Chapitre 47

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Les doigts de Madame Rita-Lans parcouraient les quelques robes de l'armoire de sa fille avec nervosité. Examinant les tenues en silence, son regard sérieux laissait entendre qu'il ne valait mieux pas la déranger dans cette affaire. Assise sur son lit, Fanny se retenait de bâiller, dissimulant à peine l'ennui qui la tiraillait depuis dix bonnes minutes. Enfin, la mère de famille sélectionna une robe bleue que l'adolescente enfila péniblement - rien que pour satisfaire ses attentes - puis amena sa progéniture devant le miroir.

- Reste tranquille, dit-elle, totalement fébrile.

Docile, la jeune fille attendit que sa mère lui eut presque arraché les cheveux - pour défaire tous ses nœuds - avant de rouvrir les yeux. Sa chevelure noisette tombait sur ses épaules sans dégager le moindre exotisme, alors que Madame Rita-Lans était au comble de l'enthousiasme.

- Parfait !

Fanny se força encore à sourire, puis attrapa l'élastique qui trainait sur son bureau avant d'être arrêtée par sa génitrice.

- Non, non, non, pas de chignon aujourd'hui !

L'étudiante devint livide.

- Qu'est-ce que tu vas me faire ?...

- Rien du tout. Tu es très bien comme ça !

Fanny se regarda à nouveau dans la glace, horrifiée.

- Non, je ne peux pas sortir comme ça !

- Bien sûr que si.

- Non !

- Ca ne te dérangeait pas d'avoir les cheveux détachés le soir de Noël !

- Un excès de folie après m'être rendue compte que j'appréciais la robe ! Mais dès le lendemain, je trouvais ça affreux !

- Tu racontes n'importe quoi.

- On dirait deux rideaux ternes prêts à tomber.

- Pas du tout.

- Maman...

- N'en fais pas toute une montagne ! Tu es parfaite et ça te change. Luc va adorer.

L'adolescente ne dit plus rien, mais quitta la chambre dans un sentiment de crainte terrible. Osant le tout pour le tout, Madame Rita-Lans lui recommanda une touche de maquillage en faisant face, cette fois, à un refus des plus catégoriques. Sans insister, elle s'employa tout de même à rappeler "ce petit quelque chose qui manquait tant" à l'apparence de sa fille lors du trajet qui les conduisait, elle et sa sœur, au lycée.

Pia était sublime, bien entendu. Sa robe argentée soulignait les courbes de son corps à la perfection, et ses cheveux lâches ondulaient délicatement sur une épaule. Son maquillage léger ne la rendait que plus belle, et ses chaussures à talons lui donnaient une démarche sensuelle. Fanny souffrait de marcher aux côtés d'un tel diamant. Sur le trottoir qui longeait le mur de briques de la rue Marie Curie, les étudiants se retournaient, les uns après les autres, sur leur passage. Troublés par la beauté de Pia ou le ridicule singulier de Fanny, on entendait des rires moqueurs ou des hoquets admiratifs selon la sœur qui retenait le plus l'attention. L'aînée fixait le sol quand la cadette gardait la tête haute, les muscles de son visage se contractant à mesure que les rires prenaient le pas sur les hoquets. Digne, celle-ci entra dans la cour sans s'arrêter un instant pour discuter avec untel, ou chercher le regard de Gatien qui, pétrifié, dévisageait Fanny sans retenue.

Quand la jeune fille aux cheveux châtains gagna l'enceinte de l'établissement, à son tour, elle remarqua un attroupement important autour de deux grandes tables garnies de roses. Pour l'occasion, l'association des parents d'élèves revendait les plantes d'un fleuriste du coin, et les acheteurs, majoritairement masculins, tendaient le présent à leur belle avant de l'embrasser. Au- dessus des tables, une banderole de cœurs en papier formaient les mots "Bonne Saint Valentin" comme un slogan commercial. Néanmoins, Fanny s'arrêta quelques temps pour contempler les fleurs. Rose, jaune, rouge ou blanche, le parfum qui s'en exhalait était tout simplement divin, et l'on se prenait facilement au jeu du "quelle est la plus jolie plante ?" en comparant les pétales entre eux.

Protégée dans une enveloppe en plastique, la rose que Fanny saisit était aussi éclatante que le soleil. Mêlant le jaune à l'orange, elle sentait si bon que l'adolescente avait du mal à la reposer. De fait, elle hésita à se l'offrir, puis se rétracta en se rappelant l'intérêt de cette vente : plaire à ceux qui se plaisaient déjà. De plus, elle imaginait parfaitement les visages narquois devant le cadeau qu'elle se serait offert, et ne souhaitait pas se rendre plus absurde qu'elle ne l'était en ce moment.

Les pensées de l'étudiante s'arrêtèrent quand une main attrapa son bras et la retourna vers un garçon radieux.

- Salut Fanny ! s'exclama ce dernier dans le brouhaha général.

La jeune fille sourit.

- Bonjour Luc, lança-t-elle en voyant leur rencontre sous la banderole "romantique" comme un heureux présage.

- C'est une jolie rose que tu tiens là ! remarqua le garçon.

- Oui... bredouilla l'adolescente, tout de même gênée par le décor.

- J'ai entendu dire que le jaune était la couleur de l'amitié ! s'amusa-t-il. Quelles sont les autres teintes ?

Sans attendre la réponse de sa compagne, il s'approcha de l'une des tables et observa tour à tour les plantes.

- Je vois, reprit-il. Si je me souviens bien, le blanc incarne des sentiments purs et sincères, le rose une grande douceur et une certaine pudeur, et le rouge un amour passionnel et durable... J'ai tout bon ?

Surprise, Fanny se mit à rire.

- Je n'en sais rien. Si tu le dis !

- En tout cas, elles sont magnifiques ces fleurs... Tout comme toi.

Un silence suivit ces mots. Plongé dans une réflexion soudaine, Luc semblait ailleurs, tandis que Fanny, mal à l'aise, finit par se racler la gorge pour indiquer son intention de gagner sa salle de classe avant que la cloche ne sonne. En parfait gentleman, Luc l'accompagna jusque devant sa porte, puis tourna les talons, laissant une adolescente dubitative et légèrement déçue.

Dans le couloir, les couples s'embrassaient langoureusement, les filles tenant leur maudite rose et les garçons palpant le corps de leur bien-aimée sans discontinuer. Solitaire dans cette alcôve presque paillarde, l'étudiante dut supporter le bruit des bécotages incessants jusqu'à ce que la sonnerie du lycée retentisse. Tessa Augier renvoya alors son petit ami quand Joris Fabian continuait de maltraiter les fesses de Charlotte Dauge. Lorsque le professeur arriva, Fanny se dit qu'elle avait rarement eu autant envie d'aller en cours, et fut presque peinée d'en sortir pour écouter une nouvelle série d'embrassades rebutantes.

La jeune fille ne revit pas Luc de la journée, mais passa la Saint-Valentin avec sa grande amie, Amandine, sans considérer ce quatorze février comme moins agréable pour autant.

*Après tout, c'est la rose jaune qui m'a attirée.* pensa-t-elle en quittant sa camarade pour rejoindre son casier, récupérer ses biens, et retrouver la voiture de sa mère.

Mais en ouvrant son compartiment, Fanny sursauta. Ses yeux s'agrandirent et les battements de son cœur s'accélérèrent. Elle regarda autour d'elle pour espérer trouver le responsable de cette histoire, mais ne releva rien d'anormal. Au sommet de ses affaires trônait une rose rouge. D'une beauté rare, l'adolescente la saisit entre ses doigts tremblants, effrayée par ce qu'elle pouvait représenter, et la huma en fermant les yeux. Le parfum, suave, doux et enivrant, faisait de cette merveille un rubis à l'état brut. Fanny la contempla ainsi quelques minutes. Si elle avait d'abord cru à une mauvaise plaisanterie, elle ne doutait presque plus, maintenant, de son immense valeur. Ainsi, quelqu'un l'appréciait suffisamment pour lui offrir un tel bijou. Et si ce quelqu'un l'avait fui toute la journée, c'était peut-être pour mieux la surprendre au moment où elle découvrirait son présent. Les joues de l'étudiante s'embrasèrent à cette idée, et elle se demandait seulement comment la fleur était arrivée dans son casier quand elle passa les portes du lycée, sa rose écarlate à la main.

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