Chapitre 65

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- Allons-y.

Gatien avala son dernier shot, posa le verre vide à côté des autres, et se tourna vers la jeune femme qui patientait sur le tabouret voisin. Il lui lança un sourire ravageur, prit sa main, et se leva malgré sa défiance. Elle le regardait avec inquiétude, comme s'il n'avait plus toute sa tête - ce qui, d'une certaine façon, était vrai. Elle insistait pour qu'il se rassoit, prétextant vouloir discuter plus longtemps. Mais le garçon voyait ses airs de mère effarouchée, et cela l'ennuya.

- Tu veux plus le faire, ou quoi ?

La fille s'agita sur son siège, mal à l'aise.

- Je ne pensais pas que tu serais dans un tel état. Tu as l'air si...

- Quoi ?

Elle baissa la tête, rouge de honte.

- hmm... agressif.

- Agressif ? Moi ?! s'emporta l'étudiant.

Les clients tournaient la tête vers eux, attirés par le bruit.

- Je... Je... bégaya la fille, gênée d'être devenue une attraction pour tous.

Elle se tut, quitta sa chaise, et s'enfuit sans prévenir. Bredouille, Gatien ne tenta pas de la retenir, mais se rassit à la table et patienta jusqu'à ce qu'un barman vienne à lui. Il commanda un autre shot.

- C'est pas une bonne idée, se permit le serveur.

- Tom, je t'ai pas demandé ton avis, lança sèchement le garçon.

Le dénommé Tom jeta un œil à l'un de ses collègues - qui n'était autre que Joseph. Ils acquiescèrent, l'air grave, puis Tom se retourna vers l'adolescent.

- La vente d'alcool est interdite aux mineurs, chuchota-t-il.

Le lycéen plissa les yeux, puis souffla.

- Oh non, me fais pas ça...

- Désolé, Gatien. Mais t'es pas dans ton état normal... D'ailleurs, j'aimerais que tu me donnes les clés de ton scooter.

L'étudiant fut pris d'un rire nerveux. Il passa une main prétentieuse dans sa chevelure indisciplinée, et commença à se lever lorsque le garçon de café changea de ton.

- Ne me force pas à me répéter.

Gatien regarda Joseph, qui ne semblait pas plus conciliant. Les sentant prêts à fondre sur lui s'il faisait un pas de plus, comme deux agents du GIGN, il posa finalement ses clés sur la table, dégoûté. Tom s'empara rapidement du trousseau, puis fixa tristement l'adolescent.

- T'as des ennuis en ce moment ? interrogea-t-il tout en attrapant un torchon et un verre vide.

Gatien observa le geste de son ami, l'air absent. Celui-ci nettoyait le récipient d'une façon captivante, presque élégante. C'était un spectacle. De l'art aussi simple que complexe.

- Non, fit le jeune homme tout en jouant avec l'un de ses propres verres.

- Ah bon ? reprit le loufiat.

- Non.

- ... D'accord.

Silence.

- De toute façon, c'est pas important.

- Dis toujours.

Le lycéen soupira. Il avait, à ce moment précis, un besoin irrépressible de se confier.

- Ma mère est revenue en ville.

Tom haussa les sourcils.

- Quand ?

- Vendredi matin. Et elle est repartie dans la soirée.

- Ce soir ?

- De vendredi.

- Ah.

Nouveau silence.

- J'en conclus que ça s'est mal passé, reprit le serveur.

Gatien se tut. Il n'avait pas à répondre à cela.

- Alors c'est pour ça que tu te bourres la gueule depuis une semaine ?

Troisième silence (plus court).

- Ouais, émit le garçon.

- Ah...

- Quoi ?

- Rien.

- Crache.

- Ben, je pensais...

- Quoi ?!

- Il n'y aurait pas une autre raison ?... Genre, une fille ?

L'étudiant perdit toute couleur.

- Hein ?... Qu'est-ce qui te fait dire ça ? bredouilla-t-il, pris de court.

Le barman afficha une expression amusée.

"Touché".

- C'est monnaie courante par ici, expliqua-t-il. Beaucoup de personnes viennent se morfondre dans l'alcool à cause d'un amour perdu.

Gatien grimaça.

- Ou impossible...

Le serveur arrêta son mouvement, et dévisagea le lycéen, cherchant sûrement à connaître ses secrets.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

L'adolescent manqua de faire tomber son récipient.

- Oh... Pas grand chose.

- Laisse-moi deviner.

- Deviner ?

- En tant que barman, j'ai entendu tellement d'histoires que je peux pressentir celles qui ne m'ont pas encore été racontées.

- Vraiment ? fit l'autre, aussi curieux qu'anxieux.

- Hmm, hmm... acquiesça Tom.

Le serveur plongea son regard d'inspecteur dans celui de son compagnon qui, sentant son âme mise à nue, déglutit.

- Une fille t'a brisé le cœur...

Gatien eut un rire cynique.

- Bravo, Sherlock. Combien pour la séance ?

- J'ai pas fini... Tu la vois tous les jours ?

- Parce que je dois subir un interrogatoire, en plus ?

Le détective croisa les bras.

- Ok... se résigna le jeune homme. Je la vois... le matin avant d'aller en cours.

- Et vous discutez ?

- Euh... Pas vraiment.

- Donc elle est élève dans ton lycée ?

- Oui.

- Mais pas dans ta classe...

- Non.

- Parce que tu ne la vois que le matin avant d'aller en cours.

- Voilà.

- Elle n'est pas très populaire ? enchaina Tom.

- Que... Quoi ? balbutia l'autre, déconcerté.

- Non, elle ne l'est pas... se répondit le loufiat, en parfait psychanalyste.

- Attend...

- Parce que c'est un amour impossible.

- Pardon... ?

- C'est toi qui l'as dit tout à l'heure.

Gatien rougit fortement. Il avait le désagréable sentiment de perdre du terrain.

- Non, je...

- Est-ce que tu l'aimes ? coupa Tom.

Un frisson parcourut l'adolescent.

- Que... Que... Quoi ?

- Est-ce que t'es amoureux d'elle ? réitéra patiemment le serveur.

- Je... Ça... Ca ne te regarde pas ! ânonna Gatien, alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine.

- Ok, ne se brusqua pas l'enquêteur. C'est un sujet tabou ?

L'étudiant bondit sur ses pieds.

- C'est une personne, pas un sujet ! explosa-t-il.

- Donc, tu l'aimes, déduisit calmement le garçon de café, tout en faisant luire un troisième verre.

Le visage du lycéen se décomposa, puis il se rassit, profondément troublé. Tom soupira après avoir rangé le récipient auprès des autres, et s'accouda à la table bar dans une attitude familière.

- Pourquoi elle t'a repoussé ?

Désemparé, Gatien savait qu'il ne servait plus à rien de chercher à mentir.

- Elle dit qu'on ne peut pas être ensemble parce qu'on est trop... différents, marmonna-t-il.

- Hmm... Elle n'a peut-être pas tort.

L'étudiant fusilla son ami du regard.

- Ce que je veux dire, c'est que si vous n'êtes pas pareil, ce n'est peut-être pas une bonne chose que vous commenciez une relation... C'est vrai que je ne la connais pas, et je ne sais pas comment t'as pu développer des sentiments pour elle si vous ne traînez pas souvent ensemble. Mais parfois, quand la situation l'exige, il faut abandonner ses rêves et aller de l'avant. Le pragmatisme, il y a que ça qui marche, finit-il en donnant une tape sur l'épaule de l'adolescent.

- Tu parles en connaissance de cause ? ne put s'empêcher ce dernier, la voix tranchante, le regard dur.

- Peut-être, lança le barman en lui faisant un clin d'œil, toujours sympathique.

Puis il s'en retourna, vagabondant entre les autres clients malheureux, n'attendant que d'être sereinés par sa philosophie douteuse.

Pourtant, une telle conversation donnait matière à réfléxion. Et Gatien fut tellement ébranlé par la sienne qu'il en oublia avoir bu. Il quitta son tabouret pour demander ses clés à son protecteur qui, après hésitation et arrangement, les lui rendit.

Les grandes discussions ont cela de bon, elles permettent de dessoûler rapidement.

Alors oui, la solution au problème du jeune homme devait se trouver là. Il suffisait d'aborder des filles sympas, mignonnes et drôles.

Pourquoi se compliquer la vie quand celle-ci peut être simple ?

Dans un élan d'assurance, Gatien attrapa son portable. Son doigt glissa le long de sa page de contact, puis s'arrêta sur un profil intéressant. Jolie fille. Agréable. Pétillante. Et, surtout, sans problème... Il prit son courage à deux mains, l'appela avant de changer d'avis, et sourit quand elle décrocha.

- Salut, c'est moi... Je suis libre demain soir, et je me demandais si ça te dirait d'aller prendre un verre.

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