Chapitre 45

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Soucieuse, l'adolescente claqua la porte de la maison derrière elle et souffla un grand coup. Main fixée sur la poignée, regard inquisiteur, elle observait sa cadette qui se découvrait dans l'entrée. Pia, qui ne releva pas tout de suite sa conduite inquiétante, ôta son couvert, se tourna vers le portemanteau, et perçut enfin l'anormalité. Alors elle fronça les sourcils, perplexe, puis reprit contenance.

- Qu'est-ce qu'il y a ? lança-t-elle froidement.

Fanny garda le silence. L'image d'une Pia malveillante s'imposait désormais à elle, et son ego lui sommait de ne plus jamais lui faire confiance.

- À toi de me le dire, rembarra la jeune fille d'une voix haineuse qu'elle ne se connaissait pas.

Pia grimaça, stupéfaite. Ses yeux brillaient comme deux émeraudes dans la pièce un peu sombre, et ses cheveux ondulaient légèrement sur ses épaules.

Face à elle, l'autre étudiante se montrait froide et hostile. Mais en son cœur, l'affliction la submergeait, et elle gardait les poings serrés pour ne pas se trahir.

- Pardon, j'ai manqué quelques chose ? s'énerva la cadette.

Fanny s'approcha et toisa durement sa sœur. De même taille, les filles se fixaient dans un silence tendu pendant que Madame Rita-Lans s'affairait dans la cuisine.

- Tu te moques de moi ?! explosa l'aînée.

- Ça dépend. Pour l'instant, j'ai toutes les raisons de le faire, grogna Pia, sarcastique.

- Et ça te plait autant quand tu ris de moi avec les autres ?!

- En tout cas, je commence à y prendre goût.

- Comment t'as pu me faire ça ?!

- Faire quoi ?

- Ne fais pas comme si tu ne comprenais pas !

- Tu peux trouver ça bizarre, mais non, je ne comprends pas.

Fanny ouvrit grand la bouche pour montrer l'une de ses dents de devant.

- Et là, tu saisis mieux ?!

Rouge, Pia dévisagea sa compagne avec rudesse.

- Et quoi ? C'est pas ma faute si t'es qu'une empotée !

Sans prévenir, la plus âgée des sœurs jeta un œil vers la cuisine, et empoigna l'autre pour quitter la maison et éviter les oreilles curieuses. Dans le jardin, l'air était glacial, mais la colère réchauffait un peu Pia, dévêtue de son habit chaud.

- On connait toutes les deux la véritable histoire, reprit Fanny devant l'exaspération de l'autre adolescente.

- Fascinant ! Et puisque c'est comme ça, je ne vois pas pourquoi cette conversation se poursuit ! Et encore moins à l'extérieur !

Ce qui restait de patience à Fanny disparut en une seconde, et la jeune fille gifla la jolie blonde avant de considérer son geste avec effroi.

- Je... je suis désolée... bredouilla-t-elle en cherchant à toucher Pia - qui la repoussa.

- Espèce de tarée !

- Je ne voulais pas...

- Tu sais quoi ? Je suis bien contente que le monde entier te déteste ! Parce qu'en plus d'être moche, t'es qu'une pauvre conne !

Un silence pesant s'installa. Le cœur lourd, Fanny attendait que Pia s'en aille - sans que celle-ci ne se décide à le faire.

- Tu as raison, fit enfin la première, d'une voix brisée. Je suis laide et les gens me harcèlent à cause de ça... Je ne pensais juste pas que toi, tu serais capable de faire ça...

L'autre adolescente frotta sa joue encore quelques secondes avant de se reprendre.

- Si tu pouvais être plus claire, gronda-t-elle.

Fanny scruta le sol.

- Je ne pensais pas que tu pourrais inciter mes harceleurs à continuer leur œuvre en dehors du lycée.

Pia hocha la tête, confuse.

- Mais enfin de quoi tu parles ?

- La dent que j'ai perdue, ce n'était pas un accident... Ce sont elles qui me l'ont arrachée.

Pia pâlit.

- Mon Dieu... ébruita-t-elle avec horreur.

- Tu as eu ce que tu voulais.

- ... Je ne vois toujours pas où tu veux en venir.

- Je sais que tu as parlé à Mathilde de la chapelle et du fait que personne ne s'y rend. Tu lui as dit que j'aimais y passer du temps le week-end et elles s'y sont toutes rendues rien que pour me faire souffrir.

- Fanny, fit Pia avec sérieux, je n'ai rien à voir avec ce dont tu m'accuses. Tu m'énerves peut-être parfois, mais je ne pourrais jamais faire une chose pareille.

La jeune fille à la chevelure châtaine plissa les yeux. Elle s'était attendue à un mensonge clair de la part de sa sœur, mais la réponse qu'elle reçut la laissa interdite. Les mots de sa cadette étaient emprunts d'une gravité trop exceptionnelle pour ne pas s'y méprendre.

- ... Si ce n'est pas toi, qui m'a trompée ?

- Sûrement personne, soupira Pia, lasse. Tu t'es seulement trouvée au mauvais endroit au mauvais moment...

Épuisée par la dispute, cette dernière s'effondra sur une pierre plate sans s'inquiéter des nuages bas, et fut bientôt rejointe par son aînée qui s'assit ailleurs. La tête dans les mains, la jolie blonde semblait dépassée par ce qu'elle venait d'apprendre, ou par sa situation elle-même, tout simplement.

- Pourquoi tu me repousses sans cesse ? chuchota Fanny sans tenter un nouveau contact avec sa sœur.

L'interrogée renifla discrètement, passa une main sur son nez, et retrouva le regard de sa compagne, éreintée.

- Parce que je t'envie.

Prête à tout entendre, celle-ci eut pourtant un mouvement de recul après ces derniers mots, plus que surprenants.

- Quoi ?

Pia baissa les yeux au sol, triste.

- Oui... Je t'envie parce qu'il veut être avec toi. Et je te déteste parce que même si tu ne voulais pas de lui, il ne pourrait pas se tourner vers moi, parce que tu es toi...

L'adolescente au chignon défait ne savait quoi penser. L'air hagard, elle comprenait les propos de sa sœur comme s'il s'agissait d'une autre langue.

- Qu'est-ce que tu racontes ?... Qui aurait plus envie d'être avec moi qu'avec toi ?

- Ga... Gatien...

Fanny entrouvrit la bouche. Ahurie, elle resta muette quelques instants malgré les pleurs de Pia. Puis, d'une main maternelle, elle caressa la chevelure dorée, et, de l'autre, redressa le petit menton humide vers le sien.

- Je suis sûre que tu te trompes, fit-elle dans un sourire rassurant. Gatien ne voudrait jamais être avec moi plutôt qu'avec t...

- Tous les élèves en parlent ! coupa la cadette, dévastée. Ce n'est plus un secret pour personne. À part pour toi, on dirait.

- Mais... Mais enfin, bégaya Fanny, décontenancée, pourquoi de telles rumeurs ?

La mâchoire de Pia se resserra. Cette discussion devenait de plus en plus difficile à supporter, mais la distance que la jeune fille s'était imposée vis-à-vis de sa sœur depuis des semaines l'était encore plus.

- On dit que Gatien ne remarque que toi et qu'il te sort de toutes les situations difficiles.

- Pas du tout ! J'ai affronté beaucoup plus d'épreuves seule qu'il ne m'en a sortie !

- Il s'est battu pour toi.

- Et ça, ça devrait signifier que je lui plais ?

- Tu lui plais.

- Pia, arrête de croire tout ce que tu entends ! Des ragots, il y en a des milliers à Marie Curie, et sur tout le monde ! Si ceux dont tu me parles n'avaient qu'une once de vérité, Gatien ne serait pas le type populaire qu'il est aujourd'hui, tu peux me croire !

- C'est pour ça qu'il ne se manifeste pas !

- Pia !

- Tant que les murmures restent des murmures et que Gatien se comporte comme ses amis, sa réputation n'est pas mise en jeu. Mais si la rumeur autour de vous se vérifiait... tout changerait... Gatien ne serait pas épargné par le système.

- C'est ridicule.

- C'est... le lycée.

- Et si je te dis que je ne suis pas attirée par Gatien, ça te va ?

- ... Et toi ?

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