Chapitre 92

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Mathilde ouvrit lentement les yeux. Un voile nébuleux brouillait sa vue et des voix incompréhensibles lui parvenaient de loin. Elle voulut se lever, mais impossible ; une masse écrasante et invisible lui empêchait de faire un seul geste. Une lumière au plafond l'aveuglait et lui donna bientôt le vertige. Elle commençait à fermer les yeux lorsqu'une main se posa sur son bras. Elle concentra son attention sur cette main jusqu'à ce que sa vue s'éclaircisse, et finit par reconnaître une femme, penchée sur elle et en pleine marche, dont les lèvres s'agitaient démesurément. Mathilde ne comprenait pas un traitre mot de ce que l'inconnue racontait, mais celle-ci ne semblait pas s'en formaliser. Elle se contenta de continuer à discuter dans le vide jusqu'à ce que les choses prennent sens pour l'adolescente. La lycéenne était sur un brancard, lui-même en pleine promenade, dans un hôpital. Quand son ouïe lui revint totalement, elle comprit que la personne qui l'accompagnait était médecin. Celui-ci lui demandait de "rester avec elle", lui assurant que tout se passerait bien. L'équipe médicale entra dans une pièce où Mathilde fut allongée sur un lit. Sa "sauveuse" prépara une aiguille qu'elle diriga ensuite dangereusement vers elle.

- Ne vous inquiétez pas. C'est juste un petit peu de morphine. Rien de bien méchant.

Alors l'adolescente perdit connaissance.

Lorsqu'elle se réveilla, son corps était tout engourdi et sa tête lui faisait mal. Ses doigts rencontrèrent les bandages qui entouraient son crâne, puis son ventre, violacé et recouvert de pensements. Finalement, elle parvint à se redresser et s'adossa à son oreiller avant d'examiner la salle. La doctoresse était toujours là, plongée dans un dossier, le visage sérieux et réfléchi. Ses traits se déridèrent lorsqu'elle aperçut la soignée, et elle s'approcha d'elle, un sourire étudié sur les lèvres. Elle s'enquit de l'état de sa patiente, fut heureuse de savoir qu'elle se sentait mieux qu'à son arrivée à l'hôpital, et inscrivit de nouvelles notes sur ses papiers déjà bien remplis. Elle reprit cette expression maternelle que Mathilde détestait tant, lui avoua qu'elle avait quelque chose d'important à lui dire - si elle était prête à l'entendre -, et s'assit à moitié sur le lit en soupirant. L'étudiante se crispa au nouveau contact de sa main sur son bras. Tout contact, depuis les attouchements de son père, lui était insupportable.

Son père... Qu'était-il devenu ? Était-il mort ? Était-ce ce quelque chose de si important et, semblait-il, de si "difficile" à révéler pour l'urgentiste ? Celle-ci pouvait-elle imaginer qu'une telle nouvelle ravirait Mathilde ? Et sa mère ? Qu'était-elle devenue ? Les flics l'avaient-il embarquée ? Ou attendait-elle à l'hôpital, rongée par l'inquiétude... ou le remords ?

Alors que les questions s'accumulaient dans son esprit, la jeune fille sentit soudain une violente douleur lui contracter l'estomac, et elle se replia sur elle-même dans un hurlement déchirant. La praticienne lui prit les deux mains lorsque la crampe fut passée, et la fixa, non sans pitié.

- Qu'est-ce que j'ai ? s'écria l'adolescente, en sueur.

- Mathilde, écoutez-moi attentivement... Il faut que vous m'écoutiez...

- Dites-moi !

- Il faut que vous vous calmiez ; c'est essentiel.

- Je suis calme ! Parlez !

- Non, vous n'êtes pas calme. Respirez.

- Bon sang mais vous allez cracher le morceau ? Qu'est-ce qui se passe ?!

La doctoresse soupira, lasse, et se confessa.

- Voilà... En vous opérant tout à l'heure, j'ai dû vous faire une prise de sang et...

- Et quoi ? fit la patiente, les yeux grands ouverts et le cœur palpitant.

Le médecin souffla profondément.

- Et le résultat est sans appel... Vous êtes tombée enceinte.

Un silence affreux s'abattit dans la salle. Mathilde était pétrifiée, ses sens l'ayant à nouveau abandonnée. La soignante, elle, s'agitait sur le lit, mal à l'aise.

- Je me doute que cette nouvelle est un choc pour vous... Vous devez être terrifiée, dit-elle en voyant la créature inerte. Et c'est normal... Il y a des spécialistes, vous savez ? Ils peuvent vous aider... Et vous serez placée sous protection judiciaire pour que cet homme ne vous touche plus jamais. Les ordres ont déjà été donnés.

La lycéenne retrouva la parole, alarmée.

- Non ! Ça le rendra fou ! Il me retrouvera et me fera encore plus de mal !

- Mathilde, il est hors de question que vous restiez avec cette brute ! insista la généraliste. Il finira par vous tuer.

- Et la chose dans mon ventre ? s'enquit la jeune fille d'une petite voix.

- Le fœtus est mort. Il n'a pas résisté aux coups de votre père.

L'étudiante plaqua une main sur sa bouche et explosa en sanglots.

- Seigneur... Pourquoi moi ?

- Je ne peux que deviner ce que cette ordure vous a faite, dit la doctoresse en jetant un oeil vers la robe déchirée de l'adolescente. Ça fait longtemps que ça dure ?

- Plusieurs semaines, lança la patiente, toujours bouleversée.

- Et c'était lui le responsable ?... Aucune "chance" que le... enfin... que vous ne soyez tombée enceinte de quelqu'un d'autre ?

Mathilde secoua la tête en reniflant avant de se remettre à pleurer.

- Vous croyez vraiment qu'un autre garçon aurait pu me toucher après ce qu'il m'a fait ?

- Je suis désolée...

- Je veux mourir...

- Ne dites pas ça. C'est exactement le genre de choses que ces personnes attendent de leur victime.

- Vous voulez dire : les violeurs ?

- Oui. Des monstres sans âmes.

Dévastée, la lycéenne regarda à nouveau son abdomen couvert de bleus. Son corps n'était plus qu'une bouillie purulente et des cicatrices lacéreraient ses membres pour toujours - lui rappelant sans cesse ce triste épisode de sa vie. Ses lèvres tremblèrent face à ce constat et ses joues étaient tout humides. Elle leva des yeux exorbités vers sa soignante et hocha la tête.

- D'accord. Mettez-moi sous protection judiciaire, mais que ce fumier pourrisse en taule !

- Il est en salle de réveil, lança le médecin sans ciller. Il a reçu une balle dans les côtes et a été opéré en urgence. Des policiers sont venus chercher votre mère...

- Elle m'a sauvée la vie ! protesta Mathilde. Ne l'enfermez pas !

- Cela n'est pas de mon ressort.

- Et lui ? Il va s'en sortir ?

- Il a survécu à l'opération. Seulement, une fois dehors, ce sont d'autres dangers que la mort qui l'attendent.

La jeune fille prit un air grave.

- Promettez-moi qu'il ne m'approchera plus jamais.

- Je suis certaine que les forces de l'ordre s'en occupent déjà.

- Je ne veux pas avoir à faire aux flics ! s'écria l'adolescente, le rouge aux joues.

- Pourquoi, Mathilde ? fit la praticienne, interdite. Est-ce que l'un d'entre eux vous aurait touché ?

- Non... bredouilla l'étudiante. Mais je ne leur fais pas confiance.

- Allons, ne soyez pas inquiète. Ils savent ce qu'ils font. C'est leur travail de protéger les victimes de viol.

La lycéenne qui, pour rien au monde, n'aurait souhaité avancer la main vers la femme, agrippa le col de sa blouse et le tira à elle de toutes ses forces .

- Jurez-moi une chose, dans ce cas... Que l'agent Valcrome ne prenne pas en charge mon dossier !

L'urgentiste suffoqua. Elle chercha à repousser sa patiente, sans résultat. L'agresseuse avait une poigne d'enfer pour un corps aussi affaibli.

- L'agent quoi ?... De quoi parlez-vous ? lança la doctoresse entre deux souffles.

- Je parle d'un homme qui veut ma peau depuis des mois et qui l'aura s'il s'intéresse à cette affaire. Qu'il y jete un oeil et mon arrêt de mort est signé !

- Je ne comprends pas un mot de ce que vous dites !...

- Assurez-vous que ce policier reste loin de ma famille ou ramenez-moi chez moi. Ça vaudra mieux.

- Vous êtes folle, balbutia la généraliste, en train d'asphyxiée.

- Je suis une survivante, répliqua Mathilde, les dents serrées. Que tous les autres ignorent que mon père me baise et mon honneur sera sauf !

- Lâchez-moi !... Ou je vous piquerai !

- Comment ? ricana l'adolescente avant que la rage ne s'empare de ses traits. Je ne connais pas grand-chose à la médecine, mais je sais que vous ne révélerez mon secret à personne. Vous avez prêté un serment en devenant doctoresse.

- Le serment d'Hippocrate... Mais je n'ai jamais eu l'intention de faire part de votre situation à quiconque !

- Je vous le conseille... Et vous vous tairez à propose de Valcrome !

- Bien, bien... Lâchez-moi, maintenant ! Je n'arrive plus à... respirer.

Son bourreau s'exécuta et la renvoya brutalement en arrière. La praticienne manqua de tomber par terre, puis porta la main à sa gorge en fixant sa patiente avec effroi.

- Vous allez appeler le commissariat et vous leur parlerez de mon cas. Vous leur recommanderez une agente pour s'occuper de mon affaire car vous m'aurez diagnostiquée une phobie pour tout ce qui se rapporte à la gent masculine, à commencer par les questions intimes. En attendant, ma mère ne doit s'adresser à personne. Qu'elle demande un avocat, c'est son droit de garder le silence... Est-ce que c'est clair ? Vous vous occuperez de tout ça durant ces cinq prochaines minutes ?

Le médecin déglutit et hocha la tête.

- Dans ce cas, qu'est-ce que vous attendez ? Prenez votre téléphone !

La soignante revint à elle, prit son mobile et frémit en composant le numéro du commissariat. Quant à la souffrante, elle quitta son lit en couinant, sous le regard aussitôt affolé de l'urgentiste.

- Restez où vous êtes ! Vos pansements vont se déchirer !

Mais Mathilde ne l'écoutait plus. Elle mit les deux pieds à terre, se leva en se retenant de hurler, se tint à la barre où pendait sa poche de morphine, la décrocha, et se jeta brusquement sur la petite table en acier où se trouvaient quelques instruments médicaux. La doctoresse cria lorsque l'adolescente s'empara de la seringue la plus longue, et se colla au mur du fond, sûre d'être sa proie. Mais la jeune fille se contenta de sourire en voyant le liquide remplir la large pompe, et fit gicler l'aiguille en poussant un petit rire diabolique. Puis elle toisa la créature terrorisée en lui présentant sa nouvelle arme.

- Vous, vous appelez les flics. Et moi, je vais tuer ce fils de pute.

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