Chapitre 48B: novembre 1799 - janvier 1800

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Elle était seule chez elle ce matin-là car son mari travaillait et son fils avait été confié le premier du mois à sa grand – mère, heureuse de pouvoir le choyer. Il devait rentrer le douze, pour laisser Alice se remettre tranquillement de ses couches. Le dix novembre, nous assistâmes au premier sacrement de Marie – Léonie. Le prêtre plongea le petit enfant rose et vagissant dans la cuve baptismale en prononçant les paroles millénaires. Auguste s'éclipsa bientôt sans que l'on saches jamais pourquoi, et il revint dix minutes plus tard s'asseoir près de son épouse sur le banc avec l'enfant.

Nous prîmes un repas copieux, où, comme d'habitude, les hommes n'eurent pas la descente difficile. Cela nous faisait bien rire, de les voir dans cet état ridicule et de les entendre dire des choses sans queue ni tête, de cette voix rendue lasse par l'alcool. Je paniquais cependant lorsque mon fils s'effondra par terre. Nous le ramenâmes à demi – éveillé à la maison, où je le choyais comme autrefois, lorsqu'il était petit. Pendant que je passais le gant humide sur son front, il me réclamait en baragouinant son tabac.

—''Vous irez fumer quand vous serez dégrisé. Vous n'aviez qu'à moins boire. Hein ? Je repasserais vous voir dans une heure. Le pot de chambre est dans la niche. Reposez – vous.

Sentant l'odeur du tabac depuis la cuisine aux fenêtres pourtant fermées, j'allais voir dehors, en sachant bien sûr d'où elle venait. Il était encore saoul, mais l'envie de sa pipe avait été plus forte que tout.

Léon – Paul nous annonça en lisant le journal, le 15 décembre :

—''Le président des États - Unis d'Amérique est mort hier. Il avait 67 ans. Mais bon, pour ce qu'il était devenu...

Marie s'approcha interloquée.

—''Que dis – tu ?

— ‘’ Washington est décédé hier. Mon fils s'adressa de nouveau à moi. Il ne lui restait qu'une dent et il ne se déplaçait plus.

—''Et il n'avait que dix – huit ans de plus que moi. Quand je vous dit que je deviens gâteuse, Léon – Paul...

Nous passâmes la journée du trente et un décembre à aider Jeanne à préparer la réception du soir même. Nous mîmes la main à la pâte, cuisant, mijotant, toutes sortes d’amuse-bouche, de plats et de gâteaux. Léon – Paul avait invité Auguste et Alice, et la famille de sa femme, pour vivre ensemble le passage à l'année 1800. Il aurait aimé recevoir sa cousine Malou, mais elle n'avait pas répondu à son invitation.

Les retrouvailles entre Marie, son père, et ses sœurs furent émouvantes. Pierre travaillait et Guillemine passait cette soirée là dans la famille de son mari, mais François serra avec ironie la main de sa petite-fille et Charlotte, Anne et Catherine découvrirent avec joie leur nièce de huit mois. Auguste et Alice arrivèrent plus tard, car ils avaient confié leurs enfants aux grands – parents, mais ils s'étaient endimanchés. Elle portait une splendide robe bleue, un beau chapeau emplumé et les joues poudrées tandis qu'il s'était coupé les cheveux.

Autour du repas, les discussions eurent naturellement tendance à se séparer entre les hommes et les femmes. Nous mangeâmes beaucoup et Léon – Paul trinqua avec François et Auguste. Dès onze heures et demi, nous demeurions le regard rivé sur le gousset de mon fils et à minuit, tout le monde s'embrassa, en se souhaitant une bonne année 1800. J'allais même chercher Jeanne occupée à faire la vaisselle dans la cuisine, pour qu'elle reçoive une bise de notre part. Si un léger malaise fut présent, il fut vite oublié.

La soirée se poursuivit tard, à la lueur de la bougie, autour d'un jeu de cartes. Vers une heure du matin, nous les laissâmes. Ils nous promirent de nous rendre l'invitation. Quant au père, au frère et aux sœurs de Marie, ils passèrent la nuit chez nous pour rentrer à Saint – Germain sur Bresle le lendemain matin. C'est pendant le déjeuner que Marie m'annonça :

—''Ma sœur Anne va se marier le 11 mars prochain. J'irais je le pense avec Léon-Paul, pourriez – vous aider la bonne à s'occuper d'Alice ?

—''Oui bien sûr. Combien de temps partirez – vous ?

—''Environ trois jours, en comptant un d'aller, un sur place et un de retour.

J'allais avoir cinquante ans dans cinq mois et pour quelqu'un qui ne me connaissait pas, il aurait été impossible de distinguer ma couleur de cheveux, désormais uniformément blanche. Je souffrais de plus en plus du dos, mais je dépassais la douleur pour pouvoir prendre dans mes bras ma petite – fille.

Un soir un peu plus tard, je lisais dans le salon près de mon fils, et elle arrivait fatiguée, sa fille qui chouinait dans les bras. Léon – Paul s'agaçait, sans quitter les yeux de son journal.

— Va la mettre dans son berceau, elle me casse les oreilles.

— C'est ta fille, considère - la un peu.

— Je le sais bien, mais ça n'empêche pas que ce soit une pleurnicheuse et qu'elle me gonfle. C'est pourquoi je te demande gentiment de la faire sortir de ma vue et de mes oreilles.

— Pourquoi lui en veux – tu, à la fin? Pourquoi ? Je sais bien que tu ne digères pas que ton aîné soit une fille, mais ce n'est pas une raison pour lui faire payer !

— Baisse de ton.

— Tu me dégoûtes Léon – Paul... Des fois je me demande vraiment pourquoi j'ai tout quitté pour un salaud comme toi.

— Si tu ne veux pas recevoir mon poing dans la figure, je te conseille de décamper.

Elle n'insista pas et, assez étonnée de ces menaces, je la suivait. Elle déshabilla Alice qui mourait de chaud à cause de ses poussées dentaires, et elle la coucha en simple langes dans son berceau. Nous restâmes longtemps près d'elle à remuer son petit lit et à lui fredonner des chansons. Quand elle fus endormie, je laissa ma belle-fille pour m'en retourner vers ma chambre, peu tranquille cependant de la laisser avec Léon-Paul, suite aux menaces qu'il avait perpétré contre elle. J'écoutais passivement ce qu'il se passait derrière le mur, et le ton monta de nouveau vers dix heures du soir. J'entendis des pleurs, mais je n'osais pas me mêler de leurs affaires. Une porte claqua, puis j'entendis quelqu'un passer devant ma chambre. Le lendemain, Marie me confia entre deux crises de larmes que Léon – Paul avait déserté le lit conjugal jusqu'à nouvel ordre. Cela la blessait, car elle l'aimait fort.

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