Chapitre 54A: mai - avril 1805

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Lorsque j’eus cinquante – cinq ans, le trois mai 1805, j’essayais de ressentir une douleur dans mon corps, en me concentrant, mais apparemment, je demeurais en excellente santé, puisque ce jour – ci, ni une migraine, ni une souffrance dorsale ou même de légers maux de ventre ne vinrent m’inquiéter. Je me disais peut – être a juste titre que si je demeurais encore en forme à mon âge, cela avait de grandes chances de persister encore pendant plusieurs décennies. C’était en tout cas ce que j’espérais, car mon souhait restait plus que tout de voir mes petits – enfants grandir et devenir des adultes.

Par un soir en la fin de ce printemps, nous reçûmes à dîner Auguste et son épouse. Tout avait l’air de bien se passer entre eux, Élisabeth se plaignant cependant que Marie – Léonie ne la considère pas comme sa mère, qu’elle ne l’appelle pas ‘’ maman ‘’. Cela m’agaça fortement, car selon moi, personne n’avait le droit de se proclamer mère ou père d’un enfant qu’il n’avait pas engendré, et encore moins d’imposer à celui – ci de le considérer comme tel. Mon cœur battit la chamade pendant toute la durée de ce souper, car je devais me retenir de quitter la table pour ne pas paraître impolie. En fait, ce qui m’énervais par dessus – tout, c’était cette femme qui s’immisçait par la fêlure d’une vie dans un foyer abîmé, et qui espérait pouvoir prendre la place d’Alice, une femme aussi formidable qu’irremplaçable, marraine de ma première petite – fille, avec laquelle mon neveu avait passé douze ans de sa vie, en comptant l’année précédent leur mariage.

Un peu plus tard, un soir, alors que nous avions installé les trois enfants à table, et que la soupe s’apprêtait à être servie, Marie me demanda d’aller chercher son mari à l’étage. J’allais donc frapper à la porte de sa chambre.

— Léon – Paul ? Le souper est prêt.

Il demeura un instant de silence, puis, avant que ne j’appuie sur la poignée, sa voix grave retentit derrière la porte.

— Commencez la prière sans moi. Je vous rejoins.

— Vraiment ? Que se passe t-il ? J’entre hein.

Ses lunettes pincées sur le bout de son nez, car il n’y voyait déjà plus trop clair malgré ses trente – et un an, assis à son secrétaire non loin du grand lit, il se tourna vers moi.

— Je sens que je vais devoir prendre une sage décision.

Je m’approchais, et m’assied sur le bord du lit.

— Ah oui ? Quel genre de choix ?

— Lisez – donc.

Pendant ma lecture, j’entendis Marie nous héler depuis le rez – de chaussée. Elle devait sûrement déjà avoir commencé à nourrir les petits et s’impatientait de pouvoir manger à son tour.

Lettre adressée du docteur François Bassens,

Diplômé de la Faculté de médecine de Rouen, promotion (17)74,

Au docteur Léon – Paul Aubejoux,

Diplômé de la Faculté de médecine de Paris, promotion (17)96

Paris, le 8 mai 1805

Cher confrère,

Exerçant depuis près de vingt ans en hospices et structures médicales en tout genres, je me suis permis de vous joindre suite à un courrier reçu de la part de l’Hôtel Dieu de Rouen qui m’a offert un excellent éloge sur vos compétences notamment en chirurgie obstétrique, - il m’a été notamment rapporté que vous aviez pratiqué quelques césariennes sur des patientes vivantes qui s’étaient pour certaines remises sur pieds - , je me fais le plaisir de vous convier à la soirée d’inauguration du nouvel étage dédié aux futures mères de l’hôpital de la Pitié – Salpêtrière, à Paris, qui aura lieu le lundi deux septembre, dès 20h. Cela nous permettra de nous rencontrer, aussi bien sûr et toujours si vous le souhaitez de discuter de vos perspectives d’avenir et de vos projets. Un aussi jeune et brillant médecin comme vous devrait sérieusement penser à bien s’entourer car les mauvaises fréquentations et influences arrivent souvent plus vite qu’on ne le croit. Sur ce, je n’ai plus qu’a vous souhaiter une bonne continuation, en espérant que vous répondiez favorablement à ma requête.

Mes sentiments distingués,

François Bassens.

Concernant ce choix important, il n’apparaissait pas de suite, mais il devrait se faire après l’entretien du premier septembre, mon fils m’expliquant être persuadé que le docteur Bassens avait de la suite dans les idées et comptait lui proposer un poste dans ce nouveau service. Si il paraissait suffisamment intéressant pour Léon – Paul, il se pourrait que nous soyons contraints de quitter Rouen. Quant à moi, peu encline à déménager de nouveau, je préférais me rassurer en me répétant que ça ne restait qu’une banale invitation sans pour l’instant d’engagement derrière. Je repliais le papier et nous descendîmes nous mettre à table, Alice, Louise – Marie et Frédéric finissaient chacun leurs bols de soupe dans un silence particulièrement agréable, tandis que Marie discutait avec Jeanne en nous attendant.

A Rouen, nous ne fréquentions guère plus que l’église Saint – Maclou, la place du marché et la Poste, alors que la ville était immense, comptant près de cent églises, une immense cathédrale, quatre – vingt mille habitants et un port ayant une activité commerciale assez intense. Notre maison se trouvait un peu à l’écart, bordée de champs et en face d’une route nous permettant de rejoindre le centre – ville à pied facilement, en quelques minutes. Nous y habitions depuis maintenant sept ans.

Comme j’avais du mal à supporter Élisabeth, nous allions peu chez mon neveu, qui ne vivait pourtant pas bien loin de chez nous. Je trouvais cela vraiment dommage, car Marie – Léonie restait adorable, comme son père d’ailleurs.

Une nuit, alors que je sommeillais tranquillement dans mon lit, on vint me secouer l’épaule. Ce fus un instant assez perturbant, car j’étais en train de rêver de quelqu’un d’inconnu et j’eus l’impression qu’il s’incrustait dans la réalité. J’ouvris difficilement les yeux, gênée par la lueur d’une bougie. Alice se tenait penchée au – dessus de moi, l’air inquiète, en tenant le cierge.

— Grand – mère…

Je marmonnais.

— Ma dent est tombée.

Je me redressais subitement et ma petite – fille me tendit le morceau blanc tâché de sang qu’elle gardait au creux de sa main. Je fus rassurée.

— Ce n’est rien du tout. Retournez dormir.

A ma grande surprise, l’enfant se mis à pleurer. La fatigue avait divisé par trois ma patience.

— Hé, Alice, je vous ai dit que c’était normal. Que voulez – vous de plus ?

— Mais je saigne beaucoup…

Je soupirais, avant de me contorsionner pour attraper le mouchoir propre plié dans ma table de nuit.

— Tenez, essuyez le sang qui coule de votre bouche et enveloppez votre dent avec.

C’est ce que fis la petite fille qui songea enfin à retourner dans son lit, fantôme déambulant dans sa large robe immaculée et refermant doucement la porte. Au lendemain, je n’eus même pas le temps d’en informer sa maman, que Alice avait déjà mis au courant.

Le soir cependant, j’en parla promptement à Léon – Paul qui déposa le lendemain, avant le réveil de sa fille, un carré de chocolat sur sa table de chevet. La petite, toute joviale, dévala les escaliers en montrant son cadeau. J’accordais un sourire complice à Marie, qui s’occupait de Frédéric.

— Approchez pour que je vois. C’est étrange, qui aurait pu vous apporter ça?

Elle tenait la friandise brune au creux de sa main, comme la dent l’avant – veille.

— Je n’en sais rien, mais hier il n’y était pas. Elle se mis à chuchoter. Vous croyez que je peux le manger ?

Je fis mine de réfléchir.

— Vous n’avez qu’a demander à Notre Père.

Elle se signa, pria et s’assied ensuite à table en posant sa sucrerie tout près de son bol de lait. Jeanne lui accorda un conseil.

— Si je peux me permettre mademoiselle, le chocolat est bien meilleur dégusté sur une tartine beurrée.

L’enfant patienta jusqu’à avoir bu la dernière goutte de son laitage, et réclama ensuite la fameuse tartine auprès de la domestique. Nous sûmes tous qu’elle avait trouvé cela délicieux.

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