Chapitre 55B: août - septembre 1806

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Alice nous expliqua plus en détail son quotidien, ce qu’elle n’avait pas vraiment fait à Noël, car deux mois passés là – bas, c’était trop tôt pour en dégager une véritable impression, et elle venait d’arriver, alors tout avait meilleur goût et l’ambiance était moins strict. Elle nous parla de ses amies, enfin, surtout de Léopoldine, qu’elle aimait particulièrement, et de Claude, cette pimbêche bavarde et collante, des repas ‘’ assez bons ‘’, composés en grande partie de potages, mais rendus suffisamment consistants avec les grandes quantités de pain fournies aux élèves, et de l’autorité suprême qui régnait entre ces murs, en nous citant l’exemple d’élèves qui se faisaient taper pour une minute de retard au déjeuner, ou tirer les cheveux à cause d’un minuscule morceau de viande tombé à terre.

Selon Alice, elles n’avaient pas d’yeux, mais des montres affichant les secondes et des loupes pour voir à 360 degrés. Si au début, cela lui avait fait une singulière impression, elle nous rapporta s’y être habituée, et même parfois en rire avec ses amies. Concernant ses leçons pour cette année, on lui apprenait aussi bien les bonnes manières que la lecture et l’écriture, qu’elle maîtrisait à présent, un peu de broderie, beaucoup de couture et d’éducation religieuse.

Si l’an dernier, elle nous raconta qu’on lui avait dispensé trois pauvres leçons d’arithmétique sur un boulier, pour leur apprendre à compter jusqu’à dix, additionner et soustraire deux nombres, cette année, ça n’avait plus l’air d’être au programme.

Toute fière, Louise – Marie présenta Poupée, entre temps rebaptisée Joséphine, à sa sœur aînée, qui la trouva jolie, et lui promit de s’entraîner dessus à faire des nattes, pour pouvoir ensuite coiffer sa longue chevelure de Raiponce. Quand elle alla me réclamer de l’aide, je m’aperçus qu’elle n’utilisait que deux mèches pour sa coiffure. Après une petite démonstration et une courte explication, Alice pu toute seule natter sa sœur, d’une jolie coiffure qui lui arrivait au bas du dos, tandis qu’elle réclama de faire coiffer par moi – même ses cheveux d’une incroyable longueur.

Le dimanche sept septembre, accompagnées de la grande sœur toute fière de montrer qu’elle y était déjà, nous allâmes inscrire Louise – Marie, cinq ans et demi, au pensionnat, en vue de sa rentrée en octobre de l’année prochaine, une copie de son acte de baptême en poche, récupéré à l’église où elle avait reçu ce premier sacrement. Elle paraissait plutôt heureuse de rejoindre sa sœur aînée. Pour Frédéric, âgé de quatre ans et demi, l’inscription se ferait plus tard, car son père hésitait encore entre plusieurs collèges réputés, à Rouen, mais aussi Le Havre, Amiens ou Paris, le Saint - Graal pour les futurs bacheliers. Il paraissait évident que si son fils partait en internat aussi loin, ce ne serait pas à six ans, mais plutôt à huit ou neuf ans, et qu’il devrait donc se voir dispenser des leçons avant. En effet, a cet âge, m’expliqua t-il, les professeurs considéraient que les élèves arrivaient avec des bases de lecture et d’écriture solides, et un certain nombre de connaissances. L’histoire était donc de savoir si Léon – Paul serait d’ici là rendu capable de se dégager autant de temps, dans l’intérêt de son enfant, ou de dépenser beaucoup d’argent pour payer des professeurs.

Les six semaines qui passèrent avec Alice semblèrent tout comme une parenthèse, car la famille était enfin réunie, tous les six au grand complet, même si l’union familiale restait à trouver, Marie et Léon – Paul ne partageant plus la même chambre depuis la fin de l’été.

Au cours d’une conversation, à la fin du mois de septembre, où nous nous interrogeâmes notamment sur la date d’accouchement prévue pour Élisabeth, Alice se mis à sourire, car elle n’avait jusque là pas encore été informée. Elle proposa ainsi que l’on ailles leur rende visite, avant son retour au pensionnat le six octobre. Comme nous souhaitions être accompagnées de Léon – Paul, nous attendîmes le dimanche cinq octobre, pour aller les saluer chez eux. Alice embrassa Marie – Léonie, qui se mis à pleurer doucement. Comme ma petite – fille avait l’air mal à l’aise devant ce chagrin, nous nous approchâmes et Marie lui tendit son mouchoir. Je me penchais vers elle, attristée.

— Que se passe t-il ?

— C’est ma belle – mère… Hoqueta t-elle. Elle a accouché, mais la petite était morte dans son ventre.

Sur ce dernier mot, ses sanglots redoublèrent. Nous demandâmes à Alice de rester avec elle, pour monter voir la mère endeuillée. Dans la chambre où la porte avait été laissée ouverte, a demie – allongée dans son lit et vêtue de noir, Élisabeth tricotait, près d’un berceau. Nous nous approchâmes tous les trois, pour la saluer.

— Toutes mes condoléances. Regretta Léon – Paul en baissant son chapeau.

Elle haussa ses larges épaules, nous exposant son fort et incompréhensible patois normand de paysanne.

— Auguste é déguerreaté i la mairerie. L’petiote yète paé de nom. Fort bien, ça évitera i eune pitoue moche, d’porter mi nom. Guette la bien, i penserait un monstre !

En nous penchant sur le berceau, nous y vîmes un nouveau – né immobile, les yeux clos, coiffé d’un petit bonnet blanc, et habillé d’une robe de la même couleur, le visage cependant déformé par tuméfactions, plein de blessures, de plaies encore saignantes. En posant la question à Élisabeth, nous apprîmes que l’enfant avait été expulsé de sa matrice à l’aide de forceps et pinces, car ses épaules restaient coincées. En repartant, nous embrassâmes fort et nous souhaitâmes un bon courage à Marie – Léonie, qui ne devait pas hésiter à venir chez nous lorsqu’elle le souhaitait.

Le lendemain, Alice, avec un trou dans la bouche en plus, ayant perdu sa troisième dent de lait la veille au soir, retourna confiante à l’institution, son petit sac à la main. De nouveau, nous nous retrouvâmes à six. Deux ou trois jours plus tard, Frédéric commença à se plaindre de violentes douleurs dans la bouche, qui lui faisaient bouder ses assiettes, et même ce qu’il adorait, comme les tartines de miel. Immédiatement mis au courant, son père enfila une paire de gants et l’examina. Le constat fus sans appel : le petit garçon avait deux dents cariées en train de s’infecter au fond de la bouche, qu’il faudrait retirer tantôt.

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