Chapitre 51E: septembre - octobre 1802

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Alice ( 1770 - septembre 1802)


Il me suivit sans trop comprendre, alors même que je n’y étais pas vraiment non plus. Arrivés dans la chambre, où Alice reposait sans plus personne autour, il posa son oreille contre la poitrine.

—''Je crois que c’est fini. Vous savez ce qu’il s’est passé ?

Les trois mots aussi glacials que le temps dehors me rendirent sourde et muette. Marie débarqua avec Léon-Paul qu’elle venait d’aller chercher en catastrophe. Mon fils affolé, réitéra, tenta de percevoir un battement de cœur, ne serait-ce qu’une pulsation, mais la larme qui tomba sèchement sur le vêtement nous confirma le pire. Le voisin, qui ne la connaissait pas, et forcément moins touché, nous parla doucement.

—''Il faut aller chercher le prêtre pour le persuader qu’elle est mourante et qu’il lui donne l’extrême onction. A moins que vous ne soyez…

Marie le coupa.

—''Allez – y donc.

Avec l’aide de Léon-Paul, nous la portâmes jusque sur le lit, et nous restâmes avec elle pendant tout le temps de ce défilé. D’abord le prêtre avec qui le voisin négocia longuement, et qui fini par se résigner à percevoir ce léger souffle lorsqu’il plaçait sa main contre son visage, ensuite le médecin, qui signa le certificat de décès après avoir déclaré la mort comme due à une fausse – couche ayant provoqué une hémorragie massive. Une demie – heure après le départ du praticien, Auguste arriva. Ce fus le plus difficile car il avait été prévenu juste à son arrivée. Il se jeta sur elle, fou de douleur et de chagrin, l’embrassant et lacérant son visage de ses doigts tremblants. Nous ne restâmes pas, d’abord car c’était trop dur de le voir dans un tel état de détresse émotionnelle, et puis que nous préférions le laisser seul avec elle pour ces adieux brutaux et déchirants. Nous emmenâmes Marie – Léonie en attendant, car plus personne ne serait en mesure de prendre soin d’elle. Marie alla la voir au salon et la pris dans ses bras, la petite orpheline n’avait même pas trois ans.

En pénétrant dans la maison, Marie râla en grimaçant.

—''Quelle odeur… Lui, si il n’a pas fumé comme un sapeur pendant notre absence…

En effet, l’odeur de tabac froid stagnait dans l’air de la pièce et nous dûmes ouvrir les fenêtres.

Nous déplaçâmes un lit dans la chambre d’Alice pour ne pas laisser Marie – Léonie seule, en espérant que tout reste calme le soir venu. En changeant les fesses de Frédéric, j’entendis un juron de Léon – Paul provenant de sa chambre.

—''Nous avons oublié le berceau…

Je ne pu m’empêcher de rétorquer à travers le mur.

—''Vous ouvrirez un tiroir, ce n’est pas bien grave !

Il manqua de s’étouffer.

—''Frédéric ne couchera pas dans un tiroir cette nuit.

—''Allez – y, si cela vous plaît tant de faire des allers – retours.

Le soir au dîner, Marie – Léonie commença à réclamer sa mère. Mais nous ne pouvions rien y faire et nous la laissions râler devant son assiette pleine, malgré les sermons de mon fils, qui aurait voulu qu’elle avale quelque chose, mais qui devait se retenir d’aller plus loin en vue des circonstances. Tout paru normal jusqu’à ce que Marie ne fasses lever les deux cousines de table pour les emmener dormir. Je m’interrogea soudainement.

—''Attendez Marie. Elle n’aurait pas les fesses mouillées ?

Elle sonda le bas de la robe de sa fille.

—''Qui, Alice ?

—''Non, Marie – Léonie. Si, c’est bien ce que je pensais, elle a le derrière trempé.

Ma belle – fille confirma mon doute et s’adressa à l’enfant.

—''Eh ben alors ? Je pensais qu’a ton âge tu serais propre !

Elle fus donc changée et langée, mais la mettre au lit fut une épreuve. La petite se mis a pleurer a chaudes larmes en réclamant sa mère dès que je quitta la chambre, et malgré les attentifs baisers de sa cousine Alice qui s’était levée de son lit et essayait maladroitement de la consoler. Marie– Léonie ne devait pas comprendre cette séparation si brutale avec cette maman qui lui faisait des encore des câlins sans rien laisser paraître le matin même. Je due rester longtemps avec elle pour l’apaiser, jusqu’à ce que Morphée l’emporte sur le manque et le chagrin. A notre grande surprise, sa grand – mère maternelle vint la récupérer dès le milieu d’après – dîner du lendemain, bien que nous jugions préférable qu’elle reste avec nous, ses parrains et marraines.

—''Vous avez déjà assez à faire avec les trois petits. Si vous le voulez – bien, je vais prendre soin d’elle jusqu’à ce que mon beau – fils se réconcilie avec Dieu et retrouve peut – être une épouse. Elle jouera avec ses cousins et puis, nous lui ferons un tant soit peu oublier le manque.

Madame Fleuret nous indiqua par ailleurs que l’enterrement aurait lieu le douze, à treize heures trente, au cimetière monumental de Rouen, aussi appelé CMR. Elle avait tout organisé pour que sa fille ait sur son cercueil les plus belles fleurs, la tombe la plus ensoleillée, le plus bel orchestre pour l’hommage. C’était sa manière à elle d’exprimer son chagrin, son regret envers son enfant à laquelle elle n’avait sûrement jamais communiqué son amour. Nous retournâmes le jour même voir Alice sur son lit de mort, somptueusement vêtue et ses frisettes rebelles sagement coiffées, la belle avait l’air de sommeiller. Le lendemain, ce fus son fils aîné qui vint lui dire au revoir, revenu en urgence de son pensionnat. Nous passâmes la voir et prier chacun des trois jours qui passèrent avant son enterrement. Ce dimanche – ci, Jeanne garda les enfants et sous un soleil de plomb, après l’hommage, nous regardâmes impuissants cette grande amie disparaître sous terre, entouré de ses frères et sœurs et de sa famille proche. J’étais évidemment très triste pour Alice, mais je me demandais bien que deviendrait mon neveu désormais veuf, si il se remarierait, ou si il ferait comme son père, confiant sa fille à un tiers et s’occupant avec une nourrice de l’éducation de son fils. Cependant, cette dernière solution me paraissait la moins probable car Auguste fils avait déjà sept ans, étudiait au collège, et mon neveu n’en était qu’a son premier mariage, tandis que son père avait perdu sa femme prématurément, ils avaient trois jeunes enfants, et c’était déjà son troisième mariage. J’espérais juste que sa nouvelle épouse prenne bien soin de Marie – Léonie, car du fait de son âge, et contrairement à son frère aîné, son souvenir prendrait rapidement le dessus sur celui d’Alice.

Je savais que Marie – Léonie passerait au moins la fin de l’année chez sa grand – mère, mais cela ne pourrait évidemment pas durer plus que quelques mois, car la femme était âgée et l’enfant pleine de vie, et surtout bousculée par cette perte immense. Je n’avais même pas pensé écrire à Malou pour l’en informer. Lorsque je fis part de mon oubli à Léon – Paul, il me répondit que c’était tout de même sa belle – sœur et qu’il faudrait s’y atteler.

Comme pour chaque drame, la vie finissait toujours par reprendre le dessus. Cependant, et j’ignorais pour quelles raisons, le deuil était parfois plus difficile à faire. Une nuit, je me surpris à sortir de mon sommeil en larmes, en ayant rêvé de cette jeune maman qui aurait pu être moi, Malou ou Marie, et imaginant ces fratries perdues, privées du jour au lendemain de cette affection maternelle qu’ils avaient jusque - là toujours prise pour acquise.

Nous prîmes durant quelques dimanches l’habitude d’aller voir Alice au cimetière après la messe, déposer des fleurs fraîches et dégager de sa tombe les débris qui pouvaient y tomber, mais le mauvais temps et le froid qui devinrent récurrent dès le mois d’octobre et l’invitation par un collègue de Léon – Paul à un ennuyeux dîner un dimanche espaça rapidement nos visites.

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