Chapitre 51C: août - septembre 1802

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Je lui répondit simplement par un court billet que nous ferions tout notre possible pour venir, même si ne savions pas du tout où nous serions dans trois ans, comme elle d’ailleurs.

Ce dimanche–là, Marie dont ce n’était pas dans les habitudes de lire resta longtemps sur une page de la gazette en particulier. Quand je vins vers elle, curieuse de savoir ce qu’il l’intéressait tant, elle me fis signe de regarder. Une illustration couvrant la moitié de la page, représentant la caricature d’un bourgeois attablé, mangeant des billets, la serviette tâchée de vin autour du cou et les bajoues pleines me fit sourire. Marie s’exclama.

—''Vous avez-vu ce qu’ils font de nous ? Nous ne sommes pas de ceux là heureusement. Nous ne sommes ni riches, ni gros, ni pauvres non plus, juste d’honnêtes gens qui payent des impôts, et vivent comme le salaire mensuel de mon mari nous le permet, confortablement mais sans excès.

Nous faisions en effet partie de la moyenne bourgeoisie comprenant toutes les professions libérales, notaires, médecins, avocats, architecte, même si dans le cas de la famille Corcelles, nous pouvions nous accorder sur le fait qu’ils faisaient plutôt partie de la classe supérieure, la grande bourgeoisie, considérés comme les nouveaux riches.

Si l’ambiance avait été relativement calme durant l’été, la houle revint au tout début du mois de septembre, lorsqu’il fut de nouveau question du mariage de Pierre. On avait fait il y a peu remplacer le miroir de la chambre, et j’espérais qu’il ne se brise plus de si tôt. Comme j’anticipais la réaction de Léon – Paul si on insistait pour qu’il accompagne sa femme, je proposais à ma belle – fille de venir avec elle. Elle soupira, mais je savais qu’elle n’aurait ni pu décliner un tel événement, ni s’y rendre seule. Je n’étais quand même pas de si mauvaise compagnie ! En revanche, si nous partions toutes les deux, nous serions contraintes de confier les enfants a Alice et Auguste, car mon fils n’aurait bien sûr pas pu s’en occuper, et ce n’était pas vraiment du ressort de Jeanne, même si elle nous avait déjà dépanné un ou deux après – dîner. J’en parlais donc à Alice quand je la retrouvais avec sa famille, le dimanche précédent, dont la réponse était d’une certaine façon assez logique.

—''Je pourrais m’occuper de Frédéric, mais certainement pas de ses sœurs, car Marie-Léonie demande aussi beaucoup d’attention et je n’ai que deux mains et deux yeux.

Je me tournais vers Marie pour lui exprimer le souci qui s’exposait à nous. Alice paraissait confuse.

—''Je suis vraiment désolée Louise, mais je ne peux faire autrement…

—''Nous allons trouver une solution, ne vous inquiétez pas. Si cela ne vous gêne pas, Jeanne pourrait venir chez vous pour vous aider à s’occuper de Louise-Marie et Alice…

Marie parut voir s’allumer une bougie dans son esprit.

—''Sinon, faisons d’après votre idée, mais emmenons la petite Alice avec nous. Elle verra ses cousins et cousines et cela libérera sa marraine. Cela vous va ? S’inquiéta t-elle auprès d’Alice. Dites – nous si cela vous pose un problème...

Alice acquiesça sans plus de convictions, mais nous ne cherchâmes pas davantage à l’arranger : qu’elle décline serait catastrophique, et puis ça ne durerait que deux jours et Jeanne viendrait l’aider. J’expliquais rapidement à l’aînée de mes petits – enfants le long voyage qui l’attendait, et elle fus enchantée, sans se rendre bien compte. Mon fils resterait en paix, au calme durant ce court séjour, et il fus conclu que Jeanne passerait lui préparer ses soupers. Notre pauvre bonne n’aura sûrement jamais autant été mise à contribution !

Le lundi matin, nous nous levâmes donc à l’aube. Alice eu beaucoup de mal à sortir de ses couvertures chaudes et douillettes pour poser ses petits pieds sur le sol glacé et devoir supporter la froideur de la maison, chauffée tant bien que mal par les quatre cheminées sur les six que nous possédions que Jeanne ravitaillaient d’énormes bûches une seule fois par semaine. Léon – Paul avait instauré cette règle pour faire des économies, parce qu’avant nous chauffions trop selon lui. Alice, un peu bougon, n’avala rien ce matin – là, malgré notre insistance sur le long voyage que nous allions effectuer, et son petit ventre qui crierait vite famine. Nous emportâmes par précaution quelques biscuits secs dans un baluchon, en plus de notre malle d’affaires. Mon fils nous emmena jusqu’à la Poste, où la voiture commune arriva à sept heures. Après avoir supporté les cris d’un petit enfant jusqu’à environ treize heures, nous descendîmes à Forges – les - Eaux, devant la Poste où Catherine nous attendait avec son mari.

Alice avait dormi pendant la dernière moitié du voyage la tête sur les genoux de sa mère, et le réveil fus comme le matin, difficile. Marie enlaça longuement sa sœur aînée qui s’extasia sur sa nièce, un peu moins chaleureuse, qui râlait de faim accrochée à ma main.

—''Eh bien alors ? Vous faites votre petite fille timide ?

—''Elle s’est levée du pied gauche ce matin. Hein Alice ?

Elle cachait sa tête dans mes jambes, et ses longs cheveux n’arrangeaient rien. Je les dégageais donc de son doux minois, et elle alla toute grognon embrasser son oncle et sa tante. Au bout de deux heures de route, la voiture pénétra dans une ruelle où je pu découvrir la petite maison où vivaient Catherine et Paul, avec leurs quatre fils. En montant les escaliers étroits, Catherine, dont la ressemblance de dos avec Marie me frappa, nous informa.

—''Nous vivons au premier étage. En haut, habite la famille de boulanger qui approvisionne tout le village en pain, et dont nous entendons parfois les enfants chahuter.

Marie, lorsque nous pénétrâmes dans le logement, s’interrogea.

—''Tes fils ne sont t-ils pas là ?

—''Si, Antoine et Paul-Henri sont rentrés hier du pensionnat. Quant à Joseph et Marc, ils ne devraient plus tarder, un collègue de Paul les ramène cet après – midi. Mes deux garçons doivent être en train d’étudier dans la chambre. Ils ont un peu de mal à décrocher vous savez.

Curieuse comme a mon habitude, je voulu savoir où étudiaient les quatre fils de Catherine. Ses deux aînés de quinze et dix – sept ans étaient étudiants en médecine à la Faculté de Rouen, tandis que les plus jeunes, de neuf ans et demi et treize ans, étaient eux aussi en pensionnat, au collège dans la même ville. Ils n’étaient pas rentrés chez eux depuis la Saint – Nicolas de l’an dernier, et avaient exceptionnellement demandé deux jours de vacance pour assister au mariage de leur oncle Pierre. Paul alla chercher ses fils qui lisaient pieusement dans la chambre qui servaient aux quatre enfants de la fratrie. Les deux garçons aux cheveux de blé prirent un second et succinct dîner avec nous sur l’insistance d’Alice qui chouinait de faim depuis ce matin. Relativement taiseux, ils gardèrent la tête plongée dans leur assiette sans adresser un mot pendant tout le repas. Heureusement pour moi un peu mal à l’aise, nous ne restâmes pas. Comme nous serions trop à l’étroit a l’arrivée des deux aînés, et pour nous permettre de passer la nuit, Paul nous ramena peu de temps après chez François, qui vivait à deux rues d’ici. Alice découvrit ainsi son grand – père, ses tantes, et son oncle, qu’elle n’avait pas vu depuis un certain temps. Charlotte habitait non loin avec son mari, mais n’ayant pas d’enfant et restant seule la plupart du temps, elle passait ses journées chez son père et son frère, dans la grande maison familiale.

Pierre, le futur marié, était parti à Rouen pour récupérer le costume sur – mesure qu’il avait commandé une semaine à l’avance, et devait rentrer le lendemain en justesse, avant la cérémonie, après une nuit à l’hôtel.

Guillemine en revanche, enceinte de six mois, devait surveiller ses deux enfants que l’on prit soin de présenter à Alice, Rosalie, une adorable brunette née en mai 1797, et Jean-Pierre, petit enfant coléreux de vingt – deux mois.

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