Chapitre 101

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- Comment pouvez-vous être sûres qu'on ne nous écoute plus ?

La policière montra son portable à sa complice. L'image de la caméra de surveillance de la pièce secrète y paraissait en plein écran.

- Vous voyez, il n'y a personne... Seulement, mon supérieur est intransigeant. Nous n'avons que cinq minutes. Alors soyez brève.

Une once de crainte résonnait désormais dans le timbre agacé de sa compagne.

- Et on ne nous enregistre pas ? demanda Mathilde en désignant la caméra tapie dans un coin de la salle.

- Ils l'ont éteinte mais la rallumeront à leur retour. Vous avez de la chance, ils sont compréhensifs.

- Ou rapidement dégoutés...

- Faites vite !

- Soit... Que vous a dit Valcrome ?

- Pardon ?

- Quand il verra que la vidéo a été coupée, il cherchera des explications et s'en prendra à vous autant qu'à moi. Alors racontez-moi ce qu'il vous a dit !

- Il ne m'a rien dit du tout !

- Pourquoi ne pas avoir relevé mes empreintes, dans ce cas ? Je ne suis pas bête. Je sais qu'il n'avait rien à faire dans ce laboratoire. Vous lui avez laissé l'opportunité de s'entretenir avec moi quelques minutes.

L'agent se liquéfia.

- Il vous a menacée ?

- Et vous ?

Mathilde recula.

- Que vous veut Valcrome ?

- Je pourrais vous poser la même question...

- Mais c'est moi la flic. Vous, vous êtes l'interrogée... Est-ce qu'il a essayé de vous faire changer d'avis ?

L'adolescente tressauta.

- Que voulez-vous dire ?

- Votre témoignage contre votre père... Je m'attendais à faire face à une soudaine résistance après l'entretien que vous avez eu avec mon collègue...

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

- Valcrome est comme ça, insista la policière. Il arrête les gens au moment où une information inquiétante est sur le point d'être révélée au grand jour... Je suis persuadée que vous avez fait preuve de courage en nous disant la vérité.

- Ou de folie...

- Alors... Qu'est-ce que Valcrome a contre votre père ?

- Rien.

- Mathilde...

- Je ne vous mens pas. Il se fout de mon vieux.

- Alors pourquoi a-t-il cherché à vous empêcher de parler ?

- Parce que... hésita la lycéenne. Ça aurait bousculé leur plan...

- Leur plan ?... Il n'agit donc pas seul ?

Le visage de la jeune fille s'assombrit.

- Valcrome croit que je ne serai jamais capable de parler, mais quoi que je fasse, je suis perdue... Si je n'avais pas dénoncé mon père, ils auraient quand même fini par publier la vidéo. C'est un jeu pour eux...

- Quelle vidéo ? Que contient-elle ?

- ... Quelque chose qui causera ma perte.

- Et qu'est-ce qu'il croit que vous n'oserez jamais révéler ?

- ... Quelque chose qui causerait leur perte.

Mathilde releva ses petits yeux tristes et éreintés vers la policière.

- Si vous croyez que je suis courageuse, c'est le moment de me soutenir... J'ai l'intention de faire quelque chose de bien pour une fois... Je vais dire la vérité à Fanny Rita-Lans.

- La victime de l'affaire Rita-Lans ?

- Oui... Même si cela signifie notre arrêt de mort à tous...

L'adolescente prit sa tête entre ses mains et pleura à chaude larme.

- Alors... Vous êtes plusieurs à avoir mal agi ?

- Nous avons fait confiance à la mauvaise personne, c'est tout...

- Et cette personne n'est pas Valcrome ? comprit la détective.

La résignée acquiesça.

- Valcrome n'est qu'un pion, comme nous tous... Seulement, il doit être le seul à ne pas s'en rendre compte.

- Pourquoi me dire tout ça, Mathilde ?

- Parce que... Je suis fatiguée de mentir... Fatiguée de ne plus me reconnaître dans le miroir... Fatiguée de tout... Fatiguée de vivre...

- Et vous croyez vous repentir de ce que vous avez fait subir à Fanny en m'avouant la vérité ?

- Je ne vous ai rien dit... Vous apprendrez la vérité de la bouche d'un autre... Et non, je ne regrette rien. Ce serait trop facile d'excuser trois années de harcèlements sur une pauvre fille alors que vous êtes vous-même la cible de violences depuis plusieurs semaines. Mon père ne regrettera rien non plus lorsqu'il quittera l'hôpital. Je crois que c'est une question de gène. On ne choisit pas ses parents.

- Mais on choisit la personne que l'on veut être !

Mathilde soupira.

- Et j'ai mal choisi, je sais... Tout ce que je peux faire avant de partir, c'est prévenir Fanny du danger qui l'attend.

- "Partir" ? Attendez... Vous êtes sérieuse ? Vous parlez vraiment de mourir ? s'affola l'agent.

L'étudiante esquissa un sourire apaisé, comme si tous ses doutes et ses craintes venaient de s'envoler.

- Pour que justice soit faite, il faut être capable de sacrifices.

- Alors vous condamneriez Sophie, Charlotte et tous vos amis pour une seule vie ?

Mathilde ouvrit la bouche, puis la referma.

- Qui vous a parlé de Sophie et Charlotte ?

- Mais, vous !

- Non. Je ne vous ai donné aucun nom.

L'enquêtrice se tut, regarda sa montre, puis se déboita le pouce sous l'œillade stupéfaite de sa compagne.

- Je suis désolée... J'aurais préféré éviter cela...

Alors la caméra se ralluma, et Delaunay poussa un cri terrible en se tenant la main comme si quelqu'un venait de lui couper le doigt. Elle pointa son invitée à l'arrivée des secours, et hurla :

"Mathilde Randome ! Vous êtes arrêtée pour tentative de meurtre sur votre père et agression sur un agent de police !"

- Qu'est-ce que...

L'adolescente n'eut pas le temps de finir sa phrase que deux flics lui passaient les menottes et la conduisaient hors de la salle. Protestant contre les inepties de celle qui l'avait piégée, Mathilde se retrouva pourtant dans une cellule où elle patienta de longues minutes avant que Delaunay ne la rejoigne. Egarée, elle dévisagea la jeune femme pour la première fois, tandis que celle-ci l'observait avec pitié.

- De quoi vous-a-t-il menacée ? bégaya la créature trahie. Qu'est-ce qu'il vous a dit ?!

Furieuse, elle se précipita sur la rénégate qui la renvoya d'un coup de matraque bien placé dans le visage.

- S'il vous plait, ne me forcez pas à aller plus loin... Je ne veux pas vous faire de mal.

La délatrice avait une mine contrite. La lycéenne se releva, les lèvres ensanglantées.

- Qui êtes-vous ?

- Je suis quelqu'un qui perdra tout si vous dites la vérité à Fanny ! Vous devez vous taire, ou nous n'aurons d'autre choix que de vous envoyer en prison !

Mathilde devint livide.

- Nous ?... Vous voulez dire que... Vous travaillez avec Valcrome ?!

- Je n'ai pas le choix, répondit la félonne en baissant les yeux au sol. Il sait des choses sur moi que personne d'autre ne doit savoir... Vous n'avez pas le droit de m'entrainer dans votre chute ! Contrairement à vous, je tiens encore à la vie !

- Vous, vous ne pouvez pas m'inculper ! balbutia la captive dont la tête commençait à tourner. Je n'aurais jamais tiré sur mon père ! Je n'ai jamais tenu un fusil entre mes...

L'adolescente frémit. Horrifiée, elle tomba à genoux.

- Le laboratoire... L'arme...

- Tout était prévu... Valcrome avait besoin d'un nouveau moyen de pression contre vous.

- Il savait exactement ce que je dirais...

- et ferais... Par exemple, il ne doutait pas qu'en vous montrant le caméscope, vous vous empareriez du fusil et le menaceriez en exigeant qu'il vous le remette.

- Et j'y ai laissé mes empreintes... murmura la jeune fille en plaquant une main contre son front, désemparée. Vous avez détruit la véritable arme du crime, je suppose ?

- Non. Mais vous avez déposé vos empreintes sur une parfaite réplique de ce fusil. Une fois que celles-ci auront été prélevées par l'équipe scientifique et comparées avec les empreintes que nous avons prises de vos phalanges tout à l'heure, votre mère sera incarcérée pour complicité de meurtre et vous pour tentative de meurtre. Elle aura fait un beau geste en essayant de vous protéger, vous, la gamine quotidiennement violée et malmenée par son père, et qui, dans un geste désespéré, aura fini par lui tirer dessus pour mettre fin à son calvaire.

- Vous êtes un monstre !

- Et vous, vous êtes lâche ! s'écria la scélérate, fébrile. Toutefois, vous pouvez encore vous en tenir à votre témoignage contre votre père, sans rien dire à Fanny.

Mathilde explosa d'un rire nerveux.

- J'ai été violée ! Même si j'avais tenu ce fusil, je ferais un an de prison tout au plus pour m'être seulement défendue !

- Oh ! Mais vous ne ferez pas un simple choix entre la liberté et la prison ! Non... Je crois que vous tenez plus à votre mère que vous ne le laissez croire. Alors vous devrez choisir entre le remboursement de toutes ses dettes et un nouveau départ pour vous deux - sans votre père -, ou son suicide prémédité - du fait de son incapacité à payer ses factures depuis que votre père et vous vous trouvez derrière les barreaux.

L'étudiante se jeta si vite à la gorge de la policière que celle-ci n'eut pas le temps de sortir sa matraque.

- Si vous touchez à un seul de ses cheveux...

- Je ne suis pas une meurtrière, et ce n'est pas une menace ! couina la femme. Je vous dis seulement ce qui se produira si vous décidez d'aller en prison... Votre mère est fragile, elle a besoin de votre soutien et de notre argent... La plupart des suicides concerne des personnes démunies ou déprimées. Je ne serai pas étonnée qu'elle ait déjà pensé à mettre fin à ses jours !...

- On ne voudra jamais de votre sale argent ! fit Mathilde en crachant par terre.

- Vous avez du cran, mais rappelez-vous qu'une situation où elle serait nourrie et surveillée à longueur de temps durant sa courte peine tandis que vous l'attendriez sagement à la maison, serait toujours préférable à sa liberté sans conditions et à votre incarcération immédiate.

La détenue relâcha la flic qui, portant la main à sa gorge, haleta.

- Une garde à vue dure vingt-quatre heures, reprit-elle après avoir retrouvé son souffle. Réfléchissez à ce que je vous ai dit, et donnez-moi une réponse lorsque ce temps sera écoulé.

- J'imagine que mon choix influencera ma porte de sortie ? maugréa la jeune fille.

Delaunay la fixa quelques secondes.

- Une promesse est une promesse. Une erreur est une faiblesse.

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