Chapitre 51B: juin - août 1802

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Le soir lorsqu’il rentra, un peu plus tard que d’habitude, Léon-Paul monta poser ses affaires et nous ne le revîmes plus jusqu’au souper. Le soir, assise près de la cheminée qui crépitait, je ne pu m’empêcher de discuter avec mon fils, taiseux depuis son retour.

—''Marie avait le dos qui saignait encore ce matin. Vous lui avez sérieusement fait mal. Je ne vous pensais pas comme ça, je n’imaginais vraiment pas que mon fils puisses un jour exprimer un tel déchaînement de violence envers quelqu’un, qui plus est son épouse. Je suis déçue.

Il resta dans son silence, avant de marmonner.

—''Si elle m’avait écouté, je ne l’aurais pas poussé. Elle doit m’obéir, cela fait partie de l’accord auquel elle s’est engagé en me prenant comme époux.

—''Je me demande juste une dernière chose. Vous l’aimez ?

—''Non. Enfin, plus vraiment. Cette période de jeunesse et d’insouciance est terminée. Mais je suis loin d’être le seul. Auguste, lui, m’a avoué il y a peu qu’il n’y avait jamais eu d’amour entre lui et sa femme, seulement une affection naturelle qui s’est transformé en attachement quasi amical au fil des années. Un lien cependant assez fort maintenu par leurs deux enfants et les épreuves endurées m’a t-il aussi dit. Contrairement à lui, je crois avoir connu l’amour véritable avec Marie. Mais depuis la naissance et le décès de Thomas, j’ai l’impression que tout s’est progressivement estompé, jusqu’à disparaître. Voilà. Il se leva du fauteuil et monta se coucher, en prononçant ces derniers mots. J’ai peut – être un peu trop parlé moi…

Je restais un certain temps à cogiter sur ce qu’il venait de me dire, en concluant que cela devait être pareil pour tout le monde. Le temps est assassin, il tue l’amour, les personnes que l’on aime, la beauté des hommes et des femmes, l’insouciance de leur jeunesse, pour au final toujours remporter la partie, même contre les plus résistants.

Lorsqu’au début du mois de juin, je rappelais à Marie que nous avions été invitées à la confirmation de Jacqueline, elle soupira en exprimant son souhait de ne pas y aller. Après tout, c’était légitime, elle ne connaissait pas ces gens - là. Mais j’avais très envie de revoir Gustavine, et je m’imaginais mal aller seule à Paris. Pour tenter de la convaincre, et amortir le temps de trajet jusque là – bas, je lui proposais de passer voir ma famille dans la foulée, lui présenter ma petite – cousine Berthe, ses enfants, mais elle n’avait vraiment pas envie. Comme je me disais qu’elle avait forcément dû penser à nous pour nous envoyer les invitations, je trouvais assez malpoli le fait de décliner. Je lui écrivais donc une courte lettre d’excuse avec un prétexte qu’elle n’irait jamais vérifier.

J’avais l’impression que depuis l’incident avec son mari, ses clignements d’yeux intempestifs s’étaient accentués. La première année, j’avais trouvé relativement perturbant le fait d’entamer une conversation avec elle, car j’avais réellement l’impression qu’elle n’écoutait pas. Je m’étais heureusement habituée, mais depuis que ça avait empiré, on était revenu aux prémices.

Un matin de début d’août, alors que la chaleur m’avait réveillée depuis longtemps, mais malgré tout encore au fond de mon lit, je percevais une certaine agitation venant de la chambre de Marie et Léon – Paul, puis Louise – Marie pleurer, suivie de près par le petit Frédéric. Je me levais poussée par ma curiosité, m’habillais m’en allais ouvrir doucement la porte alors entrebâillée. Dans la chambre aux volets déjà ouverts, les jeunes parents s’affairaient autour de leur cadette de seize mois. Léon – Paul, assis sur le lit près de l’enfant râlant, lui nettoyait les yeux avec un linge propre humide pendant que Marie calmait Frédéric, son nourrisson de quatre mois, en le berçant doucement dans ses bras. Lorsqu’elle m’aperçut, Marie s’exclama.

—''Entrez donc Louise, ne restez pas ainsi cachée, je ne vais rien vous reprocher. Louise – Marie a attrapé une ? Mince...

Son époux ne prit même pas la peine de détourner les yeux de sa tâche pour lui répondre.

—''Une conjonctivite.

—''Ah oui c’est ça. Donc elle avait les yeux complètement collés lorsque je l’ai réveillée et Léon – Paul est en train de les lui nettoyer. Ça n’a pas l’air de trop plaire à la demoiselle. Son regard se porta subitement vers son mari. Doucement Léon – Paul, avec ta rudesse d’homme tu lui fais mal.

—''Mais non, ne t’inquiètes pas. Les enfants sont plus solides qu’on ne le croit.

C’est à la fin de ce mois - ci que nous reçûmes enfin des nouvelles de ma nièce, et comme d’habitude, c’était qu’elle avait un grand événement à annoncer. Je crois bien n’avoir jamais reçu de lettre aussi longue de toute ma vie.

Chère Louise,

Quel plaisir ais – je éprouvé en lisant la petite lettre concernant la naissance du fils de Léon – Paul, qui je l’espère, se porte toujours aussi bien avec sa maman que je félicite ! Je vous écrit par ailleurs pour vous faire part de mon accouchement, car Marie – Laurence est née le 30 juillet dernier, deux ans mois pour mois après mes jumelles, coiffée et à quelques minutes de midi ! c’est pour vous dire que cette enfant aura de la chance toute sa vie. Armand voulait vous faire parvenir un faire – part, mais je me souviens que vous n’aimez pas cela, et je reconnaît qu’une lettre est plus personnelle, même si elle prend plus de temps à écrire. Je me souviens encore du jour où je suis devenue maman comme si c’était hier, et pourtant, c’est déjà il y a sept ans. Je suis déboussolée par la vitesse à laquelle ils grandissent, mon petit ( ou devrais – je dire, mon grand) garçon Bernard est entré au mois de mai au pensionnat du lycée de Bordeaux, et si les débuts furent délicats pour moi car je faisais des crises d’angoisse et des insomnies de le savoir si loin, désormais je m’habitue à cette idée, surtout qu’il a l’air de bien étudier. Par ailleurs, mon mari essaye d’apprendre à Amand, qui a cinq ans, la lecture et l’écriture, mais cela s’avère plus compliqué que prévu. En effet, mon fils ne parvient pas à rester concentré et tenir assis, même pendant quelques petites minutes, et profite de chaque moment d’inattention de son père pour se disperser. Je me suis dit qu’il était encore un peu jeune, et j’aurais bien voulu lui laisser encore un an pour mûrir dans son esprit, mais Armand veut absolument débuter ses apprentissages cette année, pour que notre fils de prenne pas de retard sur son parcours. Cela nous inquiète évidemment car pour qu’il puisses entrer au lycée à son tour dans deux ans, il devra forcément maîtriser ces bases en plus de quelques autres qui paraissent encore bien loin de nos préoccupations.

Du côté de mes princesses, Marie – Louise et les jumelles débordent d’énergie, complètement euphoriques depuis l’arrivée de cette petite sœur. Marie – Augustine, au fort caractère, fait déjà sa cheffe et n’hésite pas à pousser parfois avec violence Marie – Camille, qui ne se défend guère, pour prendre en premier la place et mieux voir la tétée du bébé par la nourrice. Mon ‘’ cœur de porcelaine’’ comme je me plaît à l’appeler, est d’une sensibilité exacerbée qui ne me rend pas la vie facile tous les jours, mais j’ignore vraiment si je préférerais qu’elle possède le caractère de sa sœur jumelle…

Je voulais aussi vous faire part d’un tout autre sujet, qui concerne mon cher époux et mon fils aîné. Cherchant désespérément un prétexte pour nous réunir, et je n’ai trouvé que cela. Ils auront respectivement quarante ans et dix ans en 1805, et même si cela peut vous paraître un peu éloigné en terme de temps, je vous assure que réunir toute une famille et convaincre les gens de venir est souvent le résultat d’un long labeur. J’aimerais que vous en parliez à mon frère, pour si possible vous organiser et descendre nous voir à Bordeaux, ce serait je vous assure, le plus beau cadeau que l’on m’aurait fait depuis longtemps. J’imagine une grande réunion de famille, débordant de plats en tout genres, où les cousins, et parents pourraient sans doute durant cette unique occasion se retrouver ou apprendre à se connaître. Cela permettrait aussi aux enfants de revoir leurs cousins et cousines et de s’amuser ensemble. Si nous ne pouvons plus monter vous voir à cause de soucis matériels, notre voiture est devenue beaucoup trop petite pour huit personnes, Armand n’arrive pas à trouver un modèle aussi grand et nous n’envisageons pas de monter à Rouen avec la moitié de la fratrie ou même un enfant laissé sur la paille, j’aimerais que vous fassiez votre possible pour nous rendre visite, sans quoi malheureusement, il sera compliqué de nous revoir un jour. Je vous laisse réfléchir à tout ça et pourquoi pas m’aider à trouver une idée d’organisation pour que ça ne devienne pas folklorique.

Bons baisers de Bordeaux,

Malou.

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