Chapitre 54G: décembre 1805

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Alors que j’attendais d’être le onze pour retrouver ma petite – fille pour une semaine, nous préparâmes avec son frère et sa sœur la crèche de Noël, dès le début du mois de décembre. Alors que Marie avait déjà commencé à remplir sa malle pour partir passer le dimanche suivant la Saint – Nicolas chez son père, Léon – Paul la freina, épuisé. Leur conversation se déroula dans leur chambre, dont la porte avait été laissée entrebâillée, assise sur la dernière marche de l’escalier, je tenais Frédéric qui suçotait son pouce sur mes genoux, lassée.

— Ça ne va pas être possible Marie.

— Comment ça ? Tu m’avais promis… Tu m’avais promis Léon – Paul !

— Vas – y toi avec ma mère. Je n’ai pas besoin de t’accompagner.

— Si, il faut absolument que tu viennes, j’ai envie d’emmener les enfants.

— Tu as envie… Tu as envie… Mais moi j’ai besoin de me reposer Marie, comprends – tu ? Je suis fatigué de ces journées interminables, de ces patients immondes, de ce patron ingrat et de ce salaire minable ! Six jours sur sept Marie, te rends tu comptes, pour élever trois enfants et nourrir en tout sept personnes ! N’est – ce pas un sacrifice ? Alors débrouilles toi, mais ne comptes pas sur moi pour encore sacrifier quelque chose, a savoir un de mes quatre jours de congés du mois !

Sur ces mots, il quitta la chambre pour descendre sans doute bourrer sa pipe au rez de chaussée. Mon fils dû y aller allègrement sur le tabac, puisque la fumée remonta jusqu’au premier étage.

Notre Saint – Nicolas s’effectua donc à la maison, et chaque enfant reçu un petit morceau de chocolat, qu’ils goûtaient pour la première fois de leur vie.

Nous allâmes avec Marie chercher Alice, au matin du neuf décembre. La jeune femme avait eu peur des représailles de son mari si elle n’osait pas se lever tôt, ce matin – là, alors elle m’avait suivie courageusement. Après que nous eûmes donné les ordres à Jeanne s’occuper de Louise – Marie et Frédéric si ils se réveillaient avant notre retour, Léon – Paul nous conduisit devant les grilles de l’institution Saint – Jean - Baptiste de la Salle. Nous patientâmes de longues minutes en compagnie d’autres femmes, surtout des cochers et des nourrices, qui grelottaient dans leurs manteaux de visons, avant que les portes des bâtiments ne s’ouvrent, pour laisser sortir une foule de jeunes filles, toute vêtues du même uniforme où différents boutons avaient été cousus. Patientant d’abord en s’accrochant aux grilles, dès l’ouverture elles sortirent d’un coup, comme des lionnes en cage. Ma petite – fille, qui n’avait pas tellement changé, nous rejoignit calmement, plutôt sagement, m’embrassant avant sa mère, et me laissant récupérer son baluchon d’affaires. Elle s’adressa bientôt à moi, tandis que nous marchions de bon pas.

— Je sais quasiment lire grand – mère.

— Eh bien écoutez, si vous dites cela à votre père, il essayera de vous faire avaler l’Encyclopédie. Je plaisante, mais vous nous lirez quelque chose ce soir, à table. Hum ?

Elle hocha la tête, grelottant de froid dans ce vêtement trop étriqué et peu adapté au temps froid de ce mois de décembre. Quand nous fûmes rentrés à la maison, Jeanne, qui avait dû nous entendre, descendit avec les deux petits à la main, qui allèrent embrasser leur sœur timidement, chacun leur tour. Nous montâmes ensuite à l’étage pour lui prendre ses mesures et pouvoir dès le lendemain matin aller lui commander une nouvelle robe, de façon à ce qu’elle la reçoive avant son retour à l’institution, lundi prochain. Le soir venu, à table, au moment du dessert, Léon – Paul fis tinter sa petite cuillère contre son verre, pour réclamer l’attention de tout le monde.

— Alice va nous lire la prière au Seigneur, puisqu’elle le sait à présent. Vas – y.

La petite fille rapprocha à outrance de ses yeux la page de son livre ouvert, elle lu lentement, bloquant encore beaucoup sur le vocabulaire dont elle ne connaissait pas la signification.

— C’est une prière dictée par Sainte Thérèse de l’enfant Jésus :

‘’ Mon Dieu… Je vous offre toutes les actions que je vais faire demain, dans les… in – ten - tions… et pour la gloire du cœur sacré de Jésus ; je veux… sancti - fier … les battements de mon cœur… mes pensées et mes œuvres les plus simples, en les unissant à ses mérites infinis, et réparer mes fautes en les jetant dans la … four – naise… de son amour… mi – sé – ri – cor - dieux. Ô mon Dieu ! Je vous demande pour moi et pour ceux qui me sont chers la grâce d’accomplir… par – faite – ment… votre sainte volonté, d’accepter…. (Elle bloqua, cherchant sa ligne, et Jeanne dû lui indiquer) pour votre amour les joies et les peines de cette vie …. passa - gère … afin que nous soyons un jour réunis… dans les Cieux pendant l’éternité. Ainsi soit t-il.

Elle se signa, et nous reprîmes en chœur le mot de fin,‘’ amen’’. Avec sa mère, nous l’embrassâmes, car nous étions fières d’elle, de ses progrès.

Le soir venu, au moment du coucher, nous dûmes intervenir car Louise – Marie et Frédéric s’arrachaient les cheveux pour un livre destiné à Louise – Marie. C’était un imagier, dont les pages avaient été cartonnées, et qu’une vieille dame nous avait donné lors d’une messe dominicale, pour notre ‘’ adorable petite fille ‘’.

Depuis ce dimanche – là, personne n’avait pu en tourner une page sans qu’elle ne râle. Alors quand son jeune frère décida que c’était à lui de le regarder, la dispute pourtant si rare entre les deux éclata. Louise – Marie tirait les cheveux de Frédéric pour espérer récupérer son ouvrage, et le petit garçon pleurait de douleur, lâchant prise pour aller se réfugier dans mes bras lorsque je pénétrais dans la pièce. Depuis sa chambre, sans doute occupé à son bureau, leur père râlait de les entendre pleurer et chouiner. Comme Frédéric sanglotait de plus belle, sans que je ne puisse l’arrêter à temps, il débarqua tandis que je consolais son fils, et attrapa assez violemment les deux enfants chacun par le poignet.

— Je ne veux plus entendre d’histoires de votre part ! Est – ce clair Louise – Marie? !

Comme a son habitude, il lui soulevait le menton pour la forcer à le regarder.

La petite acquiesça, un peu chamboulée, et Léon – Paul fit de même avec Frédéric, sans chercher à comprendre ce qui les avait poussé à se bagarrer.

Le surlendemain, ce fus la même histoire, mais juste après leur rinçage, lorsque je l’eus déshabillée de sa robe de bain, je tendis la serviette sèche à Louise – Marie pour qu’elle s’essuie, et son petit frère s’en empara. Elle tentait d’abord de la récupérer de manière pacifiste, mais Frédéric se tournait pour l’en empêcher, alors d’un élan d’agacement, elle lui asséna un grand coup sur la tête, qui déclencha les larmes du petit garçon. Pour couronner le tout, il lâcha le linge douillet dans l’eau du baquet. Énervée par une telle déchéance, de cet enfant qui ne s’était jusque là jamais fait remarquer, je le sortais de l’eau pour le conduire au coin, où il continua de pleurer durant dix minutes, nu comme un ver, dégoulinant et grelottant.

Pendant ce temps – là, je séchais et habillais sa sœur aînée, qui s’amusa des deux gouttes de parfum dont j’imprégnais sa robe, et du petit bonnet que je lui enfilais en vue des nuits glaciales. Je tentais désespérément de réunir dessous tous ses cheveux, mais ils étaient devenus trop longs. Après l’avoir confiée à Jeanne pour qu’elle la mette au lit, je m’occupais de mon petit – fils, dont je fis bientôt cesser la punition, par crainte qu’il n’attrape une pneumonie. Marie passa devant la chambre, et sentant que le relais pouvait être pris, je lui laissais Frédéric, pour aller m’occuper d’Alice. Je m’installais donc sur le lit de ma petite – fille, et comme nous le faisions presque chaque soir déjà avant son départ, je lui lisais sept pages de son livre de chevet, qui restait depuis déjà plusieurs mois ‘’ Émile ‘’, de Jean – Jacques Rousseau. Une lecture qui pouvait paraître difficile à lire pour moi et à comprendre pour elle, mais cela dépendait en fait des passages. Et puis, j’avais la singulière mais heureuse impression que ces lectures la rendait intelligente.

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