjouissances annuelles des anniversaires pointèrent le bout de leur nez, Louise – Marie eu six ans le quatre, et son frère cadet cinq ans dix – sept jours plus tard. Il commençait à réclamer des apprentissages, voyant toutes ces lettres indéchiffrables arriver, et les vieilles gazettes s’accumuler dans l’armoire de sa chambre. Son père, préférant dépenser son argent pour financer ses études dans un très bon collège, lui fis la promesse de l’emmener à son cabinet dès qu’il serait inauguré, tous les jours avec lui, pour qu’il puisse l’aider sur ses temps de pause et le faire étudier. En revanche, Louise – Marie devrait attendre le mois d’octobre prochain pour apprendre à lire et écrire. De toute manière, elle n’en sollicitait pas l’envie.

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