Chapitre 55C: octobre 1806 - janvier 1807

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Le dimanche suivant, après une soupe consistance que Frédéric fut obligé d’avaler avant ses quelques jours de diète, mon fils passa à l’action, armé d’une grande pince récupérée à l’hôpital. Nous avions assis l’enfant au fond d’un fauteuil, en lui tenant les épaules, Marie à droite, et moi à gauche, elle caressait les cheveux de son fils qui râlait en sentant cette agitation particulière, et en sachant bien ce qu’il allait lui arriver. Quand Léon – Paul approcha avec l’instrument, l’enfant voulu partir, mais nous l’en empêchâmes. J’essayais de le calmer.

— Allez, vous êtes courageux… Vous êtes courageux…

Il saisit la dent et tira, mais pas assez fort cependant, et il dû s’y reprendre, sous les hurlements de son fils, qui se débattait, nous avions oublié le clou de girofle contre la douleur. Une fois la seconde dent retirée, le père épongea le sang qui coulait avec un linge, pendant que nous réconfortions le petit au bout de ses forces, au bord de l’évanouissement. Je cru mourir d’énervement lorsque mon fils déclara en s’essuyant les mains qu’on aurait aussi pu attendre qu’elles tombent toutes seules, n’étant encore que des dents de lait.

Quelque peu remis le lendemain, il fus nourri avec de la soupe uniquement jusqu’à temps que sa douleur ne s’estompe de façon conséquente.

Novembre fut froid, pluvieux et tempétueux, plusieurs arbres tombèrent d’ailleurs dans notre commune, heureusement sans causer de victimes et d’autres dégâts que quelques tuiles brisées.

Comme les enfants toussaient beaucoup, et par peur d’une aggravation, je réclamais auprès de Léon – Paul une augmentation des quantités de bois mises à brûler dans les cheminées, ce qui fus heureusement fait, même si nous restions toujours à la bûche près.

Alors qu’il avait toujours fait des économies, cette fois, elles trouvèrent un but, un nom. En effet, et ce projet mûrissait dans sa tête depuis deux ans, mon fils souhaitait ouvrir son propre cabinet de soins avec deux associés dans le courant de l’année prochaine. Il saturait d’entendre son patron râler auprès de ses médecins lorsqu’ils arrivaient dix minutes en retard, les patients se plaindre du côté expéditif de certains jours, mais la goutte de trop fus lorsqu’il les menaça de les contraindre à travailler le dimanche, leur seul jour d’oxygène de la semaine. Léon – Paul avait déjà été son propre patron à La Houblonnière pendant sept ans, et tout s’était toujours bien passé. Vraiment, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter.

En plus, grâce à ce nouveau poste plus libéral, il aurait la possibilité de nous offrir cette fameuse semaine de vacance à la campagne, sans risquer de perdre son travail. En attendant, nous préparions les futures réjouissances en vue de la Saint – Nicolas, et la nouvelle année 1807. La crèche fus installée au début du mois de décembre par les enfants mais surtout par Marie, et même si elle traversait par moments des périodes de grande fatigue, de lassitude, cette fois, elle paraissait en bonne forme. D’ailleurs, elle avait réussi à convaincre son mari de rejoindre de nouveau le lit conjugal, ce qui la mettait de fort bonne humeur. Souriante, installant accroupie les personnages en argile déjà abandonnés par Louise – Marie et Frédéric, elle se confiait.

— Nous nous entendons mieux depuis un certain temps.

— Il a l’air moins fatigué, moins a fleur de peau. Je me trompe ?

— Non, mais c’est l’idée d’avoir son cabinet qui l’enjoue et lui redonne de la motivation, il attend ça depuis deux ans. Il ne nous en avait pas trop parlé, mais depuis que l’achat est sur le point d’être signé, tout se concrétise.

La Saint – Nicolas fut délicieuse, car en nous interdisant gentiment l’accès à la cuisine pendant toute la journée, Jeanne nous avait fait la surprise d’un repas amélioré avec en guise d’entrée des petits pains dorés tartinés de beurre d’ail, en plat un chapon fourré aux olives et aux marrons, accompagné de pommes de terre, et en dessert, un magnifique gâteau aux fruits. Après avoir avalé son dernier morceau, Louise – Marie en redemanda doucement un autre, ce qui eu le don d’énerver Léon – Paul.

— Non. Tu as déjà eu ta part. On abuse jamais des bonnes choses.

Frédéric gonfla ses joues, et soupira. Il n’en fallut pas plus au père de famille pour l’envoyer dans sa chambre, d’un mouvement de tête. Le garçon ne se fis pas prier pour obéir, craignant les coups sur sa petite tête.

Léon – Paul fixait maintenant Louise – Marie avec un regard désapprobateur lourd et sévère, obligeant la petite fille à baisser les yeux dans son assiette. Il avait apparemment décidé, pour je ne sais quelles raisons, de durcir le ton à la maison.

Le lendemain, lundi, Alice rentra à la maison pour une semaine, jusqu’au dimanche suivant. Comme à chaque fois, tout le monde était heureux de la retrouver, et avec Marie et Jeanne, nous avions l’impression qu’elle grandissait plus vite que ses frères et sœurs que nous côtoyions tous les jours de l’année. A sept ans et demi, elle devenait une grande fille. Elle nous montra ce qu’elle avait appris là – bas, ses bases en couture, ses acquis religieux, et nous aida à préparer à manger, toute souriante, avec sa sœur Louise – Marie qui aimait particulièrement l’imiter et aider.

En vue de fêter la nouvelle année, Léon – Paul convia à la maison mon neveu qui arriva sans sa femme encore une fois, mais aussi ses deux futurs associés, les docteurs Jacques Bobet et Pierre Bellencontre. Nous passâmes une agréable soirée en leur compagnie, surtout que Jeanne n’avait sortie qu’une bouteille de vin, sur mes conseils. En fait, mon fils buvait et finissait toutes les bouteilles d’alcool ce qu’il y avait sur une table, mais n’allait jamais en réclamer une nouvelle. Je l’avais compris suite à un oubli une fois, et cela me rassura sur le fait qu’il pouvait très bien rester neutre après une soirée. En revanche, son tabac avait une fâcheuse tendance à lui manquer, et il fumait sa pipe environ cinq fois par jour entre huit heures et minuit. Les dimanches où il pleuvait, nous vivions dans un brouillard quasi - permanent, car il ne pouvait pas sortir, et chaque prisée de tabac durait généralement une heure. Il passait aussi beaucoup de temps à remplir sa pipe, suffisamment tasser la poudre brune en essayant de ne pas devoir recommencer, et l’allumer à la flamme de bougie. Il fallait aussi vider le tabac, les nettoyer, les faire sécher… En possédant deux pour ne jamais être à court, il les conservait dans un boîtier spécial et les alternait.

Maintenant propres tous les deux nuits et jours, Louise – Marie et Frédéric ne nous causaient plus de soucis, même si une ou deux fois par mois, Jeanne se retrouvait encore à nettoyer les draps du petit garçon qui s’oubliait parfois lors de ses rêves ou cauchemars. Pour la jeune femme, ne plus avoir a laver régulièrement des langes souillés s’avérait plus confortable, et l’idée qu’ils grandissaient et s’émancipaient doucement me procurait du bonheur.

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