Chapitre 38

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- Alors c'est celle de gauche ou de droite ?

Fanny ouvrait la bouche pendant qu'Amandine observait sa dentition en plissant les yeux.

- Droite, fit la première adolescente en posant un doigt sur l'une de ses dents de devant.

- Et ben, c'est du sacré bon boulot ! J'aurais jamais deviné qu'il y avait un gros trou avant, lança Amandine, admirative. Et ça t'a fait mal ?

- Non, ça allait, répondit l'autre sans emballement. Mais je suis contente que tout ça soit fini.

Amandine baissa les yeux, mal à l'aise.

- T'es sûre que c'est terminé ? Ces filles sont des dangers publics. Maintenant, elles ne t'attaquent plus seulement au lycée, mais vont jusque chez toi par pur sadisme.

- Chut, murmura Fanny en regardant autour d'elles, effrayée. On a dit qu'on n'en parlerait plus. En plus, tu es la seule personne à qui j'ai avoué la vérité. Et depuis que je suis revenue au lycée, je n'ai pas l'impression que les autres élèves soient au courant de ce qui m'est arrivé. Si on continue de me charrier, ce n'est pas à propos de ma couronne en tout cas.

- C'est vrai, ajouta son amie, ce qui est carrément bizarre. On peut quand même dire que ça reste un sujet de plaisanterie.

- Sans doute... J'imagine que les filles ont eu peur en me voyant m'évanouir, ou elles ont craint que l'information remonte jusqu'à la direction...

- Je pencherais pour la première option, déclara Amandine. La direction fera rien si l'action ne se passe pas à l'intérieur de l'établissement. Elle est pas considérée comme responsable de ce qui s'est passé, et c'est pas Dungan qui va bouger son cul pour arranger ça. S'il peut éviter de se retrouver mêlé à une nouvelle affaire d'agression entre élèves, il restera tranquillement dans son fauteuil de branleur... Je t'assure, t'es la seule qui peut te sauver de ce merdier.

- Et comment ? fit Fanny avec désespoir. Je ne peux rien contre elles. Elles trouveront toujours le moyen de me torturer !

Amandine prit un air grave.

- Tu dois appeler les flics.

- Hors de question !

- Écoute, t'as plus d'autre choix. D'abord elles essayent de te tuer, maintenant elles t'arrachent une dent... Qu'est-ce que t'attends au juste ? Qu'elles menacent de brûler ta maison ?

Fanny s'effondra.

- Je ne peux pas faire ça, Amandine. Si je les conduis devant la justice, je sais que les choses empireront. J'ignore ce qu'elles pourraient me faire, ni comment elles s'y prendraient pour le faire, mais l'imaginer me terrifie déjà... S'il te plaît, n'en parlons plus. Jamais.

La lycéenne aux cheveux roses se tut, bien que sa vision de la situation contrastait clairement avec celle de son amie.

- Alors promets-moi de les fuir autant que tu peux.

Fanny sourit tristement.

- C'est ce que j'essaye de faire tous les jours.

Soudain, la sonnerie du lycée Marie Curie retentit, et les étudiantes se séparèrent pour retrouver leur propre classe.

La tête haute mais le cœur battant, Fanny traversa les couloirs bondés avec pessimisme. Mais quand elle tourna à l'angle de deux couloirs, une main l'arrêta. Tétanisée, la jeune fille se retourna et découvrit un garçon essoufflé tenant les bretelles de son sac nerveusement.

- Bonjour Fanny, dit Gatien tandis que les autres élèves se bousculaient et que l'adolescente se calmait. Je t'ai remarquée, et je voulais savoir... Est-ce que tu vas mieux ?

L'étudiante haussa les sourcils, perplexe. Mais peu après, elle pensa avec horreur que le jeune homme était au courant, peut-être comme le reste du lycée, de ce qui lui était arrivé.

- Comment tu...

- Pia m'a dit que tu étais malade, la coupa le garçon, agité. Les nouvelles vont et viennent, tu sais...

- Oui, les gens devaient s'ennuyer de ne pas me voir pendant plusieurs jours, lâcha froidement Fanny, à son propre étonnement.

Le lycéen regarda le sol, comme regrettant ce qu'il venait de dire. Mais devant son air penaud, l'étudiante s'adoucit.

- Je vais bien, c'est gentil de t'en inquiéter...

Gatien releva la tête.

- À part ça, merci pour ce que tu as fait, reprit-elle. C'était vraiment honorable quand tu as retenu ces filles pour qu'elles me laissent en paix.

L'adolescent rougit et plongea ses yeux dans ceux de la jeune fille.

- Ça n'avait rien d'honorable. C'était juste normal. J'espère seulement qu'elles t'ont laissée tranquille après ça...

Fanny tressaillit, bouleversée par ces derniers mots, trop frais pour être prononcés.

- Oui... murmura-t-elle en prenant sur elle. Elles ne m'ont rien fait.

- Tant mieux, dit le garçon d'une voix douce. C'est exactement ce que je voulais.

La jeune fille sonda son compagnon, confuse, puis sourit avant de s'apprêter à repartir.

- Attends, reprit l'étudiant avec énergie. Est-ce que... Est-ce qu'on pourrait se revoir ?... Enfin, dans un endroit plus calme...

Fanny se figea, plus interdite que jamais.

- Tu veux dire... en tête-à-tête ?

Le visage de Gatien vira à l'écarlate, sans se montrer résignant.

- Oui.

Un silence embarrassant s'installa, jusqu'à ce que le lycéen se racle la gorge.

- Ça pourrait être sympa. Après tout, ça fait plus de trois ans qu'on n'a pas vraiment passé de temps ensemble.

Fanny se redressa.

- On n'a jamais vraiment passé de temps ensemble. Tu t'amusais plus avec Pia qu'avec moi.

- C'est vrai. Une erreur de jugement, répondit le garçon sans se laisser intimider.

La jeune fille sentit ses joues s'embraser sans savoir pourquoi.

- Pourtant, je crois que vous êtes même sortis ensemble.

Gatien prit un air amusé.

- Je n'appelerais pas ça "sortir ensemble". J'ai dû lui tenir la main deux ou trois fois et l'embrasser sur la joue. Je ne vois pas ce que ça a de particulièrement romantique.

Fanny ne savait plus quoi dire. Elle pensait à son cours d'anglais qui devait bientôt commencer et ressentait une furieuse envie de le manquer. D'abord parce que cette matière l'ennuyait, ensuite parce qu'elle ne souhaitait pas croiser les acolytes de Sophie, et enfin parce que le garçon qu'elle avait devant elle la fascinait de plus en plus.

- Tu veux qu'on sorte tout de suite ? lança-t-elle avec audace tandis que les couloirs se vidaient.

Gatien parut surpris.

- Tu, tu n'as pas cours ?

- Si, mais je n'ai pas envie d'y aller. Et toi ?

- C'est à dire que j'ai phys...

L'étudiant s'arrêta, indécis.

- Pas vraiment... D'accord je te suis.

Fanny acquiesça, prit le chemin qui les ramenait aux portes de l'établissement, et les dépassa devant un Gatien aussi curieux qu'impressionné.

- Je ne savais pas que tu étais du genre à sécher, lança-t-il dans un sourire.

- Moi non plus, rit l'adolescente sans gêne. Mais là j'avais anglais et je n'aime pas trop cette matière.

Le jeune homme pouffa.

- Quoi ? lança Fanny sans comprendre.

- C'est ironique que tu me dises ça, dit-il avec légèreté. Moi qui ai passé trois ans à Londres.

La lycéenne ouvrit la bouche.

- C'est vrai. Désolée, j'avais oublié.

- Ne t'excuse pas, continua-t-il en souriant. Je déteste aussi ces cours. Ils sont d'un ennui... Et totalement inutiles. Il n'y a qu'en allant dans le pays que l'on peut vraiment apprendre sa langue.

- Et tu en es la preuve vivante. Grâce à toi, j'ai eu une note excellente au devoir d'anglais que tu avais rédigé à ma place.

- Et tu as eu combien ?

- Dix-neuf et demi.

- Merde, où est-ce que j'ai foiré ?

- En te dépêchant, tu as écrit "ane" au lieu de "and". D'ailleurs, la prof s'est moquée de moi, s'amusa l'adolescente. Elle a aussi été très surprise par ma fulgurante progression dans la matière. Je lui ai dit que je m'étais appliquée parce c'était un devoir maison, et elle a gobé ça après trois ans de contrôles calamiteux.

Le jeune homme s'esclaffa.

- J'étais très mauvais avant d'être forcé d'apprendre l'anglais, reconnut-il. Je n'aurais jamais eu ce niveau si je n'avais pas quitté la France.

- Et tu es revenu, se hasarda Fanny.

- Oui, murmura Gatien en s'assombrissant. Mais je n'ai pas vraiment eu le choix.

Un nouveau silence s'installa. Silence dont l'adolescente se sentait terriblement responsable et qu'elle décida de rompre.

- En tout cas, ça me fait plaisir de te revoir.

- C'est vrai ? fit le lycéen en quittant ses pensées pour observer sa compagne avec espoir.

- Bien sûr, dit Fanny, ravie de voir le garçon retrouver le sourire. Je n'avais jamais vraiment pris le temps d'apprendre à te connaître, et je découvre un jeune homme très intéressant.

- Intéressant comment ? osa Gatien en rougissant.

L'adolescente hésita, étonnée par la surenchère.

- Et bien, tu es gentil, drôle et bienveillant. Protecteur, aussi, pour avoir empêché certaines personnes de m'attaquer. Et plutôt séduisant...

La jeune fille se tut, troublée par sa propre révélation. Et tandis qu'elle regardait droit devant elle, Gatien, au contraire, la contemplait avec délice. Prudent, il ne chercha néanmoins pas à forcer les choses, et finit par fixer le vide avec émotion.

- C'est étrange, relança enfin l'étudiante. Si on m'avait dit un jour que je marcherais en compagnie de Gatien Illys, je ne l'aurais pas cru.

Le lycéen sourit et observa l'adolescente avec réserve.

- Certaines choses arrivent d'elles-mêmes. Il ne sert à rien de se demander pourquoi.

Fanny fronça les sourcils et devint pensive.

- Oui. Il faut croire que le non-sens existe.

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