Chapitre 55A: mai - août 1806

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Le dimanche onze mai, après la messe, nous restâmes pour assister à la première communion d’Auguste, mon petit-neveu de dix ans. Les enfants furent surpris d’être perturbés dans ce quotidien si bien rythmé. Avec un groupe d’une dizaine d’autres jeunes gens, il reçu pour la première fois le corps du Christ, et bu une gorgée de vin, son sang. Ce fus un moment très joyeux, surtout qu’Auguste père nous apprit au passage la grossesse de son épouse Élisabeth, déjà enceinte de trois mois. Marie – Léonie, qui aurait quasiment sept ans à la naissance, deviendrait la marraine de l’enfant à naître, et ça, ça demeurait selon son père une immense fierté pour l’enfant. La fois où nous la revîmes après l’annonce, elle paraissait radieuse, terriblement impatiente de voir naître son frère ou sa sœur, et de le porter au prêtre lors du baptême. Pour l’instant, elle ne savait pas lire, et encore moins écrire, mais ça n’avait l’air de gêner personne, ni même son père pourtant instruit. Lui n’avait pas le temps de lui apprendre, car il enseignait déjà à son frère, et ce ne serait certainement pas sa belle – mère qui lui ferait suivre des leçons, illettrée jusqu’à la moelle et vivant dans un obscurantisme presque total. J’espérais juste qu’elle ne prenne pas soin de son enfant à naître comme elle s’occupait d’elle – même ou de sa belle – fille.

Le début de l’été revint, comme un interminable cycle qui ne s’arrêterait qu’au moment où Dieu aura décidé de me jeter dans la tombe. Les enfants s’amusèrent autant qu’en juin, juillet et août de l’année dernière, si ce n’est que cette fois, Poupée faisait partie de la fête. La surveillance due se renforcer suite à une tentative heureusement avortée des enfants de lui faire prendre un ‘’ vrai ‘’ bain, dans le petit baquet qu’on avait ressorti de l’été dernier et rempli. Sauf qu’a cinq ans, ma petite – fille avait maintenant les moyens verbaux pour insister et négocier. Elle se mit a taper l’herbe de pied nu, devant moi, assise tranquillement près de Marie dans la chaise de jardin.

— Allez grand – mère, si on lui retire ses vêtements…

— Non, vous allez l’abîmer. Ce n’est pas une baigneuse, elle n’est pas faite pour ça.

— Maman…

Marie releva la tête de sa broderie.

— Quoi?! Que veux – tu donc ?!

— Je voudrais baigner ma poupée, mais grand – mère refuse.

— Et bien si elle te l’a interdit, que désires – tu de plus?

Elle s’en retourna donc vers son frère, la mine renfrognée, les bras croisées, toute frustrée, Poupée la tête en bas, les pieds et les mains se balançant au rythme de ses pas. Certains soirs où ils avaient particulièrement couru et criés, et où ils paraissaient bien épuisés, je leur chantais une chanson douce pour les apaiser, et les aider à trouver le sommeil. Il y en avait une que je trouvais particulièrement jolie, parlant d’une biche changée en princesse aux jolis cheveux, d’un prince charmant dans les bras duquel elle était tombée, et d’un grand méchant loup dont on n’avait plus rien a craindre, étant unis pour le faire fuir.

Et puis un soir, ce qui devait arriver arriva, Léon – Paul tomba comme une fleur, épuisé par son travail, et accablé par la chaleur. Pendant qu’il restait alité, je lui épongeais le front, en lui faisant promettre de réclamer de nouveau son mercredi de repos, parce qu’un tel rythme, six jours à la suite sans coupure, était insupportable a son corps. C’est donc ce qu’il fit, et qu’il obtint, jusqu’en septembre, où on réévaluerait alors sa demande. Si au début, il travaillait à la maison sur ses mercredis de repos, au fil du temps, il se mit à dormir sur ces matinées réparatrices, et l’après – midi, il s’occupait des papiers administratifs ou des juments, les bouchonnant, leur curant les sabots ou les emmenant chez le maréchal – ferrant épargnant à Jeanne cette tâche qui ne tenait pas forcément de ses fonctions. Le nettoyage de la maison, c’était elle qui s’en occupait, mais Léon – Paul s’était toujours promis de gérer celui de l’écurie, de ramasser le crottin par pelletés, le jeter dans la brouette, et aller l’emmener sur le côté de la cour, en attendant qu’un agriculteur voisin ne vienne le lui acheter à coût symbolique comme engrais.

D’ailleurs, une après – midi de beau temps, et a la grande joie de ceux – ci, il avait employé sa fille et son fils pour l’aider à nettoyer. Louise – Marie avait, sur les conseils de Léon – Paul, sorti chaque cheval par la bride et, attentive, elle avait observé son père les attacher devant l’écurie. Ensuite, armés chacun d’une pelle, ils avaient ramassé le crottin dans les stalles, avec plus ou moins de maladresse. En allant étendre le linge avec Jeanne et Marie, nous en avions profité pour passer les encourager.

— Alors ? Ce n’est pas trop dur ?

Louise – Marie, habillée d’une robe qu’on avait récupéré à bas prix chez la couturière, venant de son placard aux vêtements jamais réclamés, et Frédéric, vêtu du même type d’habits, pantalon de toile et chemise légère, suaient, sous leurs chapeaux trop grands. La sœur s’exclama en plissant les yeux, à cause de l’éblouissement dû au soleil :

— Non. Ça ne sent pas très bon, mais j’aime bien aider papa !

— Je vois ça. Et vous Frédéric, cela vous plaît -il de prêter main forte à votre père ?

Il se mordillait les doigts, en hochant la tête, aussi Jeanne s’inquiéta pour lui.

— Par contre, évitez de manger vos doigts, vous allez être malade.

J’acquiesçai.

— Oui Frédéric, Jeanne a raison, arrêtez de faire ça, surtout avec des doigts pleins de saletés.

Nous les laissâmes ensuite travailler, pour aller étendre notre linge récemment lavé. Le soir, après un bon bain pris séparément, les deux enfants épuisés eurent le droit à une double portion de soupe de carotte, qui, mélangée avec de la crème fraîche achetée au marché, faisait leur délice.

Nous connûmes cet été là un épisode de diarrhées et de maladie, qui ne toucha pas seulement les enfants, mais toute la famille à part Jeanne, qui fus heureusement épargnée. Cette si bonne femme nous veilla durant toute la durée de nos maux, en assumant également l’entretien de la maison. Dans ces malheurs, nos appétits avaient été réduits de moitiés, aussi nous n’avalions que du bouillon de légume, ce qui demeurait facile à préparer.

Le lundi vingt – quatre août, je m’en allais récupérer Alice devant les grilles du pensionnat, après plus de huit mois sans elle. Marie avait décidé de m’accompagner mais en nous voyant, c’est vers moi que la petite ayant bien grandi se dirigea, et sauta dans les bras, vêtue de son uniforme encore et déjà trop serré. Elle embrassa froidement sa mère, mais cette mise à distance naturelle qu’effectuait sa fille, Marie seule l’avait provoqué, en me laissant tout gérer avec Jeanne à la maison depuis la naissance des enfants. J’avais pris sa place, et au fil du temps, elle s’effaçait de notre histoire qui était aussi la sienne. A notre retour, la maison paraissait vide tant le silence régnait, mais nous savions qu’il ne fallait pas grand – chose pour que tout rentre dans l’ordre.

— Louise – Marie ! Frédéric ! Votre sœur est rentrée !

Après un suspend de deux secondes, quatre petits pas enchaussés résonnèrent dans les escaliers, et vinrent embrasser Alice, qui, même en n’ayant jamais vraiment été proche d’eux, avait due leur manquer depuis l’année dernière. Si Frédéric remonta vite à l’étage, Louise – Marie questionna énormément sa sœur, la suivant un peu partout, sans doute inquiète de savoir comment ça se passerait pour elle l’an prochain.

— Elles étaient gentilles les dames qui s’occupaient de toi ?

— D’abord ce sont des bonnes sœurs, et puis je ne les ai pas quitté définitivement, je les retrouverais à la rentrée, le six octobre. Sinon oui, elle sont charmantes.

— Et où couchais – tu ?

— Dans un grand dortoir avec beaucoup d’autres camarades.

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