Chapitre 53H: mars 1805

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Chaque dimanche, nous nous rendions tous, les nourrices et domestiques comprises, en voitures à la messe qui se déroulait dans l’immense église de Bordeaux centre. Armand sortait alors son second véhicule pour pouvoir conduire tout ce petit monde aux célébrations du père Jacques Hamel, qui avait baptisé tous les enfants Corcelles, et qu’Armand connaissait bien, fréquentant ce lieu depuis sa tendre enfance. Dans un peu plus d’un an, il était prévu que Bernard y célèbre sa première communion.

En mars, les préparatifs pour la réception commencèrent concrètement, puisque les invitations avaient été envoyées en amont et les menus déjà mûrement réfléchis, mais nous aidâmes par exemple à raccommoder la grande nappe de la défunte mère d’Armand, qui traînait depuis longtemps dans un placard et que Marie – Louise avait voulu ressortir, ou a écrire le menu pour pouvoir le faire ensuite imprimer. En attendant, comme promis, ma nièce nous emmena avec son mari un samedi pour nous faire visiter un château qu’il avait dessiné. Les enfants avaient été laissés comme d’habitude aux nourrices, nous pûmes rencontrer le propriétaire et contempler ses hectares de vignes encore dénués de raisins, mais surtout son splendide château flambant neuf.

Si nous ne recevions pas de nouvelles de Léon – Paul, ça devait être parce qu’il ne connaissait pas l’adresse à laquelle nous séjournions. Marie me confia que lui et surtout les enfants lui manquait beaucoup et que son rêve le plus cher si elle avait pu en faire exaucer un immédiatement aurait été de rentrer à Rouen. Les deux dernières semaines de mars furent consacrées à trier la vaisselle pour les invités, plier les serviettes de table et répertorier les cageots de vin pour savoir lesquels seraient sortis et s’accorderaient avec le repas, avec l’aide d’Armand, qui s’y connaissait mieux que nous. Amand rentra une journée pour son huitième anniversaire, le six mars, où l’on s’occupa de lui comme d’un petit roi, et enfin, le premier avril, c’est Alice qui souffla sa sixième bougie.

Dès huit heures le matin du trois, Marie – Louise s’activa avec les domestiques et sa plus grande fille de six ans pour préparer les nombreuses entrées, plats et desserts, dont certains avaient été préparés en avance. Avec Marie et ma petite - fille, nous l’aidâmes tant bien que mal, nous dressâmes les deux tables à l’intérieur car malheureusement le temps était pluvieux, en disposant notamment les menus et les petites décorations sur les chaises. Une des nourrices berçait le petit Gilles, âgé de onze mois, qui pleurait à cause de ses poussées dentaires, elle tournait encore et encore autour des tables en espérant ainsi l’apaiser. Mais ses parents restaient préoccupés par autre chose. En effet, ils avaient peur que Marie – Camille ne mange un aliment qui lui était interdit pendant la cohue de la fête qui aurait lieu le midi même. Cherchant une solution efficace, ma nièce me demanda mon avis, je soupirais.

— ‘’ Que voulez – vous ? Vous n’avez qu’a lui expliquer avec autorité ce qu’il ne faut pas qu’elle mange. Ça me semble être la seule solution.

— Elle n’écoute jamais ce qu’on lui dit. La dernière fois, elle allait porter à sa bouche le jaune d’œuf que sa sœur n’avait pas encore mangé et qu’elle lui avait donné innocemment. Heureusement que la nourrice lui a tapé la main avant, sinon, ma fille ne serait peut – être plus là aujourd’hui.

— A quoi est – elle allergique ?

— Aux œufs et produits laitiers en tout genres. Alors qu’ elle avait environ deux ans, et qu’elle mangeait encore comme ses frères et sœurs, sa nourrice souligna le fait qu’elle présente des plaques rouges sur les mains et autour de la bouche, et que son visage enfle à certains endroits. Comme nous avions un doute sur l’origine de ce problème, nous l’avions de nouveau fait manger ces aliments et c’est là que le diagnostic est tombé. Cependant, ça ne s’arrête pas tout le temps là, la dernière fois qu’elle a léché une cuillère de yaourt, on aurait cru qu’elle mourrait asphyxiée tant sa gorge avait enflé. Mais je pense avoir trouvé la solution.

— Ah oui ?

— L’unique certitude pour éviter les erreurs, ce serait de laisser sa nourrice Madeleine en permanence avec elle pour la surveiller activement. J’en parlerais ce soir à Armand, car pendant ce temps - là, elle ne pourra pas s’occuper des autres enfants, et Françoise devra rester seule avec tout un tas de petits, et prendre soin de Gilles. Nous n’avons que deux nourrices et les domestiques seront occupés avec les invités.

Bernard et Amand rentrèrent tout spécialement de leur internat pour la journée de fête, qui célébrait à la fois les quarante ans d’Armand, un peu en retard et les dix ans de Bernard.

Après le brûlage d’une tarte causée par l’appel insistant d’un enfant depuis l’étage, ou le bris de six verres à vin que l’on avait demandé à Marie – Louise fille d’apporter à table sur un plateau, tout fus enfin prêt. Les premiers invités arrivèrent avant le début de la réception en toute fin de matinée. Ce furent évidemment Louison et Laurence qui arrivèrent les premières, seulement avec Joseph, l’époux de Louison, car les enfants étudiaient et Pierre travaillait.

Au fil des arrivées, Malou me présentait la famille d’Armand, ses deux tantes, ses trois oncles des côtés à la fois de son père et de sa mère, leurs enfants respectifs parents à leur tour, son parrain Armand et sa marraine Bernadette. Elle nous fis part de son immense regret de ne pas voir son frère prendre part aux festivités, que la sensation pour elle restait la même que le jour de son mariage, lorsque Auguste n’était pas venu, probablement a cause de la grossesse de son épouse. à la fin du bon repas notamment constitué de deux cochons de lait cuits à la broche accompagné de pommes cuites, les deux protagonistes furent installés comme des rois en face de deux gâteaux préparés spécialement et ornés de bougies, dix pour Bernard et quarante pour Armand, soigneusement disposées et alignées.

On ferma les volets, et éclairé à la seule lueur des bougies, nous laissâmes d’abord Armand éteindre les siennes, et après une nuée d’applaudissement, ce fut au tour du garçon tout sourire, de souffler ses dix petites flammes. Les domestiques allèrent ensuite rouvrir les volets, pour de nouveau laisser pénétrer la lumière du jour, et chaque invité alla faire une bise aux heureux hommes. Les enfants, tout beaux, bien coiffés et bien vêtus, mangèrent précipitamment leur part de gâteau pour pouvoir monter jouer ensemble. Nous, les adultes, continuâmes de discuter ensuite pendant des heures, toute l’après – dîner jusqu’au souper. Entre temps, certains invités s’étaient éclipsés chez eux, les hommes avaient pour la plupart quittés la table pour aller fumer dehors, ou finir leur verre au frais, sous la fine brise de ce mois d’avril. Marie – Camille, petite brune de quatre ans et demi aux cheveux si fins et peu nombreux qu’ils laissaient transparaître son crâne, descendit seule vers la fin de la soirée dans la salle à manger.

— Maman…

Comme sa mère l’ignora presque, bavardant avec son mari à propos de leurs prochaines vacances, l’enfant se mis à tourner autour de la table en chouinant, jusqu’à ce que Marie la prenne sur ses genoux.

— Que tu es légère… Que se passe t-il ? Tu t’ennuies ?

Sa mère tourna la tête et bondit presque de sa chaise pour récupérer sa fille, qu’elle remit ensuite à une domestique au passage, sur une seule phrase.

— Elle va vomir, emmenez – la dehors !

C’est ce que fit la vieille femme, qui revint dix minutes plus tard, sans Marie – Camille.

— Je l’ai assise sur le perron à la fois pour qu’elle bénéficie de l’air frais et qu’elle ne salisse pas.

— A t-elle régurgité?

— Tout son repas madame.

— J’en étais sûre. A chaque fois qu’elle cherche l’attention des adultes, c’est qu’elle est malade. Ma nièce attrapa tendrement la main de son époux posée sur la table, qu’il serra bientôt fort dans la sienne. Oh Armand, qu’avons nous fait au Bon Dieu pour qu’il nous donne une enfant si fragile ?

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