Chapitre 52D: octobre 1803

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Par une froide soirée de début octobre, alors que le vent soufflait fort sur Rouen et que notre chère Alice nous avait quitté depuis déjà une année, on frappa à notre porte. Nous avions déjà pris notre souper, et les deux plus petits étaient couchés. Comme nous n’attendions aucune visite, cela m’inquiéta quelque peu avec Marie et c’est donc mon fils qui alla ouvrir. Il laissa le temps en suspens durant quelques secondes, devant la porte entrebâillée, et nous regarda étonné.

Malou embrassa son cousin, puis elle laissa son jeune garçon, retira son chapeau noir, sa mantille, et s’empressa d’aller m’embrasser. Elle m’enlaça longuement avant de se ressaisir.

—''Je suis venue en catastrophe avec Bernard en recevant la lettre. Tout va bien pour mon frère?''

—''Oui… Mais ça fait déjà un an qu’elle est morte…''

—''Un an ? Mais, comment… ?''

Nous invitâmes l’enfant, assez intimidé, à nous rejoindre sur le canapé. Une fois la surprise passée, ma nièce nous expliqua qu’il avait tenu à l’accompagner pour revoir son cousin Auguste. Libéré de le pensionnat depuis le mois d’août, le garçon de huit ans et demi ne devait reprendre les leçons au lycée qu’au milieu du mois. Son frère et ses quatre sœurs restés au chaud à Bordeaux avec les nourrices et leur père, Bernard me parut soulagé.

—''Vous êtes heureux de retrouver votre place de fils unique pendant vingt jours Bernard ?''

—''Oh oui, je n’avais encore jamais pu profiter autant de ma mère. J’ai eu mes frères et sœurs avec moi pendant tout le mois d’août et de septembre, et je n’en pouvais plus. Entre Amand qui court partout, papa qui s’énerve après lui, Marie – Augustine qui accapare l’attention avec son caractère difficile et Marie – Camille qui fait des crises d’épilepsie, des allergies et qui vient de se casser le poignet, la vie à la maison est mouvementée.''

—''Le pire, c’est qu’on a tendance a oublier Marie – Louise et Marie – Laurence dans tout ce mouvement perpétuel. Elles ne disent rien du tout. La dernière fois qu’on est allé chez ma belle - sœur, Armand a refermé la voiture avec la petite d’un an à l’intérieur qui ne bronchait pas. Ma nièce regarda son fils. C’est toi ou Amand qui nous a prévenu.''

—''C’est Amand. Et tante Laurence l’avait oubliée dans son berceau alors que nous partions nous promener. Heureusement, papa s’est soucié de savoir où était passé le bébé. ''

Le cocher déchargea la malle d’affaires du coffre, et nous installâmes la mère et le fils dans la chambre inutilisée du fond, où Léon – Paul avait l’habitude de coucher après les conflits avec son épouse. Le cocher quant à lui, trouva sommeil dans la chambre auprès de Jeanne, après avoir rentré la voiture neuve, dételé les deux juments usées et épuisées par le voyage, les avoir bouchonnées, abreuvées, nourries d’un picotin d’avoine et mises à l’abri dans l’écurie, bien qu’elles risquent d’être un peu serrées. Nous souhaitâmes le bonsoir a Bernard que sa maman borda soigneusement avant de redescendre pour discuter. Elle nous parla de la nouvelle voiture de huit places acquise par son époux faute de place pour en ranger une seconde, de la réception prévue normalement dans un an et demi pour les anniversaires de Armand et Bernard, mais pour laquelle rien n’avait encore été décidée, des crises d’épilepsie de Marie – Camille, âgée de trois ans et de son fâcheux accident au début de septembre. Sa sœur jumelle lui avait ordonné de monter sur le meuble de la cuisine pour lui piquer une sucrerie dans la boite ‘’ interdite’’, elle avait chuté et s’était brisé le poignet droit. L’enfant était dans le plâtre depuis déjà cinq longues semaines, mais son caractère extrêmement posé et calme permettait de rendre cet empêchement d’ordinaire franchement pénible, plus si pénible. Elle répétait a sa mère que ça la soulageait car Marie – Augustine n’avait plus le droit de l’embêter.

Ma nièce comptait se rendre au cimetière le lendemain pour aller déposer des fleurs sur la tombe d’Alice, mais surtout aller rendre visite a Auguste pour lequel elle demeurait très inquiète. Elle aurait bien aimé rester une semaine entière avec nous, mais son fils aîné devait être de retour au lycée pour le lundi 17 octobre et il fallait environ dix jours pour rallier Rouen à Bordeaux. Elle ne traînerait donc pas pour repartir. Le lendemain, nous laissâmes Léon – Paul partir à l’hôpital, les enfants aux bons soins de Jeanne, et nous passâmes au cimetière accompagnées de Bernard, où je ne m’étais pas rendue depuis longtemps. La tombe avait déjà été nettoyée et fleurie, sans doute par ses parents ou son mari.

ALICE MEURSAULT NEE FLEURET

1770 - 1802

—''C’était qui maman, Alice ?''

—''Eh bien, l’épouse de ton oncle. Ta tante, la maman de ton cousin Auguste.''

—''Oh mince… Il a perdu sa mère…'' Sur ces mots, l’enfant s’agenouilla et pria.

Nous allâmes ensuite rendre visite à mon neveu, que je n’avais pas vu depuis longtemps. La porte de leur maison fermée à clef était de bon augure, car cela signifiait qu’il avait repris le travail et qu’il ne se morfondait pas dans son chagrin. Nous le rejoignîmes donc au centre – ville, où il travaillait avec son associé, un certain Paul Lervaine, dans un charmant petit cabinet coincé entre une épicerie et un immeuble d’habitation. Lorsqu’il revit sa sœur, son visage s’éclaira, il l’enlaça longuement et s’enferma un moment avec elle. Nous rentrâmes ensuite, et Malou me rapporta une partie de leur conversation. Son frère avait prévu son remariage pour avril ou mai 1804, seulement si sa sœur cadette pouvait être présente.

—''Vous croyez que vous pourrez ?

— '' Écoutez Louise, ça ne se voit pas mais je suis enceinte de deux mois, d’un enfant justement prévu pour le mois de mai. Le problème c’est qu’il faut qu’il refasses sa vie, qu’il arrête de compter sur moi. Ses enfants, il les récupérera quand, si il attend que je soit disponible, dans deux ans?

—''Je n’en sais rien…

—''Surtout qu’il s’est fiancé ! Il ne va pas la faire patienter encore des mois et des mois. Elle va finir par partir et pour le coup, il ne pourra pas se remarier. Ah mon frère, quand il s’y met…

Ma nièce, enceinte de son septième enfant, avait l’air de s’en vouloir. Son fils aîné Bernard lui, ne digérait pas sa déception de ne pas avoir vu son cousin Auguste. Il en pleura un soir, sans doute fatigué, sur les genoux de sa mère, qui lui caressait les cheveux.

—''Oh mon loulou… Si ça te peine tant que ça, on va s’arranger. Savez – vous où ses grands – parents habitent ?’’

Marie se tourna vers moi.

—''Il n’était pas retourné au pensionnat depuis ?’’

—''Ah si, c’est possible. Déplorais – je. Je suis désolée mais ça risque d’être compliqué mon grand. Il est sûrement retourné au collège. Je lui caressais la joue. C’est pas bien grave, hein ?’’

Nous regardions Bernard jouer avec son petit – cousin Frédéric, et je me renseignais auprès de sa mère.

—''S’occupe t-il de ses frères et sœurs ?’’

—''Il est assez peu à la maison vous savez. Mais en général non. C’est plutôt Marie – Louise qui prend son rôle de grande sœur de plus en plus a cœur.

—''Quel âge a t-elle déjà?’’

—''Elle ira sur ses cinq ans le quatorze janvier prochain. Ma princesse va ainsi commencer l’apprentissage du piano, sur l’insistance de son père.’’

Ils restèrent trois jours avec nous, nous fîmes des promenades et passâmes du bon temps ensemble. Ils reprirent la route un matin froid et brumeux, et j’espérais pouvoir aller leur rendre visite dans un an et demi, chez eux, à Bordeaux, pour la grande réception.

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