Chapitre 72

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- On doit la sortir de là. 

Charlotte faisait les cent pas dans une des toilettes du lycée, tandis que Mathilde, appuyée contre un lavabo, l'observait avec inquiétude. 

- Pourquoi ? osa celle-ci après une courte hésitation. Maintenant, on est tranquilles.

Charlotte releva la tête. Son visage exprimait l'effroi qu'une pensée aussi méprisable pouvait inspirer. Quant à ses cheveux hirsutes et ses cernes sous les yeux, ils révélaient un manque de sommeil évident depuis plusieurs jours. Mathilde dissimulait bien mieux son agitation, et l'attitude de son amie l'intriguait. Sophie était peut-être une bonne camarade, mais son arrestation n'expliquait pas un tel bouillonnement. Comment Charlotte n'avait-elle pas pu y voir la résolution de leurs propres problèmes ?

- Tu crois ça ? lança cette dernière, le regard noir et le souffle court. J'en suis pas si sûre.

La jeune fille passa une main dans sa chevelure étonnamment grasse, puis soupira avec émotion. Ses yeux embués de larmes et ses lèvres pincées ne laissaient aucun doute quant à ses craintes d'être à nouveau interpellée par la police. 

- Dire que Sophie va prendre à notre place... 

Mathilde s'approcha de sa compagne et lui ouvrit les bras. Hostile, Charlotte ne s'y blottit pas. Il était clair qu'elle avait mal pris les propos de la jolie brune. 

- Ecoute, annonça celle-ci, pour l'instant, on ne peut rien faire pour elle. Elle a pris une décision et en paye maintenant les conséquences. Je ne dis pas que ce n'était pas hâtif, mais à quoi bon se rendre à nouveau accusable maintenant que les charges contre nous sont soulevées ?

- Les keufs sont pas cons, répliqua l'autre. S'ils retrouvent la vidéo, je sais pas ce qu'on deviendra. Et ils la retrouveront. En plus, les charges contre nous n'ont pas été totalement soulevées. Je te rappelle qu'on n'a plus le droit d'aborder l'Affreuse sous peine de mise en cellule... Ah, l'Affreuse... A chaque fois que je la vois, je me retiens de lui refaire le portrait... même si je suis pas sûre que ça changerait quelque chose à sa face de lépreuse. 

Mathilde garda le silence, pensive.

- Tout ce que je dis, c'est que temps qu'on ne sera pas rappelées, il n'y a pas de raison pour qu'on retourne au commissariat. 

- T'es égoïste, grogna Charlotte. T'as pensé à Sophie ? On a notre part de responsabilité dans cette histoire !

- Oh, je t'en prie ! protesta Mathilde en enlevant sa veste, en sueur. Si tu t'imagines que le monde doit se réaliser selon tes vœux, c'est que t'es complètement à côté de la plaque ! Oui, tout ça est cruel. Certains tombent quand d'autres se relèvent. C'est peut-être triste, mais c'est la vie. Excuse-moi de t'apprendre comment elle fonctionne !

Les deux amies continuèrent de se fustiger, se montrant de plus en plus agressives.

- T'étais contente de plonger la tête de l'Affreuse dans les chiottes ! Mais dès que tu t'es retrouvée sur la liste rouge, t'as fait les beaux yeux et t'as fermé ta gueule quand on te demandait des explications !

- Dit-elle ! explosa Mathilde d'un rire gras et sonore. Tu veux me faire la morale, mais t'es qui pour me parler d'amitié et de loyauté ? Je crois pas que t'aies répliqué quoi que ce soit au fait que les flics nous aient foutues dehors sans Sophie à ce moment-là ! Qu'est-ce qui a changé entre-temps ?

- Ce qui a changé ?! C'est que j'ai fini par me remettre d'avoir été menottée par une hétéro coincée qui m'a menacée de me foutre en taule alors que tout ce que je voulais, c'était me barrer de ce commissariat de merde ! 

- Hein ?...

- Non, rien, rougit Charlotte, prenant conscience de l'importance de ses mots. J'ai eu une mésaventure et ça m'a bouleversée sur le coup, bredouilla-t-elle. 

Mathilde ne comprit pas ce changement de ton, mais se contenta de hausser les sourcils.

- En tout cas, il faut que...

Quelqu'un ouvrit la porte des WC alors que les deux adolescentes s'étaient assuré être seules jusque-là. L'arriviste s'était permis d'entrer comme si elle avait été invitée à le faire, et, malheureusement pour elle, n'eut pas tôt fait de l'ouvrir qu'elle se prit le battant en pleine face et s'enfuit, apeurée. Mathilde tenait encore la main sur l'accès quand elle retourna la tête vers sa compagne qui croisait les bras. La tension semblait s'être adoucie. Charlotte fixait quelque chose, et Mathilde suivit son regard. En tendant brusquement le bras, son petit haut s'était soulevé de quelques centimètres sur le côté, laissant sa peau nue à découvert, et ses bleus tournant sur le violet, apparents. La belle brune tressaillit sous l'expression troublée de sa camarade, puis se rhabilla de sa veste et réadopta sa pose habituelle, bien que difficilement calme. Elle n'avait pas pris autant de précautions pour cacher les marques des agressions que lui infligeaient régulièrement son père sur les parties visibles de son corps, que sur ce que devait dissimuler ses vêtements. Elle s'en mordit les doigts lorsque Charlotte la questionna.

- C'est quoi ça ? fit-elle en tendant un doigt vers la plaie recouverte.

- Rien du tout, sourit Mathilde avec gêne.

- Comment tu t'es fait ça ? continua l'enquêtrice. 

La jeune fille brune comprit l'inutilité de persister sur l'inexistence d'un bleu suffisamment perceptible, et changea de stratégie.  

- Je suis tombée dans les escaliers, chez moi. C'est idiot, donc si tu pouvais n'en parler à personne...

Charlotte émit un bruit sourd, peu convaincue, et se permit une grimace. 

- Ton père te frappe ? interrogea-t-elle subitement. 

Mathilde frémit. Comment ?... Comment son amie pouvait-elle deviner cela ? Son paternel était-il si inquiétant aux yeux des autres ? 

- Qu'est-ce que... commença-t-elle, tremblante.

- Je connais ce genre de marque. J'ai déjà vu ça, expliqua Charlotte d'une voix étrangère. 

Il y eut un silence horrible durant lequel Mathilde ne trouva rien à dire.

- Je t'assure que tu te trompes lourdement, peina-t-elle enfin à rétorquer. 

- Je ne pense pas, non, assura l'arrogante Charlotte en plissant les yeux pour chercher d'autres bleus sur la peau de son amie. Il te tape souvent ? ajouta-t-elle nonchalamment en reconnaissant quelques marques dissimulées au mieux par le maquillage de la victime.  

- Non, non, non ! persista durement la belle brune.

Charlotte réfléchit un instant. 

- Tu devrais appeler un numéro d'urgence. 

- Non ! se trahit Mathilde, terrifiée par cette perspective.

- Si ton père te fait du mal, tu dois le dénoncer.

- Ne... Ne parle pas de ce que tu ne connais pas...

- Très bien... Dans ce cas, c'est moi qui le ferai.

La jolie brune laissa échapper un hoquet horrifié. 

- Je te l'interdis ! 

- Ah bon ?

- Oui ! Ça ne te concerne pas !

- Désolée, mais je ne veux pas avoir ton cadavre sur la conscience. Si tu ne le fais pas, je le ferai.

Une bouffée de colère s'empara soudain de Mathilde, qui explosa.

- Tu vas la fermer aussi longtemps que je te le demanderai, ou je peux t'assurer que tu le regretteras amèrement.

Charlotte leva un sourcil.

- Tu me menaces ?

- Je te préviens.

- Et qu'est-ce qui pourrait m'effrayer au point d'être obligée de me taire ?

- Eh bien... j'ai cru comprendre qu'on avait toutes un secret assez gros pour tomber. Tu ne voudrais pas que le tien soit révélé ?

La jeune fille blonde se décomposa.

- Tu bluffes... Tu ne sais rien, balbutia-t-elle.

- Tu crois ?...

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