Chapitre 51D: septembre 1802

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Jacques, l’époux de Guillemine, arriva un peu plus tôt que prévu, pour venir prendre l’apéritif avec nous, dans cette maison qui était véritablement leur résidence secondaire, où la fratrie Gillain se retrouvait très régulièrement le dimanche, et même certaines soirées en semaine, pour boire, manger et jouer aux cartes.

Quant au mari de Charlotte, Pierre-Joseph, surnommé ‘’l’invisible’’, personne ne le voyait jamais, si ce n’est son épouse pour confirmer qu’il n’était pas mort. On savait tout juste qu’il travaillait dans le négoce, près du port du Havre, avec des navires espagnols, portugais et italiens. La sœur aînée de Marie, qui au détour d’une discussion évoqua le souhait de son époux d’adopter un jeune garçon en raison de leur stérilité supposée, tint à préciser qu’un enfant, ça ne se faisait pas toute seule et qu’elle ne croyait pas à cette histoire. Mais tout de même, en restant de son côté, nous pensions toutes au fond de nous qu’il fallait faire abstinence ou avoir un sérieux problème pour ne pas avoir eu une seule grossesse en sept ans de mariage, aussi peu voyait t – elle Pierre – Joseph. Cette idée d’adoption avait selon ses propos été évoquée plusieurs fois par l’homme qui se voyait vieillir sans descendance, mais jusque – là jamais creusée davantage, sans doute par manque de temps.

J’appris notamment aussi que c’était un mariage de charité, tardif et sans amour, contracté suite au décès d’un collègue et grand ami de François, un médecin qui élevait seul sa fille unique qu’il avait toujours refusé de marier de son vivant. La pauvre orpheline avait inspiré la pitié de François qui rêvait depuis des années de caser son fils aîné de trente – huit ans, Pierre qui avait accepté sans trop réfléchir. La jeune femme que je n’avais encore jamais vu s’appelait Zoée ‘’ avec un e ‘’, et cette union suscitait l’indignation des habitants du village à cause de la grande différence d’âge, car quinze ans les séparait.

Pendant que nous jouions aux cartes le soir venu, les jeunes mères durent plusieurs fois s’interrompre pour aller remettre de l’ordre dans la chambre où dormaient Rosalie et Alice, car, incapables de trouver le sommeil à cause de la chaleur et de l’excitation d’être ensemble, les deux cousines faisaient les folles, sautant sur leurs lits et embêtant Jean – Pierre, incapable de descendre de son grand lit du fait de son âge. Il était pourtant nécessaire qu’elles s’endorment au plus vite, car le lendemain, la fille de Guillemine serait demoiselle d’honneur pour le mariage de son oncle, et toute la maisonnée devrait se réveiller aux aurores.

Marie coucha avec moi dans la chambre qui avait toujours été la sienne, partageant son lit avec Alice que Charlotte avait fini par séparer de Rosalie. La nuit fus relativement courte, et le lendemain, une heure après que tout le monde fus réveillé, Pierre rentra en catastrophe pour se préparer. Il y aurait peu de monde à cause comme ils disaient ‘’ de l’écart ‘’.

Ma petite – fille se grattait vigoureusement la tête depuis la veille au soir, et cela ne cessa guère après son bain, pendant que sa tante Charlotte la coiffait pour la cérémonie.

—''Arrête Alice, tu défais tout.

—''Mais ça gratte trop Charlotte.

—''Eh bien tu iras voir ton grand-père, et il regardera si tu n’as pas des poux. En attendant, et jusqu’au mariage, retiens - toi.

Zoée, lorsqu’elle arriva au bras de François jusqu’à l’autel, me parut d’une grande fragilité. De surcroît, le visage pâle, les cheveux délavés et sans aucunes rondeurs, elle n’était pas très jolie. Cependant, elle faisait désormais partie de notre famille, de mon cercle éloigné, mais elle était désormais la belle – sœur de Marie et la tante de mes trois petits – enfants. La fin de la cérémonie fus gâchée par une sortie d’église sous un crachat pluvieux qui tombait du ciel bas et lourd et après le passage à la mairie, nous rentrâmes dîner.

Suite à ses sollicitations, nous défîmes la coiffure d’Alice et François, qui s’y connaissait mieux que nous, observa avec une loupe son cuir chevelu. Il y décela quelques petits œufs blancs et autant de poux, la cause de ces insupportables démangeaisons.

Après un court débat sur les solutions à appliquer pour contrer cette vermine, et Zoée qui aurait préconisé qu’on les lui laisse car ils pouvaient être signe de bonne santé, Charlotte alla chercher l’énorme livre de recettes qui trônait depuis longtemps sur le buffet, et nous assîmes l’enfant sur une chaise devant l’évier, rehaussée de quelques ouvrages philosophiques, pour lui laver les cheveux avec cette solution au vinaigre et aux œufs. Je m’occupais d’appliquer la mixture, d’empêcher la petite de descendre de son siège d’ennui, et au bout d’une heure, les lui rincer encore et encore pour estomper l’odeur horrible de vinaigre, en évitant ses yeux. Cela fonctionna, puisque après un fastidieux séchage et brossage, Alice fus définitivement débarrassée.

François nous ramena à la Poste le lendemain matin un peu avant sept heures, et après avoir subi le retard de la voiture, nous arrivâmes après l’heure du dîner chez Auguste et Alice, pour récupérer les enfants, ce n’était pas bien loin à pied depuis la Poste. J’aurais aimé passer à la maison avant, mais ma belle – fille était trop impatiente de retrouver ses deux bébés. Nous entrâmes après avoir frappé mille fois, mon neveu devait être au travail, et nous savions qu’Auguste fils venait d’entrer au pensionnat du collège de Rouen. Seule la petite dernière de presque trois ans répondait à l’appel, gribouillant calmement attablée dans le salon. Marie s’approcha de l’enfant pour l’embrasser.

—''Où est ta mère Marie – Léonie?

Elle haussa les épaules, plus intéressée par son œuvre que par la question de sa marraine. Devant autant d’incertitude, nous décidâmes donc de monter en laissant les petites filles jouer ensemble. La jeune femme se précipita dans la première chambre en entendant Frédéric pleurer, et récupéra le nourrisson trempé, et sans doute affamé, dans le vieux berceau que nous avions rapatrié de chez nous. Marie me le confia, je le berçais pendant qu’elle s’en allait à la recherche d’Alice et sa cadette Louise – Marie, que nous n’entendions pas. Dans la deuxième chambre, sur le lit d’Auguste fils, au plus grand soulagement de sa mère, gigotait Louise – Marie. La petite était nue, sa robe en chiffon à côté d’elle, toute grelottante. Pendant que je l’habillais, sans l’avoir vu quitter la pièce, Marie m’appela.

—''Venez vite Louise !

J’accourais en me stoppant net. Alice gémissait faiblement, se tenant le ventre, allongée par terre au pied du lit. Ma belle – fille, accroupie près d’elle en lui tenant la main, me fixait du regard comme si j’étais la sauveuse. Mais je ne pouvais rien faire, figée de peur devant cette flaque rougeâtre qui s’étendait, sang dégoulinant depuis le dessous de sa robe sur ses bas dévoilés et gouttant à un rythme qui s’accélérait sur le parquet. Mon esprit se réenclencha d’un coup pour me permettre de trouver la force de courir chercher de l’aide. Arrivée dans la rue, je hurlais aux voisins, aux passants un peu d’attention, mais la plupart poursuivaient leur chemin sans un regard, devant sûrement penser que j’étais folle. Je l’étais en effet, mais de peur, de douleur de penser que chaque minute la perdait davantage, et de chagrin de penser a ceux qui vivaient encore dans la joie, et auxquels on devraient ce soir briser la vie. Au bout d’un temps interminable, le voisin d’en face sorti de chez lui, me regarda enfin, et vint vers moi, terriblement faible et dont les jambes tremblaient.

—''Alice… Elle se meurt…venez…

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