Chapitre 70

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- Pourquoi est-ce que c'est si long ?

- Ça ne fait que quelques jours, Fanny.

- Mais ils n'ont pas de logiciels pour ça ? Ça devrait déjà être fini !

- Arrête de regarder la télé. Ces américains vont finir par te bouffer le cerveau.

Fanny et Amandine se promenaient dans le parc florissant de la ville. Les joggeurs les dépassaient, écouteurs aux oreilles, tandis que les mères de famille discutaient sur les bancs, leurs bambins s'amusant sur le chemin sablonneux. Il ne faisait pas très beau, l'air était frais, mais la marche essentielle pour Fanny. Elle avait besoin de ce moment extrascolaire pour discuter avec son amie. La seule personne qui pouvait l'aider à comprendre ce qui lui échappait, et la tourmentait. Ces conversations gravitant autour de Sophie déplaisaient à Amandine, mais Fanny était chère aux yeux de celle-ci, et se trouver dans la confidence avait du bon. Cela permettait de renforcer leur lien, car à l'instar de Fanny, Amandine avait peu d'amis. Aussi écouta-t-elle patiemment les inquiétudes de l'autre adolescente, et s'efforça-t-elle plusieurs fois de donner son avis sur le sujet.

- Je sais pas pourquoi elle a fait ça, répondit-elle alors que sa camarade formulait une énième hypothèse sur les raisons qui avaient poussé Sophie à se déclarer seule coupable des harcèlements dont Fanny avait été la victime. Et tu ne peux pas deviner ses mobiles.

- Pourquoi pas ? lança l'autre jeune fille, agitée au plus haut point depuis le début de l'enquête. Mathilde et Charlotte se pavanent dans les couloirs du lycée sans paraître affligées par la situation. Ou du moins, elles n'en montrent rien. Au contraire, on les sent presque soulagées.

- Tu m'étonnes. Elles ont failli se faire enfermer, elles aussi.

- Failli, oui. Mais ce n'est pas arrivé.

Amandine s'arrêta, sortit son paquet de tabac, et se roula une clope. Ses cheveux roses, aux mèches orangées, dansaient dans le vent, lui donnant un air encore plus rebelle qu'à l'accoutumée. Elle fronçait les sourcils, absente.

- Tu sais pourquoi j'ai si peur qu'ils ne retrouvent pas la vidéo ? bruit Fanny. Parce que si Sophie est vraiment derrière tout ça, ce dont je doute fort, mais tout de même, elle sera relâchée.

- C'est un des inconvénients de la démocratie. On a besoin de plus que de simples aveux pour qu'un criminel finisse en taule. En plus, on n'a pas le droit à la torture, pfff... Enfin, si, comme tu le penses déjà, Sophie n'a pas plus à se reprocher que Mathilde et Charlotte, c'est que cette affaire est loin d'être classée. L'arbre qui cache la forêt, tu connais ?

Fanny acquiesça, soucieuse.

- Eh bien, c'est peut-être ce que tu vis maintenant, reprit Amandine.

Seuls les bruits environnant venaient rompre le silence qui s'était installé entre les deux filles.

- Tu crois qu'elles paieront pour ce qu'elles ont fait ? demanda soudain Fanny, la voix triste, le regard voilé.

Elle pensait à la professeure qui lui avait dit ces mots ; mais, à son plus grand regret, son amie se contenta de souffler en haussant les épaules.

- Je crois que Sophie est dans de sales draps. Mais si les flics retrouvent la vidéo, elles seront toutes les trois ré-interpelées. Quelle que soit la version de Sophie à l'avenir, les images et le son devraient suffire à ne pas écarter le rôle de Mathilde et Charlotte dans cette histoire.

Elle se tut, réfléchit, et poursuivit, une lueur maligne dans les yeux.

- Il y a quelque chose qui pourrait appuyer la vidéo de cyberharcèlement...

- Quoi ?

- L'histoire de ta dent.

Fanny passa instinctivement ses doigts sur ses dents de devant, et pâlit, comme si on allait de nouveau lui en arracher une.

- Hors de question ! dit-elle sèchement.

- C'est la meilleure chose à faire. Je sais que tu n'aimes pas en parler, mais ce serait un témoignage de plus pour faire tomber les filles. Et si tu allais voir ton médecin, lui expliquais la situation et lui demandais...

- J'ai dit : NON ! écorcha brusquement Fanny, qui dut alors faire face à la moue vexée d'Amandine.

- Je ne te comprends pas. Tu tiens absolument à ce qu'elles soient punies pour leurs crimes. Tu portes plainte contre elles pour la vidéo. Mais tu ne veux pas parler de la façon sanglante dont elles ont démoli ta dentition ?! Sans compter les coups qu'elles t'ont infligés, les rumeurs qu'elles font courir sur toi à Marie Curie, et les insultes ignobles qu'elles inventent tous les jours.

- Je ne m'en sors pas si mal. Et puis, on ne peut pas comparer les deux situations. Contrairement à la vidéo, peu de gens sont au courant pour ma dent arrachée. Et je ne veux pas ajouter ça aux histoires affreuses auxquelles on m'identifie déjà.

- Mais si tout ça finit devant le tribunal ?

Fanny baissa les yeux, mal à l'aise.

- Je n'ai jamais voulu déclencher tout ça. C'est ma mère qui a pris cette initiative. Mais maintenant que les choses sont en cours, je ne peux pas supporter l'idée d'être perdante dans cette affaire. J'ai trop souffert pour ne pas avoir droit à ma revanche aujourd'hui. La seule chose que je refuse de faire, c'est rendre public ce que je peux encore cacher. Ce serait trop dur d'en parler. Trop dur de perdre ce qui me reste de dignité.

- Et tu ne crois pas que c'est pire de l'étouffer ?

- Non.

Fanny s'immobilisa, l'air grave.

- Tu m'as fait une promesse, Amandine. Celle de ne révéler cette histoire à personne. Et je voudrais que tu me la répètes.

L'autre adolescente hésita, inquiète, puis plongea ses grands yeux noirs dans ceux, plus clairs, de sa camarade. Fanny était de bonne nature, mais Amandine sentait que cette enquête lui était nocive. Elle voulait l'aider, de quelque façon que ce soit, et acquiesça.

- Je te jure que je ne dirai rien.

Fanny esquissa un léger sourire, remercia sa compagne, et toutes deux reprirent silencieusement leur route. Une minute plus tard, une femme les bouscula de plein de fouet, ne s'excusa pas, mais s'éloigna en poussant le juron : "Alex, t'es vraiment qu'un pourri."

- Il y a des cons qui, non seulement passent une sale journée, mais en font profiter les autres, grogna alors Amandine.

Fanny ne put s'empêcher de rire.

- Il faut croire que d'autres sanguins existent, taquina-t-elle.

Amandine rouspéta encore, mais son amie n'y prit pas garde. Elle observait les nuages qui les surplombaient, et sentit son cœur se serrer en repensant à l'affaire judiciaire dans laquelle elle s'était, malgré elle, engagée. Elles quittèrent le parc, gagnèrent l'arrêt de bus le plus proche, et repartirent ensemble. Amandine sortit la première de l'autocar, laissant Fanny à ses réflexions, ou à sa fatigue soudaine. La tête appuyée contre une fenêtre, la jeune fille somnolait, et la radio du véhicule ne lui parvenait qu'en bruit de fond. Au moment où elle crut entendre les mots "pistolet" et "parc Loup Vert", elle arrivait à son arrêt. Elle descendit, ne faisant pas attention aux exclamations de surprise qui emplissaient le bus, et marcha lentement en direction de son foyer. Elle entra dans la maison, s'affala sur une chaise de la cuisine, et soupira.

- Il s'est passé quelque chose au parc ? s'étonna Madame Rita-Lans qui préparait le repas.

- Non, non. Rien de spécial.

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