Chapitre 98

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Ce matin-là, la leçon de physique-chimie se termina quelques minutes avant la sonnerie annonçant la fin des cours. Pia rangeait tranquillement ses affaires tandis que le reste de la classe se précipitait dans le couloir, euphorique et affamé. Bientôt, seules deux élèves se préparaient encore à sortir. Pia au premier rang, Emma-Rose au second. Cette dernière observait la jolie blonde, intriguée par sa lente démarche et décidée à en connaître la raison. Elle mit son cartable sur son dos au moment où son ennemie passait les sangles de son sac à main par-dessus son épaule, et la suivit discrètement. Mais alors qu'elle s'attendait à marcher un certain temps, elle fut surprise de la voir s'arrêter contre le mur faisant face à leur salle, les yeux rivés sur une autre porte et l'attitude nerveuse. Elle se plaça donc en retrait, patienta jusqu'à ce que la sonnerie des cours retentisse, et releva la tête au moment où sa cible en faisait de même.

Les pupilles dilatées et les membres frissonnants, Pia entrouvrit les lèvres à la sortie d'un élève aux cheveux roux et au regard las. Pourtant, elle ne fit aucun geste ni ne dit un mot pour signaler sa présence. Elle le fixa jusqu'à ce qu'il eût quitté son champ de vision, puis, comme ranimée, se précipita vers lui. Talonnant sa proie, Emma-Rose ne manqua rien de cette course effrénée. Après avoir ralenti le pas, les adolescentes ne tardèrent pas à se retrouver dehors, et s'immobilisèrent au niveau du portail. Pia ne s'était pas retournée une fois, comme si lui seul comptait depuis qu'elle l'avait vu. Elle pencha la tête par-dessus les grandes portes, ce qui obligea sa traqueuse à se rapprocher d'elle pour avoir un meilleur visuel de ce qu'elle espionnait.

Soudain, comme si la foudre l'avait frappée, Pia changea d'attitude. Son regard doux et rêveur devint terrible et affolé. Ses mains tremblaient, à la limite de la convulsion ; et sa mine accablée la rendait misérable. C'était comme si son petit cœur venait de se briser en mille morceaux, ou qu'on venait de lui planter un poignard dans le dos. Elle était si déplorable que sa détractrice ressentit de la peine pour elle. Mais fort heureusement, cela ne dura qu'une seconde. Louis Nattier tenait dans ses bras une jeune fille aux cheveux rouges et à l'aspect aussi gothique que sexy. Son sourire en disait long sur leur relation, et ses manières calmes et sereines lui donnaient un air étonnamment sympathique.

Impuissante, Pia s'enfuit en courant, les yeux larmoyants. Emma-Rose, elle, resta encore quelque temps à épier les tourtereaux, son ennemie ne lui ayant fourni aucune information palpitante. Cependant, elle n'aurait jamais imaginé Poil de carotte dans un strip-club, et encore moins capable de se pavaner avec l'une de ses danseuses en public. Ainsi, l'expression "ne pas se fier aux apparences" s'imposa-t-elle à son esprit.

Quand elle se retourna, une tasse de café brûlant se renversa sur sa veste et son cou. Elle laissa échapper un cri strident en guise de stupeur, de douleur, et bientôt de consternation. Le responsable de l'incident se confondit en excuses. Son expression morose semblait sincère, mais il fallut plusieurs minutes à Emma-Rose pour ne plus l'injurier de tous les noms. Il sortit de son propre sac des mouchoirs, et les lui proposa comme si cela pouvait réparer le mal qu'il avait causé. Le toisant durement, l'étudiante les accepta tout de même. Son tee-shirt blanc ne survivrait pas à une telle attaque, mais tout n'était pas perdu pour sa veste noire.

- Ce lycée est vraiment rempli de tarés ! explosa-t-elle en en essuyant les taches ruisselantes sur sa peau.

- Je suis vraiment désolé. J'étais pressé et je n'ai pas fait attention...

L'adolescente haussa un sourcil.

- Comment tu t'appelles ?

Le garçon sourit.

- Luc, répondit-il en lui tendant une main chaleureuse. Et toi ?

- Qu'est-ce que ça peut faire ?

- Rien... Je demandais ça par politesse, c'est tout.

La jeune fille soupira en laissant la main de son partenaire en suspens.

- Emma-Rose, finit-elle par dire avec une pointe de mépris naturelle dans la voix.

- Alors, Emma, comment puis-je me faire pardonner ? demanda le grand brun, un peu gêné de devoir retirer sa main ballante.

- Minute ! arrêta l'étudiante sur un ton autoritaire. Seuls mes amis m'appellent comme ça. Et aux dernières nouvelles, on ne se connait pas !

- C'est vrai... Mais ça n'enlève rien au fait que j'ai envie de t'être utile. S'il te plait, dis-moi ce que je peux faire pour oublier cette histoire...

Emma-Rose examina le garçon plus en détail. Sans être beau, il cherchait au moins le repentir. Elle tenta de deviner ses véritables intentions - s'il en avait de plus sombres - mais ne sonda rien sur son visage tranquille et bienveillant.

- Je ne coucherai pas avec toi, lança-t-elle brusquement.

Surpris, son compagnon haussa les sourcils.

- Je ne te l'aurai pas demandée.

- Pourquoi ? Je ne suis pas bonne, c'est ça ? s'offusqua soudain l'adolescente.

Pris au dépourvu, le jeune homme resta stupéfait quelques instants.

- Si mon boule te plait pas, pourquoi tu m'as arrosée pour me forcer à me déshabiller ?

Luc cligna des yeux plusieurs fois, puis consulta les autres élèves qui les entouraient.

- Je n'ai jamais voulu profiter de toi ! balbutia-t-il enfin. La seule chose que je souhaite, c'est que tu ne me tiennes pas rigueur pour ce que j'ai fait !

La lycéenne poursuivit son inspection sans gêne. Lorsqu'une idée lui traversa l'esprit, elle sourit, presque enthousiaste.

- Tu veux que je te pardonne ?

- Oui !

- Alors achète-moi un autre tee-shirt.

A deux doigts de perdre patience, l'étudiant sentit ses muscles se raidir. Ses poings se refermèrent sur eux-mêmes et sa mâchoire se contracta. Pourtant, son humeur était si agréable qu'on pouvait croire à son indifférence devant une telle réclamation. Cette apparence suffit à satisfaire Emma-Rose qui, rêvant déjà à son prochain haut Levis, ne releva pas les manières bilieuses de son compagnon.

- Le même ? demanda-t-il placidement, après un ultime effort sur lui-même.

- Evidemment !

- Bien...

Luc fit craquer sa nuque puis reprit son air avenant.

- Tu l'auras le plus vite possible.

- Envoie-le au 33 rue Clément Blanc.

- Oh ! Mais je pourrai te le donner en mains propres !

- Non ! Si on se recroise, tu risques de m'envoyer autre chose à la figure !

La jeune fille jaugea à nouveau le garçon avec tout le dédain dont elle disposait, puis s'en alla comme une reine, sans un remerciement ou une parole aimable pour lui. Furieux, Luc se laissa enfin aller à sa colère.

- Ça, c'est tout à fait probable ! grogna-t-il en réponse à l'insolente.

Sentant son portable vibrer dans sa poche, il souffla profondément et décrocha en découvrant le nom de son collègue d'enquêteur sur son écran.

- Salut, Hector. J'allais justement t'appeler...

- Alors, t'en es où ? résonna la voix du téléphone.

- J'ai une peste sur les bras et un tee-shirt hors de prix à payer : c'est génial !

- Oh ! V'en conclus que fa f'est mal paffé ?...

Luc leva les yeux au ciel.

- En tout cas, elle est encore plus infecte que ce que j'imaginais. Elle pourrait même cocher toutes les cases de la coupable idéale...

- Mais ?

Le grand brun fronça les sourcils.

- Elle a l'air trop stupide pour tenir ce rôle.

- Ftupide ?

- Oui... Elle me semble trop vive et imprévisible pour être à l'origine de cette affaire. Je crois que, si elle avait été le numéro manquant, les flics l'auraient retrouvée depuis longtemps. La personne qui est derrière tout ça doit être plus fine et méthodique. Je suis presque sûr que cette dinde-là n'a que de la théorie dans le ciboulot, et que, face à une situation exigeant intelligence, précaution et discernement, elle serait totalement incompétente.

- Alors tu crois qu'on doit continuer à faire des referfes ?

- C'est essentiel. Mais je garderai un œil sur elle, on ne sait jamais.

- Dans fe cas, on paffe à l'étape deux ?

Un éclair fou traversa le regard de Luc.

- Oui. Interrogeons sa moitié...

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