Chapitre 41

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Sophie Calice se trouvait dans le couloir des secondes lorsque Louis Nattier la bouscula de plein fouet. Pestant contre l'étudiant qui s'éloignait, elle se redressa et chercha à retrouver son calme. Sans succès. Car bientôt, un autre jeune homme apparut dans son champ de vision, plus détendu, plus beau, et plus apprécié du lycée. Un lycéen qui, de son côté, ne la remarqua pas - à sa grande déception.

Sophie n'avait pas cours à cette heure-ci, mais comme toutes les semaines, attendait près d'une certaine salle de classe. Celle du garçon qui lui faisait tourner la tête. Nerveuse, elle observait Gatien de loin, ses joues se colorant et ses lèvres s'entrouvrant dans un sourire plein de tendresse. Lorsqu'elle crut qu'il la regardait, son cœur s'emballa et son corps se raidit. Le désir la submergeait, tel un brasier ardent que l'on ne pouvait éteindre. Pourtant, elle ne le quitta pas des yeux, le sentiment que leurs âmes étaient liées à jamais la ravageant totalement. Malheureusement, sa douce rêverie cessa quand elle comprit que l'être aimé ne la considérait pas, contrairement à son voisin dont il finit par prendre des nouvelles.

Craignant de se faire voir si elle bougeait d'un centimètre, elle écoutait la conversation des garçons avec ennui, tapie dans l'ombre du plus imposant. L'adolescente saisissait des phrases sans intérêt, telles que "J'ai envie de sécher." ou "Ce prof m'endort tout le temps.". Cependant, sa proximité soudaine avec celui qu'elle chérissait l'agitait profondément. Elle repensa, pour la énième fois, à cette soirée alcoolisée où elle avait conduit Gatien à la caresser jusqu'à lui faire baisser son caleçon, et rougit avec autant de honte que de plaisir. Sobre, elle n'aurait jamais tenté pareille folie. Mais après quelques verres, sa peur avait disparu et elle s'était sentie pousser des ailes.

S'en était suivi un long travail de mémorisation dans le but de se rappeler, avec plus ou moins d'exactitude, le moment qu'elle avait partagé avec le jeune homme - cela pour retracer leur baise torride et la revivre seule avec plaisir. Toutefois, une chose venait contrarier ce tableau intime. Un murmure désagréable que Sophie espérait n'avoir jamais été prononcé. Le prénom de celle qu'elle haïssait plus que tout en ce monde.

À cet instant, le regard de Gatien s'égara de son côté, puis changea totalement d'humeur. Passant d'amical à hostile, il ne s'attarda pas plus longtemps sur elle, et le garçon entraina son compagnon plus loin. Après ce qui lui sembla une éternité, la dernière année fut comme réveillée par des petites tapes dans le dos et des acclamations joyeuses. Ses amies, qui connaissaient bien son rituel, avaient terminé leur pause clope et "voulaient tout savoir". Sophie vit alors Gatien entrer dans sa salle de cours, puis hocha la tête d'un air dépité, mais accoutumé.

- Laissez tomber, fit celle-ci en attrapant les bras de deux de ses amies. Dîtes-moi plutôt ce que vous...

L'adolescente s'arrêta.

- Où est Mathilde ?

Le groupe se tut, indécis, puis s'écarta pour laisser passer la lycéenne en question.

- Je suis là.

La fille aux boucles noires plissa les yeux en découvrant une élève à col roulé et à pantalon épais. Les cheveux lâches et un maquillage prononcé, son amie ne ressemblait en rien à l'étudiante sexy qu'elle avait toujours été.

- Qu'est-ce que c'est que ce déguisement ? s'amusa Sophie.

Mathilde sourit péniblement. Elle tremblait compulsivement et avait une façon exagérée de ramener sa chevelure en avant. Pour autant, ce qui dérangeait surtout la grande brune, c'était son style invraisemblable.

- J'ai attrapé un coup de froid.

Sophie fronça les sourcils.

- Ouais, ben même moi quand j'ai moins douze, je fais un effort vestimentaire ! Regarde-toi : on dirait un sac à patates !

La désignée ferma les yeux et se mordit les lèvres.

- Je sais... Le truc, c'est que mes autres affaires sont au sale... Je n'avais aucune robe ou jupe à me mettre... Bientôt, je pourrai les sortir à nouveau, expliqua-t-elle comme si son avenir dépendait de cette phrase.

Sophie se permit une grimace, embarrassée à l'idée de marcher en compagnie d'un tel épouvantail ; puis décida de prendre sur elle, et se dérida. Mathilde ne serait jamais Fanny. Si elle se savait laide en ce moment, c'est qu'elle n'avait pas perdu de goût en matière de mode.

- Très bien. J'espère que tu te rétabliras vite...

Mathilde acquiesça, puis les filles reprirent leur marche sur un ton plus gai.

- J'ai une très bonne nouvelle, lança Charlotte. Gatien Illys a prévu quelque chose d'énorme pour fêter son anniversaire à la fin du mois !

La bande s'arrêta, surprise.

- D'où tu tiens ça ?

L'énigmatique sourit, fière d'avoir été mise dans la confidence avant les autres.

- De Joris. Gatien et lui en ont discuté hier sur snap. Puis Joris m'en a parlé.

Le groupe se regarda, étonné.

- Et comment ça se fait que t'ais reçu l'info avant nous ?

L'adolescente aux cheveux clairs ne rougit pas quand elle avoua avoir passé la nuit avec le beau brun, mais les autres lycéennes n'en demandèrent pas davantage.

- Ça va être génial ! J'espère juste que je pourrai rentrer dans ma robe corail... chantonna Charlotte. Je crois que j'ai pris deux kilos depuis la dernière fois que je l'ai mise... C'est une vraie catastrophe !

Sophie ne dit rien, son esprit réfléchissant à vive allure. Un anniversaire... Gatien... Le combo parfait pour séduire une bonne fois pour toute le jeune homme et lui offrir le meilleur cadeau qui soit en lui révélant ses sentiments... La soirée du nouvel an s'était peut-être soldée par un échec - puisqu'elle n'avait pas réussi à emmener le garçon, entouré d'une foule en délire, à l'écart -, mais la célébration particulière qui s'annonçait lui permettrait de retenter sa chance - en changeant de stratégie...

- Vous croyez qu'il invitera l'Affreuse ? osa une élève dont la grande brune n'était pas sûre de connaître le nom alors qu'elles trainaient ensemble depuis des semaines. Après tout, il s'est fait amocher pour elle...

- Bien sûr que non, idiote ! s'emporta Charlotte avant que Sophie ne le fasse à sa place. S'il ne l'a pas invitée le 31 décembre, il ne le fera pas non plus pour arroser ses seize ans ! Et puis, il ne prendrait jamais le risque de gâcher cette journée en se permettant une excentricité malvenue.

- Mais vous ne croyez pas qu'elle lui plaît ? continua l'inconsciente.

- Rappelez-moi pourquoi cette débile traîne avec nous ? tonna la ravissante blonde à la bande.

- Ce que je veux dire, bégaya l'autre, plus effrayée, c'est qu'elle a l'air à son goût...

L'horripilée poussa l'élève à terre, puis la bannit d'un doigt menaçant.

- Tu insultes Gatien et tu nous insultes. Inutile de revenir !

Blanche comme un linge, la rejetée recula sur quelques centimètres, se redressa, et s'en alla en zigzaguant.

Charlotte la fixait encore avec dégoût quand Sophie était replongée dans ses pensées. Les paroles de l'exilée la retenaient, comme si on venait de la mettre devant le fait accompli et qu'elle ne pouvait plus se mentir à elle-même. Oui, Fanny avait l'air "au goût" de Gatien. Pour quelle raison ? L'adolescente l'ignorait. Mais en assemblant les éléments de-ci de-là, on ne pouvait plus en douter.

- Elle est folle de penser ça, rassura la jeune fille blonde en posant une main sur l'épaule de Sophie. L'Affreuse est moche, petite et maigrichonne. Jamais elle ne pourrait plaire à quelqu'un. Et sûrement pas à Gatien !

La belle brune se montra tranquillisée, et passa le reste de la journée à faire ce qu'elle avait toujours fait : sa diva.

Pourtant, quand elle rentra chez elle, elle se rendit instantanément à la salle de bain afin d'évaluer son reflet dans le miroir. Elle tirait ses pommettes, ses paupières et son menton, sans jamais saisir le défaut qui pouvait affecter son joli minois. Elle releva ensuite ses cheveux et forma un chignon défait, mais même là, sa coiffure restait digne et attrayante. Posant les mains sur l'évier, elle soupira, puis répéta les derniers mots de Charlotte.

- Moche, petite et maigrichonne...

Alors Sophie eut une idée. Elle n'était ni laide, ni ratatinée, mais devait bien faire un trente-huit quand l'Affreuse ne faisait qu'un trente-deux... Respirant profondément, elle garda sa tignasse attachée, et ouvrit la porte des cabinets. S'asseyant devant les toilettes, elles posa une main sur la lunette, colla son index contre son majeur de l'autre main, et plongea ses deux doigts au fond de sa gorge...

Peu après, sa poitrine se souleva, une odeur nauséabonde envahit sa bouche, et un liquide verdâtre, accompagné d'un râle émétique, se déversa dans la cuvette.

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