- Tu crois qu'une arme est en jeu ?...

- Fe dont ve fuis fûr, f'est que la perfonne qui est à l'orivine de tout fa est facrément atteinte !

Luc croisa les bras, l'air soucieux.

- Est-ce que tu crois connaître l'identité de cette personne ?

Installé devant son ordinateur, Hector haussa les épaules.

- Fa pourrait être n'importe qui... Mais ve penfe qu'il ou elle fait partie de l'entourave de Fanny.

- C'est aussi mon avis, approuva son allié. Je pense que, de près ou de loin, elle connait cet individu.

Luc regarda le panneau d'affichage qu'ils avaient constitué. Il était couvert d'images, de photos et d'indices concernant l'affaire Rita-Lans. Il soupira, lasse.

- J'ai une théorie, mais tu risques de la trouver dingue, s'aventura-t-il après un moment.

- Ve t'écoute.

L'adolescent hésita, avant de se reprendre.

- Et si c'était Gatien Illys ?

Surpris, Hector écarquilla les yeux.

- Quoi ? Pourquoi ?

Le grand brun fronça les sourcils.

- Une intuition... Ce mec ne m'inspire aucune confiance.

Le second enquêteur soupira à son tour, mais de pitié.

- Parfe qu'il a un faible pour elle ?

- Exactement ! s'emporta son camarade. Pourquoi un type populaire s'éprendrait-il d'une fille que personne ne respecte ?

- V'en fais rien ! Compare fes fentiments avec les tiens et tu devrais comprendre !

Il y avait quelque chose de méprisant dans la voix d'Hector. Luc rougit et grimaça - comme offensé.

- C'est mon amie !

- Tu es valoux !

- Pas du tout !

Le garçon fantasque vint se placer devant le panneau d'affichage, punaisé contre un mur de sa chambre.

- Pourquoi tu te donnes autant de mal à la protéver dans fe cas ? F'est toi qui as voulu tout fa !

- Parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse ! s'énerva l'autre.

- Alors tu voues les fevaliers fervents par pure amitié ?

Le jeune homme costaud respirait comme un bœuf, peinant à satisfaire son compagnon trop curieux.

- Où est le mal à vouloir aider une bonne amie ?...

- Fi fette "bonne amie" avait des fentiments pour toi, qu'eft-fe-que fa te ferait ?

Luc resta pantois un court instant, puis se ressaisit.

- Je dirais que c'est n'importe quoi ! Fanny ne ressent rien pour moi !

- Qu'eft-fe-que tu en fais ?

Le plus grand des adolescents marmotta quelques paroles indistinctes avant de s'expliquer.

- Je crois... qu'elle aime cet Illys, dit-il d'une voix où perçait tout son mépris pour ce dernier. Elle est distante avec moi depuis qu'ils se sont embrassés. Je ne sais pas... J'ai l'impression qu'elle ne me voit pas comme moi je la vois... Enfin, je veux dire...

- T'inquiète, v'ai compris, s'amusa Hector. Et même fi ve fuis pas d'accord avec toi, ve peux favoir pourquoi tu t'inquiètes autant pour elle fi tu crois qu'elle ne t'aime pas ? ajouta-t-il en pointant du doigt la large pancarte.

- Je te l'ai dit... Eh puis, contrairement à Illys, je la soutiens et je l'aide. Lui ne pense qu'à assurer sa popularité. C'est pitoyable.

L'étudiant à lunettes se tut, préférant le silence à l'exaspération de son ami. A ses yeux, Luc parlait comme un amoureux éconduit cherchant désespérément à se faire aimer en retour.

- Hmm, fi on en revenait à l'affaire ? demanda-t-il pour rompre le malaise qui s'était installé entre eux.

- Excellente idée, lança l'autre, apaisé.

Hector sourit et se reconcentra sur le tableau. Les clichés de Fanny quittant le parc Loup Vert après la diffusion de l'article outrageant à son égard étaient présents. Des photos du commissariat et des agents de police en charge de l'affaire, ainsi que de sa famille et de son entourage en général, tapissaient également la planche. Enfin, des post-it étaient collés un peu partout sur celle-ci. Sur chacun d'eux étaient écrits un ou plusieurs mots clés qui liaient les évènements entre eux. Des flèches reliaient chaque image à divers indices concernant le ou la photographié(e) en particulier. Ainsi, le visage de Joris était rattaché à un article de presse décrivant la plus jolie maison de la ville avec, en prime, un cliché de ses charmants habitants ; mais également à un article moins élogieux, où le fils modèle avait été arrêté par la police pour consommation de stupéfiants avant d'être libéré sous caution. Le minois de Gatien était, quant à lui, joint à un article du journal du lycée. Fier, il soulevait la coupe du championnat régional de basketball, entouré par son équipe. Mais une autre chronique évoquant les dangers de l'alcool sur les mineurs le présentait totalement saoul, détruisant de fait son image de petit prodige de Marie Curie. Enfin, le plus grand mystère résidait dans le post-it "vidéo internet" fixé au-dessus des figures de Mathilde, Charlotte et Sophie, et d'une case vierge marquée d'un point d'interrogation. Le doux visage de Fanny, collé au centre de la pancarte, était associé à chaque portrait. Sa personnalité, aussi simple qu'introvertie, faisait d'elle une cible facile pour les délinquants prétentieux, et dangereux dans l'ombre. Sa bonté la rendait attaquable. Sa fragilité lui avait valu cette affaire. Son impuissance la tuerait peut-être un jour.

- J'ai déjà vu cette fille-là, dit Luc en désignant le cliché qu'Hector venait d'accrocher au tableau.

L'adolescente en question avait de longs cheveux bruns ondulés et des dents imposantes. Une pointe de malice brillait dans ses yeux marron. Sans être laide, elle n'avait aucun charme. Sa beauté relevait sans doute de son intelligence, mais la suffisance de son regard et la vanité de son sourire en faisaient certainement un être ignoble, très éloigné de la notoriété.

- Emma-Rove Jacques. Elle joue...

- dans la troupe de théâtre de Pia, se rappela le garçon musclé en voyant la flèche unissant les deux portraits. Fanny m'en a parlé. Je crois qu'elle a piqué le rôle de sa sœur ou quelque chose comme ça... Mais pourquoi l'avoir ajoutée au panneau ?

Le second investigateur retourna à son ordinateur et ouvrit la page où était réuni l'ensemble des visuels des caméras de vidéosurveillance de Marie Curie.

- V'ai un truc à te montrer.

- T'as piraté tout ça ? coupa Luc, époustouflé. Comment ?...

- La technolovie, mon pote ! Un petit infident pour finir dans le bureau du directeur et détourner fon attenfion, et le tour est voué !

- T'es un génie, Hector !

- Ve fuis furtout condamné à la privon fi la polife tombe deffus...

- T'inquiète pas, on fera gaffe, promit le grand brun en lui donnant une tape cordiale dans le dos. Alors, qu'est-ce que t'as trouvé ?

Le lycéen à lunettes ouvrit l'enregistrement d'un visuel datant de plusieurs jours. Il montrait deux personnes discutant dans un couloir vide.

- C'est pas vrai... suffoqua Luc en les reconnaissant.

- Et il y en a d'autres, lança l'analyste en faisant défiler des vidéos de plus en plus anciennes où les deux individus se rencontraient pour converser. Touvours au même endroit...

- C'est pas croyable... reprit son partenaire, totalement abasourdi.

- Tu comprends maintenant pourquoi v'ai avouté fon portrait à la pancarte ?...

Mais Luc ne l'écoutait plus, une séquence ayant particulièrement capté son attention.

- Reviens en arrière ! cria-t-il lorsque son coéquipier passa à l'enregistrement suivant.

L'informaticien s'exécuta. Son camarade plissa davantage les yeux.

- Qu'est-ce qu'elle reçoit ? demanda-t-il, plus pour lui-même que son acolyte.

- Ve fais pas, répondit l'adolescent à lunettes, pataud. V'ai pas l'impreffion qu'elle refoit quelque chove...

- Mais si... là ! tonna Luc en posant un doigt sur l'écran.

Hector plissa les yeux à son tour. Les deux personnes se touchèrent presque lorsqu'un objet circula rapidement entre elles.

- Tu peux agrandir l'image ?

Les garçons avancèrent la tête lorsque la scène leur parut moins floue.

- Est-fe que fe ferait...

- Des clés !

Les détectives se regardèrent, perplexes.

- Pourquoi des clés ? bredouilla le grand brun.

- Ve fais pas. F'est peut-être felles de fon cavier...

- Non... Observe leur visage... Il est grave, sérieux.

L'étudiant burlesque se tut. Son compagnon avait probablement raison. Les circonstances exceptionnelles donnaient à ces clés un caractère bien mystérieux.

- Alors qu'eft-fe qu'on va faire ?

Luc se redressa, tourna la tête vers le panneau d'affichage et fixa durement le portrait d'Emma-Rose.

- Pour approcher l'ennemi, il faut devenir son ami, dit-il en prenant la photo de la lycéenne et en la plaquant sur la case marquée du point d'interrogation.