Chapitre 74

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- Alors tu t'es réconcilié avec Fanny ?

- Oui, répondit un grand brun avec assurance. Qu'y-a-t-il d'étonnant à ça ? C'est mon amie.

Hector se garda de dire un mot de plus, et laissa Luc reprendre la conversation.

- Elle a si bon cœur que je ne pouvais pas rester en conflit avec elle plus longtemps, expliqua ce dernier. Vraiment, ça me faisait trop mal de ne plus la voir et de ne plus lui parler.

- Oui... A ce propos, pourquoi vous aviez arrêté de vous voir ?

Luc tressaillit et esquissa une moue qui n'échappa pas à son confident.

- Un quiproquo... Enfin, à ce que j'ai compris.

Le silence qui s'installa entre les camarades était glaçant. Non que Luc s'offusquait de la curiosité d'Hector, mais la discussion agréable qu'ils avaient entretenue jusque-là était en train de dériver sur un sujet qui lui déplaisait autant qu'il l'embarrassait. La simple image de Gatien embrassant Fanny lui était insupportable. Et il n'appréciait pas que l'on fasse référence, de quelque façon que ce soit, à ce gâteux stupide, insolent et méprisable. Humilier Fanny en la bécotant devant une assemblée malveillante à son égard était indigne. Gatien Illys écœurait et révulsait son opposant, qui ne pouvait le voir ou entendre parler de lui sans pester sur son caractère et désirer qu'il n'ait jamais existé. Il en avait fait son ennemi numéro un depuis cette fête d'anniversaire où Gatien les avait précipités, Fanny et lui, dans la tanière du loup.

Tout cela rappelait à Luc ses dernières années scolaires - des années qui avaient fait de lui l'adolescent débrouillard et prudent qu'il était aujourd'hui. Les personnes malintentionnées, il les connaissait déjà. Elles se comportaient toujours de la même manière, crachant sur les couards et critiquant les timides. Leur intellect se limitait souvent à quelque stratégie morbide pour mortifier leur victime. La chasse devenait alors leur activité favorite - bien qu'elle ne concernât jamais un animal, mais l'être qu'elles avaient en horreur. Elles lui couraient après, puis le conduisaient à un endroit isolé. Là, elles accrochaient une corde à l'un de ses pieds, hissaient cette corde à la branche massive d'un arbre, et l'enroulaient de sorte qu'elle ne puisse s'en détacher. Le souffre-douleur gémissait, s'empourprant à mesure que le sang lui montait à la tête, et s'agitait en l'air comme un idiot, suppliant ses harceleurs - hilares - de le relâcher. Comment Luc connaissait-il ces faits et gestes ?... En en ayant souffert.

Il s'était attaché à Fanny car elle lui rappelait l'enfant maladif et hagard qu'il était au collège. Et peut-être pour d'autres raisons encore...

Au lycée, il avait fini par gagner un peu en confiance en soi. Il se confondait comme il pouvait dans la foule, jouissant cependant d'une musculature nouvelle et naturelle qui lui donnait du charisme et repoussait les oppresseurs bien connus. Malgré cela, il se sentait plus seul que jamais. Ses vieux démons le hantaient, et il ne pouvait voir une main tendue que comme un piège diabolique et une intention malsaine. Il passait ses récréations dans les toilettes ou les coins les plus retranchés de l'établissement. Il ne souriait jamais, sauf sur la photo de classe où il y était forcé. Après une année de désintérêt total pour ce qui l'entourait, son état d'ermitage le lassa, et il tenta d'ignorer les voix mauvaises qui lui insufflaient de retourner à sa solitude - seule compagne en laquelle il avait une entière confiance - pour se faire des amis à la rentrée. C'est là qu'il rencontra le chétif Billy Thompson ; brave petit anglais, aussi solitaire et introverti que lui, si ce n'est plus. Mais Luc finit par retrouver ces vieux démons, et, suite à plusieurs mois de combats contre lui-même, se défit de cette amitié. Il ne chercha pas à la regagner, bien que Billy fût le seul être qui ne l'ignorât jamais au lycée, et quitta la ville durant l'été, lorsque son père fut muté dans la région où Fanny étudiait.

A Marie Curie, il n'avait formulé aucune espérance quant à l'idée de se faire de nouvelles connaissances. Puis Hector avait pris place à sa table dès le premier cours, et il avait entendu - sans écouter - les bavardages incessants du siffleur invétéré. Il s'était longtemps retenu de souffler, supportait sa présence avec patience mais difficulté, et, après lui avoir finalement demandé ce qu'il attendait de lui, fut surpris du ton sans méchanceté avec lequel Hector expliqua vouloir devenir son ami. Luc ne l'empêcha pas de s'attacher à lui, mais le temps seul finit par rendre cet attachement réciproque. Aujourd'hui, il considérait Hector avec sympathie, même si certaines de ses manières, sans compter ses accoutrements osés, l'exaspéraient et le faisaient se sentir ridicule auprès des autres qui, de leur côté, se contentaient de pouffer en les voyant. Il était sûr que l'on ne s'attaquait jamais à Hector pour la simple raison que celui-ci l'accompagnait un peu partout et le plus souvent possible, car Luc, qui ne finissait jamais de grandir et de gagner en force, en imposait. On le traitait "d'ours rustre" - une image qui, forcément, intimidait. Pourtant, si les gens apprenaient à le connaître sans se laisser aller à ce type de préjugés rebuffant, ils le respecteraient sûrement davantage (de ce même respect que lui portait Fanny).

Fanny : la fille qui obnubilait ses pensées... Pas seulement parce qu'il voulait donner une leçon à Gatien Illys - l'incarnation même de ces "starlettes écolières" qui l'avaient tant fait souffrir et dont il se promettait bientôt revanche et réparation - en accaparant l'objet de son désir le plus intime et le plus profond pour mieux l'anéantir ; mais parce qu'il avait certains desseins pour elle. Elle était une gentille fille, pleine de douceur et d'attentions, au point qu'il comprenait l'affection que Gatien lui portait - lui-même éprouvant des sentiments à son égard. Elle était captivante, parfois mystérieuse, mais jamais désagréable. Des qualités que l'on a tendance à sous-estimer pour d'autres, pourtant moins salutaires...

Luc s'était penché sur les raisons qui avaient conduit à leur séparation. Que représentait réellement Fanny à ses yeux ? Le détachement qu'il avait vécu avec Billy se reproduisait-il, et si oui, pourrait-il supporter une seconde rupture permanente ? Un mois avait été nécessaire pour faire le tri dans ses idées. Toutes sortes de voix avaient accompagné ses pensées, et il avait eu bien du mal à les départir pour les comprendre. Maintenant, il s'était remis de ses doutes et de ses peurs, et se sentait parfaitement heureux d'avoir repris contact avec l'adolescente. Il savait qu'elle accepterait de renouer avec lui, parce que, comme lui, elle manquait de compagnie. Et puis, il était Luc. Aussi sensibles que les charmes de Gatien pouvaient avoir sur elle, ceux du grand brun musclé ne la laissaient pas indifférente non plus. Et celui-ci se réjouissait que l'enfant chéri de Marie Curie, ne puisse jamais espérer quoi que ce soit de plus que quelques cordiales et secrètes courbettes à l'adresse de l'étudiante. C'était là tout le ridicule de sa situation. La popularité l'avait condamné à une vie sans amour - ou du moins, sans l'Amour. Luc ne doutait pas qu'il enviait quelques fois sa position - le grand brun étant un inconnu pour une grande part des lycéens. Et dans ces cas-là, lui n'enviait rien à la situation de Gatien.

Fanny était une lumière dans l'obscurité. Inaccessible pour Gatien. Utile à Luc. Elle éclairait le chemin de ce dernier lorsqu'il se sentait perdu, et le conduisait peu à peu vers ce qui en serait le bout. Alors le garçon savait que le suspense prendrait fin, et que leur cœur s'ouvrirait l'un à l'autre.

Ainsi fallait-il espérer que, pour une fois, les choses tourneraient en faveur de Luc Asvaldi.

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