Chapitre 54H: décembre - janvier 1806

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Une fois les trois enfants couchés, les volets fermés et la cheminée remplie de bois crépitant, j’avais pour habitude de laisser la porte entrebâillée, de façon a ce que les petits puissent se repérer avec la faible mais existante lueur qui persistait dans le couloir, éclairé par quelques bougies posées sur un meuble longeant le mur. Ensuite, j’allais me coucher, ou rejoindre Léon – Paul et Marie dans la pièce de vie au rez de chaussée. Parfois, la seule odeur âpre du tabac depuis le haut des escaliers me poussait à aller dormir plus vite que prévu.

Après une semaine passée beaucoup trop vite, je dû ramener Alice à l’institution le lundi matin, qui pleura, redoutant de retrouver la discipline rude et le manque de confort. Je la consolais, et mélancolique, la laissait repartir avec la foule de jeunes filles vers le bâtiment. Je n’avais pas désiré insister là – dessus, mais un très long chemin l’attendait avant son prochain retour, car elle ne nous retrouverait qu’en août 1806, pour six semaines cette fois ci, jusqu’au début du mois d’octobre.

Une nuit de décembre, pendant que nous rêvions au chaud dans nos lits, une des deux juments de Léon – Paul s’écroula de vieillesse dans son écurie. La découverte s’effectua en réalité le lendemain, lundi, au moment pour mon fils de se rendre dans le petit bâtiment pour les atteler. Sans doute étonné par la rapidité des choses, il avait tourné les talons et s’était dirigé de bon pas vers la maison pour demander à ce que Jeanne l’aide à dégager la carcasse aux os saillants, de façon a ce qu’elle puisse être vendue à un équarrisseur dès que possible. Léon – Paul avait en fait acquis les deux juments au même moment auprès d’un paysan normand, peu de temps après son arrivée à La Houblonnière, en août 1791. Les animaux devaient ainsi être âgés d’au moins une quinzaine d’années chacun, un âge respectable selon mon fils pour des chevaux. Toute la semaine durant, la vieille jument survivante tira seule la voiture de son propriétaire, qui, maintenant je le remarquais, avait le dos creusé et la démarche lente et fatiguée.

Le dimanche suivant, un homme bien habillé vint serrer la main de Léon – Paul, qui en profita pour y glisser des billets, et ainsi permettre à la vente d’être conclue. Mon fils venait de payer pour deux chevaux, car il était clair que la vieille survivante ne survivrait plus longtemps à sa congénère, et il n’avait pas non plus que cela à faire que de passer son temps à acheter des animaux d’attelage.

Les enfants, qui jusque – là n’avaient jamais éprouvé aucun intérêt pour les chevaux de leur père, caressèrent les nouvelles recrues avec tendresse et on les autorisa même à leur donner une demie – carotte chacune. Frédéric exultait avec Louise – Marie, sautillant, faisant des allers – retours en trottinant entre l’écurie et l’extérieur, pendant que nous discutions avec Jeanne, qui accepta un peu de se livrer. Ce fut agréable, car elle faisait partie intégrante de notre famille et nous ne savions que très peu de choses sur elle. Nous apprîmes que, veuve depuis huit ans, elle avait trois fils qui habitaient respectivement Rouen et au Grand-Quevilly, et qui travaillaient comme chapeliers et cordonnier. Elle nous confia qu’elle n’avait jamais le temps de leur rendre visite, car on avait trop besoin d’elle à la maison. Nous lui promîmes de lui en libérer, même si ça restait compliqué.

Deux jours plus tard, des hommes portant des tabliers vinrent chercher la vieille jument pour la conduire à la boucherie, car elle ne pouvait plus mériter son picotin d’avoine, remplacée par les pouliches de dix-huit mois récemment acquises, et Léon – Paul soupçonnait que le destin ne la fasses vivre encore quatre ou cinq ans si il la laissait finir ses vieux jours à la maison.

Le nouvel – an 1806 fut festif, mon fils avait invité Auguste, sans son épouse souffrante à mon grand bonheur, et il en profita pour déboucher deux bouteilles de vin qui se sablèrent en un temps record. Son fils de dix ans, qui l’accompagnait, fus invité à boire un verre, mais dès la première gorgée, le goût âcre lui déclencha une grimace et il laissa volontiers son père le terminer. Auguste fils, qui avait apporté son plateau et ses pions, nous apprit à jouer aux échecs pendant la soirée, sa passion depuis qu’il avait quitté le collège où il étudiait pour apprendre avec son paternel. J’eus beaucoup de mal à accrocher au principe, et ne parlons pas de Marie. Je pense que ça paraissait trop compliqué pour nous qui n’avions pas réellement fait d’études. En revanche, très concentré, Léon – Paul comprit vite et gagna même une partie contre son petit – cousin. Auguste resta avec son fils pour la nuit, car il était trop saoul pour prendre la route, et Léon – Paul, dans le même état, n’aurait pas pu le ramener chez lui.

Peu de temps après, nous pûmes décréter que Frédéric, tout de même dans sa quatrième année, était propre, sevré des langes au moins durant le jour. En effet, il avait appris à s’y rendre seul, sortir le pot de chambre, secouer la dernière goutte et ranger l’objet. Cependant, son bonheur suprême restait d’être assis sur un pot tout près de sa sœur, et d’y rester parfois dix ou quinze minutes, souvent un livre à la main. En fait, nous les délogions seulement lorsqu’un de nous avait une envie pressante, ou qu’il était temps d’aller se promener, se coucher ou encore de manger.

Louise – Marie et Frédéric se ressemblaient beaucoup, ils possédaient les mêmes petits yeux, avec des sourcils placés bas sur l’arcade, ce qui leur donnait le même regard mystérieux, et donc, la même expression de visage. De toute manière, plus ils grandissaient et plus on avait du mal à identifier l’aîné parmi les deux. D’ici un ou deux ans, leur faible différence d’âge s’estomperait sur leurs tailles et leurs figures. Pour l’instant, Louise – Marie se démarquait de son frère par ses progrès, elle s’exprimait mieux, propre la nuit, et capable d’un peu plus d’autonomie, comme mettre seule ses chaussures et enfiler son manteau.

Un jour, j’avais décidé de profiter d’une sieste réparatrice des enfants pour aller me promener dans la ville, laissant Marie et Jeanne à la maison, au calme. C’est alors qu’en voulant me rendre chez l’apothicaire pour soigner mes différents maux de dos et d’estomac, mes yeux tombèrent d’admiration devant la vitrine d’une boutique où l’on avait exposé, assise sur une chaise à bascule miniature, une belle poupée de cire, qui avait l’air d’observer les passants. Un poupon à la peau claire, aux cheveux piqués noirs profond, aux lèvres rouges et aux yeux bleus, fixes et froids, habillée d’une robe blanche et bleue satinée. Pensant à l’anniversaire d’ici quelques temps des cinq ans de ma petite – fille, qui n’avait jamais vraiment eu de jouets, mon esprit me poussa à aller en demander le prix à l’intérieur. Du sol au plafond, entassés sur des étagères infinies, les bibelots, livres, poupées poussiéreuses, chariots, soldats de plomb et jeux de dames débordaient. J’eus presque peur de me laisser ensevelir si j’osais m’approcher du comptoir vide, derrière lequel devait se trouver la porte du logement du propriétaire. Je patientais dix minutes avant qu’une femme sans âge aux cheveux bruns ondulés ne sorte de là, et ne tende la tête avec nonchalance pour me demander ce que je souhaitais.

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